Entretien avec Coline Ruiz Darasse : pour mieux comprendre l’épigraphie gauloise - Université Bordeaux Montaigne

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Entretien avec Coline Ruiz Darasse : pour mieux comprendre l’épigraphie gauloise

Portrait de Coline Ruiz Darasse

Depuis janvier 2020, la chercheuse Coline Ruiz Darasse est coordinatrice du projet de Recueil Informatisé des Inscriptions Gauloises (RIIG). Avec le soutien de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), elle a bénéficié d'un projet Jeune Chercheuse & Jeune Chercheur (JCJC) dans le but de numériser et d'étudier les inscriptions gauloises. Elle nous présente ses recherches qui ont pour objectif de faire un état des lieux de notre connaissance de ces inscriptions.

Qu’est-ce que l'épigraphie ?

Coline Ruiz-Darasse : Ce sont les écrits que l’on trouve sur des matériaux non périssables comme la pierre, la céramique ou les métaux. L’épigraphie se différencie de la papyrologie. Je travaille sur l’épigraphie de langues d'attestation fragmentaire, c’est-à-dire les langues que l’on ne connait que partiellement. Ce sont des langues et des écritures qui sont parfois moins bien déchiffrées donc moins bien connues.

Quelles sont les dates qui balisent l'épigraphie gauloise ?

Elle s'étend entre le 2e siècle av. J.-C. et le 4e siècle apr. J.-C., c'est long. Lorsqu'on étudie une langue sur une période de six siècles, il faut avoir conscience qu'elle ne reste pas figée. Il faut bien arriver à comprendre ses variations et avoir une chronologie bien établie des inscriptions, ce qui n'est, pour l'instant, pas tout à fait le cas.

Sur quelle aire géographique retrouve-t-on ces inscriptions ?

On en retrouve en Gaule bien évidemment c’est-à-dire sur le territoire français et ses marges. Quelques textes ont été retrouvés dans le nord de l'Italie. Des Gaulois s’y sont installés et ont utilisé l'écriture locale (l'étrusque) pour écrire leur langue. De même, dans la vallée et le delta du Rhône, les Gaulois ont utilisé l’alphabet des colons grecs installés à Marseille pour noter la langue gauloise. C'est ce que l'on appelle le gallo-grec.

Progressivement avec l'implantation des Romains sur le territoire, c'est l'écriture latine qui va servir à noter la langue gauloise, ce qui donnera naissance à ce qu’on nomme le gallo-latin. L'établissement des Latins va permettre une diffusion beaucoup plus vaste de l'écriture. Mais le peuple gaulois était aussi voyageur, de ce fait, on a retrouvé de façon très ponctuelle quelques inscriptions en Allemagne, vers le Rhin et en Suisse. 

Il y a beaucoup d'intérêt à étudier les contacts entre chaque culture : les Grecs, les Latins, les Gaulois... Ces relations créent des mélanges de langues et d'écritures ce qui produit des adaptations. C'est grâce à ces adaptations que l'on peut parfois mieux comprendre comment les gens entendaient et comment ils appréhendaient les noms des autres. Le même mot écrit avec différentes transcriptions permet de mieux comprendre son oralité. Comme le fait de dessiner un objet sous différents angles permet de mieux le cerner.

Quelle connaissance avons-nous de la langue gauloise ?

Nous n'en avons qu'une connaissance partielle, nous avons en fait plus d’hypothèses que de réponses. Quand on étudie ces écritures, il faut aimer les puzzles avec des petites pièces. Lorsqu’on trouve une inscription, par comparaison et par fréquence d'attestation (par exemple dans un même contexte) on peut établir qu’elle appartient à un champ lexical funéraire, religieux ou économique...

Bien que complexe, le travail sur le gaulois est légèrement facilité par le fait qu’il appartient à la famille des langues celtiques dont certaines sont encore parlées. Cela nous donne une profondeur temporelle qui permet de faire de la linguistique historique. Certains termes ont pu évoluer par exemple vers le gallois, l'irlandais ou le breton et en faisant des comparaisons à l'intérieur d'une même famille de langues, on peut avoir un peu plus de certitudes sur le sens d’un mot.

« à mes yeux, un des intérêts majeurs de cette recherche, c'est qu’elle n'est jamais finie et que n'importe quelle découverte apporte des informations complémentaires ou peut aussi profondément remettre en cause certaines hypothèses. Cela nécessite d'apprécier de vivre dans le doute. On est entre le peut-être, le probablement, le vraisemblable, le possible et le non pas du tout. »

La forme épigraphique produit-elle un discours particulier ?

Il y a deux genres épigraphiques principaux :

  • Les inscriptions publiques qui vont être destinées au grand public : sur des monuments, mais aussi sur des pierres tombales… avec un contenu souvent onomastiques (relatif aux noms propres).
  • Les marques sur des objets de la vie courante qui ont pour but de rappeler leur appartenance.

Il y a également des choses plus rares et anecdotiques. Par exemple sur des sites de potiers, on récapitulait sur une céramique l'appartenance de chaque pièce à son artisan avant de les passer au four. Une fois la cuisson terminée, on pouvait ainsi restituer les poteries à leur propriétaire.
Ce qui continue à compliquer les recherches c'est que beaucoup de ces documents n'étaient pas faits pour être (re)lus, en tout cas pas par un œil aussi éloigné. Il y a des abréviations et des codes qui n'ont de sens que pour le scripteur.

Qui écrit en Gaule ? Qui produit ces inscriptions ?

Avant la conquête romaine, on ne peut pas certifier que tout le monde savait écrire, il est d’ailleurs fort probable que ce ne fut pas le cas. Les graveurs sont expérimentés et certaines personnes sont en mesure de faire des inscriptions très recherchées et élégantes. Mais il est plus qu'ardu de connaître l'alphabétisation et la littératie (la part de la population capable de lire et d'écrire pour fonctionner dans la société).
On a cependant l'assurance qu'à certains endroits il y a des écoles d'écritures où les étudiants font des abécédaires (alpha, bêta, gamma...) et s'entraînent à la rédaction de mots difficiles. On trouve des outils mnémotechniques pour apprendre des mots, des formes ou des lettres compliquées.

Comment va se dérouler l'ANR RIIG ?

Le Recueil Informatisé des Inscriptions Gauloise (RIIG) est l’héritier du RIG (Recueil des Inscriptions Gauloise) qui existait en version papier.
Le RIIG fait l'inventaire informatisé de toutes les inscriptions gauloises qui sont connues sur le territoire français et ses marges. Le corpus atteint 780 inscriptions publiées. Cela reste réduit, en comparaison, sur un seul site étudié par ma collègue Marie-Pierre Chaufray, il peut y avoir jusqu'à 4 000 papyrus.

Nous sommes une équipe de quinze personnes situées dans toute l’Europe. Ce projet regroupe des spécialistes des humanités numériques qui s'occupent de la préparation même du corpus, des linguistes qui s'attachent à la grammaire, au lexique, à la phonétique, à la morphosyntaxe et à l'évolution des formes lexicales et verbales ; des sociolinguistes qui considèrent la langue dans un environnement socio-économique et culturel et étudient ses modalités d'apparitions, et bien sûr et surtout des archéologues qui eux vont vérifier les contextes archéologiques, des numismates et des historiens.

Notre travail actuellement, avec Nolwenn Chevalier et Nathalie Prévôt est d'informatiser et de baliser chaque information qui est donnée dans le RIG, pour transformer ce volume papier en une base de données. Cela va permettre de faire des recherches précises par date, par type de mot, par géographie, par contexte, par suffixe...

Cependant ce n'est pas toujours simple, car les analyses peuvent être contradictoires. Il y a quelques certitudes, mais il y a aussi et surtout des possibles que l'on souhaite partager. Notre but est de faire progresser la compréhension des textes et de mettre à jour le réseau des hypothèses existantes sur le sujet et les méthodes qui ont permis de les élaborer.

Le projet a aussi pour objectif de montrer une documentation plus lisible et numérisée en trois dimensions. On pourra, par exemple, mesurer la profondeur des signes, la taille des lettres, leurs espacements... Tout cela donne des informations sur la façon dont l'objet a été gravé. Il va falloir refaire un certain nombre de clichés tout en conservant la trace des anciens.

« C'est un travail à la fois d'archive, de mise à jour, d'état des lieux et de progression dans la connaissance. »

Comment fonctionnera le site du RIIG ?

Nous nous appliquons à faire un site clair et ergonomique avec une base de données accessible à tous. L'autre objectif est d’offrir aux chercheurs le maximum d'informations. Notre corpus sera accompagné de fiches informatives sur les matériaux, le support, la localisation, les inventaires… Les recherches menées, la base de données et les photos seront en libre accès, pour pouvoir être accessible aux chercheurs, aux amateurs éclairés et plus généralement au public.

Site internet du RIIG.

Propos recueillis et article rédigé par Sophie Bouchet, direction de la communication de l'Université Bordeaux Montaigne.

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