Entretien avec Haude Morvan : découvrir l’art médiéval et sa réception - Université Bordeaux Montaigne

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Entretien avec Haude Morvan : découvrir l’art médiéval et sa réception

Portrait d'Haude Morvan.

Haude Morvan a bénéficié d’un projet émergence de l’Idex à destination des jeunes chercheurs. Elle nous présente ses travaux sur la réception de l’art médiéval à l’époque moderne et au 19e siècle.

Quel est votre sujet de recherche ?

Haude Morvan : Le thème général du projet est :  "Medieval art across time". J’étudie la réception de l’art médiéval du 17e au 19e siècle. Je m’intéresse à la manière dont on regarde ces œuvres, dont on les décrit, ainsi qu’au jugement esthétique qu’on portait sur elles. Sont-elles détruites ? Documentées ? Dessinées avant d’être détruites ? Restaurées ?

La première œuvre qui va occuper ce programme est la tombe du cardinal Hugues Aycelin de Billom. Cette sépulture, qui date du début du 14e siècle, se trouve à Clermont-Ferrand. Il s'agit d'une tombe murale située dans une église dominicaine, avec des parties sculptées et peintes.
À la révolution, les ordres religieux ont été dissouts et tout le patrimoine qui appartenait au clergé a été récupéré puis souvent revendu au 19e siècle. Cette église a été rachetée et restaurée par une congrégation féminine de l’ordre de la Visitation. Le bâtiment appartient aujourd'hui à un lycée. Je m’intéresse à la manière dont la réfection a été menée au 19e siècle.

Les questions auxquelles nous allons tenter de répondre sont : quel était l’état de cette tombe avant la restauration ? Quels étaient les écus armoriés ? Pourquoi a-t-on choisi de restaurer cette église ? Quels ont été les choix des restaurateurs ? Comment la communauté religieuse a-t-elle participé à la restauration ?

Nos objectifs sont :

  • D'essayer de comprendre l’articulation des espaces du couvent à l’époque médiévale. 
  • De retracer l’histoire monumentale du bâtiment.
  • Nous participerons également à l’organisation d’un colloque sur la thématique de la restauration du patrimoine médiéval au 19e siècle.
  • De faire une valorisation grand public des résultats, notamment auprès du public scolaire, pour présenter les techniques que nous utilisons, expliquer l’histoire de l’art médiéval et le rôle des tombes à cette époque.
  • Il y aura peut-être aussi une exposition dans les locaux de la direction régionale des affaires culturelles à Clermont-Ferrand.

Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce monument ?

Dans le cadre de ma thèse de doctorat, je travaillais sur les tombes de cardinaux dans les églises mendiantes, notamment chez les dominicains. J’avais donc cherché à avoir accès à cette sépulture. À l’époque de sa réalisation, c’était une tombe exceptionnelle, qui avait pour ambition de proposer une vitrine de la grandeur et de l’ascension sociale de la famille Aycelin. Cependant, il n’y a quasiment pas d’études sur le contexte de sa réalisation, ni sur sa fortune par la suite.

Qui sont les personnes impliquées dans cette Idex ?

Pour ce projet, je vais être accompagnée par une collègue du laboratoire d'archéométrie IRAMAT-CRP2A. L’archéométrie utilise les sciences physiques et chimiques appliquées à l’archéologie, notamment pour la datation et l’analyse des matériaux. Je vais travailler avec Aurélie Mounier, qui utilise des systèmes photographiques très sophistiqués permettant de voir les décorations médiévales sous la peinture du 19e siècle. Clément Coutelier, qui est ingénieur-géomaticien au laboratoire Ausonius, va réaliser un relevé topographique de l’église. Nous serons accompagnés de Claire Bourguignon, doctorante à l’Université Clermont Auvergne, qui étudie les ordres mendiants dans le centre de la France et de Maud Mulliez, ingénieure de recherche et spécialiste de la couleur, qui est à la fois historienne de l’art et restauratrice. Elle apportera son expertise sur les matériaux et la couleur.

Quelles sont les techniques de restauration utilisées ?

Au 19e siècle, on réinvente dans ce que l’on pense être le goût de l’époque. La réfection de l’église des jacobins d’Agen est un exemple très représentatif. Au lieu de renforcer les motifs qui étaient encore visibles, les artisans ont fait toute autre chose, certes dans une esthétique gothique, mais autre chose.

Certaines parties de la tombe du cardinal Aycelin ont été clairement refaites, notamment les deux statues de saint Pierre et saint Paul, qui sont en terre cuite et datent du 19e siècle. Grâce à une description du 17e siècle, on sait qu’il y avait déjà des sculptures de Saint Pierre et Saint Paul avant la restauration.

Qui a produit cette description ?

Elle a été rédigée par François Duchesne dans un ouvrage de biographies de tous les cardinaux français (Histoire de tous les cardinaux françois de naissance, ou qui ont esté promeus au cardinalat, 1660). Chaque biographie s’achève par le lieu où le cardinal est enseveli et une description de sa tombe. Ce texte nous est très utile.

Cette conscience que les objets et les monuments sont une part du patrimoine qui sert tout autant que les textes à écrire l’histoire date vraiment de l’époque moderne. C’est une conscience qui naît avec les humanistes. Certains érudits de l’époque moderne, avec leurs dessins et leurs descriptions destinés à documenter ce qui pourrait disparaître, semblent un peu préfigurer les campagnes de numérisation réalisées aujourd'hui.
Reconstruction 3D : Haude Morvan et Thibault Moinard

Les couleurs sont porteuses de sens ?

Oui, d’autant plus que sur cette tombe il y a beaucoup d’écus armoriés. Ce sont des petits ornements qui représentent une filiation ou un territoire. Sur cette sépulture, il y avait des sortes de "logos" de toutes les familles associées aux Aycelin qui est une grande famille d’Auvergne. Les écus peuvent avoir des motifs (des barres, des boules, des aigles, des croix...). C’est une manière de mettre en avant les alliances nouées au fil du temps.

Nous ne sommes pas sûrs que les restaurateurs du 19e siècle aient toujours respecté les couleurs, c’est important d’analyser les couleurs de la tombe d’origine et ses éventuelles modifications pour pouvoir identifier toutes les armes.

Y a-t-il un paradoxe entre le fait d’appartenir à un ordre mendiant et le fait d’avoir une tombe richement décorée ?

Le cardinal Hugues Aycelin a eu deux tombes. La première, à Rome dans l’église Sainte-Sabine, était beaucoup plus simple (une plate tombe avec l’effigie du cardinal). Cette tombe romaine contenait ses chairs, car on ne pouvait pas transporter un corps entier sur une longue distance pour des raisons sanitaires évidentes.

Cette tombe n’existe plus, mais elle est connue par un dessin du 17e siècle. La tombe de Clermont a été vraisemblablement conçue par le frère du cardinal, Gilles Aycelin, alors archevêque de Narbonne. Même si elle a été installée dans une église dominicaine pour un cardinal de l’ordre, cette tombe très riche est avant tout un « coup de publicité » pour la famille Aycelin qui avait alors connu une ascension fulgurante. Gilles Aycelin a clairement voulu imiter les tombes réalisées pour des princes laïques, qui utilisaient le métal émaillé.

Comme le tombeau de Michel de Montaigne ?

Oui, au début du christianisme, il n’y a que les saints que l'on ensevelit dans des édifices sacrés, mais très rapidement, les gens veulent se faire enterrer au côté des tombeaux des saints pour pouvoir reposer près de la communauté religieuse, à côté de l’endroit où l’on célèbre la messe et ainsi être présents dans les prières des religieux. Cela a aussi une utilité pour les vivants, car cela met en avant un certain prestige.

Au cours du moyen-âge, il y a une frange de plus en plus large de la population qui se fait inhumer à l’intérieur des églises. Des nobles, des bourgeois ainsi que des artisans sont enterrés sous des dalles funéraires au sol beaucoup plus simples qu’on appelle des plates-tombes. Les églises des ordres mendiants étaient de véritables nécropoles et l’on marchait sur les tombes. À partir du 18e siècle, une ordonnance interdit d’inhumer à l’intérieur des églises pour des raisons d’hygiène.

Propos recueillis et article rédigé par Sophie Bouchet, direction de la communication de l'Université Bordeaux Montaigne.

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