Rencontre avec Marie Lomont Gonzalez, doyenne des diplômé·e·s de l'Université Bordeaux Montaigne - Université Bordeaux Montaigne

Formation

Rencontre avec Marie Lomont Gonzalez, doyenne des diplômé·e·s de l'Université Bordeaux Montaigne

Marie Lomont Gonzalez n'est pas une diplômée comme les autres. À 83 ans, elle vient d'obtenir un master Recherche en études littéraires à l'Université Bordeaux Montaigne. En racontant son histoire, Marie souhaite que d'autres personnes s'identifient à son parcours et qu'elles n'hésitent pas à accomplir leurs rêves d'études supérieures.

« À la fac, je ne réfléchis pas à mon âge, je suis juste étudiante »

Elle a longtemps cru que l’université, ce n’était pas pour elle. « Un autre monde », un monde que quelqu’un comme elle « ne pouvait pas atteindre » … Elle, c’est Marie Lomont Gonzalez, 83 ans. Son histoire est peu commune. Aujourd’hui titulaire d’un master d'études littéraires, délivré par l’Université Bordeaux Montaigne en juin 2019, Marie est même la doyenne des diplômé·e·s de notre établissement. Mais ne lui dites pas trop fort. « À la fac, je ne réfléchis pas à mon âge, je suis juste étudiante », assure-t-elle.

Lorsque nous l’avons rencontré, au second étage de la bibliothèque de Lettres et Sciences humaines, Marie était un peu gênée. Elle avait l’impression de ne pas être à sa place. Son portrait sur le site de l’Université Bordeaux Montaigne ? C’est une véritable étape. « Je suis un peu sauvage, s’amuse-t-elle. Je suis solitaire depuis longtemps et je n’ai rien dit à personne concernant mon entrée à la fac. Il valait mieux ne pas en parler que d’entendre des moqueries ».

Une enfance difficile

À la B.U., Marie est comme chez elle. « C'est l'endroit que je préfère, je compte m'y rendre encore souvent », murmure-t-elle en souriant. Tout son savoir réside dans ces murs. Elle montre au loin une petite table solitaire sur laquelle elle avait l’habitude de travailler, à l’abri du regard des autres. Après avoir salué les bibliothécaires qu’elle a souvent côtoyé·e·s ces dernières années, elle s’installe et répond aux questions silencieusement, par peur d’être écoutée ou observée, de s’attirer les foudres d’une salle qui est en réalité quasiment vide.

Ce caractère, Marie le cultive un peu malgré elle depuis une enfance difficile, passée en orphelinat jusqu’à ses 18 ans. « La vie était dure, se souvient-elle l’air un peu marquée. J’ai souffert des discriminations, de l’exclusion sociale par rapport aux enfants des familles riches. » À l’époque, la jeune girondine doit se contenter d’un certificat d’études, malgré ses rêves d'université. Elle se dirige rapidement vers une formation d’infirmière, une profession qu’elle exercera durant la majeure partie de sa vie.

Bien que satisfaite par sa vie professionnelle, Marie gardait tout de même un vide au fond d’elle-même. « J’avais honte de manquer de culture, avoue-t-elle. J’en ai eu honte toute ma vie ». Alors, pour y remédier, elle lit Le Figaro littéraire pendant ses trajets en bus. Mais ça ne lui suffit pas. Elle aspire depuis trop longtemps à suivre un véritable parcours scolaire. Le déclic a lieu au début des années 90 : à bientôt 60 ans, Marie décide d’obtenir le brevet des collèges. Une première étape vers laquelle elle s’engage avec une motivation gigantesque.

De la sixième à l’université

La nouvelle élève choisit de gravir les échelons un par un : elle suit tous les cours de la sixième à la terminale littéraire par correspondance, obtenant au passage le brevet en 1993. Sans trop oser y croire, Marie s’imagine alors sur les bancs de la fac. Elle s’accroche à cette lointaine chimère et, peu à peu, ses doutes commencent à de dissiper. Mais, à l’approche du baccalauréat, les épreuves scientifiques l’effraient : « Je n’y comprenais rien, souffle-t-elle avec douleur. Je craignais de rater mon bac à cause de ça ».

Par peur d’échouer dans une voie sans issue, Marie se dirige alors dans une autre direction. Ce nouveau chemin, c’est le DAEU (Diplôme d’accès aux Études Universitaire), un équivalent du baccalauréat pour les adultes en reprise d’études. Fini les sciences, Marie peut se consacrer à ce qui l’intéresse vraiment : les matières littéraires. Et cette fois, pas question de choisir la formation à distance. « Je voulais voir de mes yeux ce qu’on attendait de moi. J’étais en confiance, les autres élèves étaient un peu comme moi », souligne l’ancienne infirmière.

Marie décroche son DAEU A en 2003. Un sésame de grande valeur, puisqu’il lui permet d’enfin accéder au monde universitaire, en DEUG puis en licence de lettres. « On me trouvait bizarre quand on me voyait sortir de chez moi avec ma sacoche de cours », se rappelle-t-elle en haussant les sourcils. Elle prend sa voiture tous les matins pour se rendre sur le campus et prend plaisir à faire partie d’une promotion étudiante. « Même si je n’allais pas vers les autres, je me sentais intégrée dans un groupe, raconte-t-elle de sa douce voix. Je les entendais rire ou discuter et rien que ça, c’était très important. »

« L’université m’a portée, sans elle je serais morte … »

Malheureusement, Marie connaît de graves soucis de santé qui la forceront à stopper à plusieurs reprises son cursus universitaire. Mais ses séjours hospitaliers ne font que renforcer sa motivation. « Je suis tenace. C’est mon enfance qui me l’a appris. Si je veux quelque chose, je dois l’avoir ! », martèle l'étudiante avec des gestes un peu plus amples. Dans sa chambre d'hôpital, elle continue à lire, bien entendu. Lamartine, Balzac, Victor Hugo … Ce sont les romans qu’elle préfère. « On oublie presque qu’on est malade », assure-t-elle.

Durant ces périodes difficiles, Marie reste focalisée sur l'université. Lorsqu'elle en parle, son visage s'éclaire. « En dehors de la fac, j'étais perdue. Moi, j'aimais passer des journées entières à la bibliothèque. Je me nourrissais de livre, j'en oubliais parfois de manger ! L’université m’a portée, sans elle je serais morte … », confesse-t-elle silencieusement. Quand sa santé lui permet, Marie retourne en cours. Et grâce à sa détermination, elle obtient en 2011 une licence Arts, lettres, langues mention lettres et sciences du langage.

Ce parcours saccadé, Marie a su en faire une force. « Tous les ans, les œuvres que les professeurs demandent d'étudier changent, explique-t-elle lentement. Alors, quand je redoublais une année, je découvrais encore plus de livres et d’auteurs. J’avais deux fois plus de connaissances ! », se réjouit-elle. L'infirmière retraitée en profite aussi pour assister à de nombreux colloques, journées d'études ou séminaires. C'est durant l'un d'eux qu'elle se découvre un intérêt profond pour Victor Hugo …

Un mémoire de 150 pages entièrement écrit … à la main


À la B.U. Lettres "c'est l'endroit que je préfère !"
À l'orée de ce séminaire, Marie – alors entrée en master Recherche en études littéraires, toujours à l'Université Bordeaux Montaigne – n'a pas encore trouvé le sujet de son mémoire. Pierre Laforgue, un de ses professeurs, fait partie des intervenants. « Il a commencé à parler de Victor Hugo, se souvient-elle en louant le génie de l'écrivain. Ce que j'entendais sur lui me plaisait de plus en plus, j'ignorais tellement de choses … Alors j'ai pris beaucoup de notes. J'avais vraiment envie de pousser l'investigation, de m'y intéresser encore plus ! »

Pour Marie, la suite est évidente : son mémoire va porter sur l'auteur français, et plus particulièrement sur une de ses œuvres. Son sujet : Les Misérables de Victor Hugo, une étude littéraire et politique. Pour le traiter, elle jongle pendant des mois entre son domicile et la bibliothèque. « Les bibliothécaires étaient formidables, ils me conseillaient et m'aidaient à chercher les livres dans les rayons, dit-elle en les désignant du doigt. Chaque fois que je trouvais une idée à inscrire dans mon travail, je ressentais une immense satisfaction. »

Marie met plus de deux ans à terminer son mémoire de 150 pages, soutenu à la fin du mois de juin. Réticente aux ordinateurs, elle l’a entièrement rédigé à la main. « Je suis un rat de bibliothèque et pas une souris d’internet !, clame-t-elle, assez fière de sa formule. Mon mémoire, je l’ai fait et je l’ai refait, commencé et encore recommencé. J’ai rendu 150 pages mais j’ai au moins dû en écrire quelques centaines d’autres, insiste-t-elle en montrant l’effort auquel elle a consenti. C’était difficile, mais c’était aussi un vrai plaisir ».

Et maintenant, une licence d'espagnol ?

Au bout d'un long périple, Marie récolte aujourd’hui le fruit de lourds efforts solitaires. « Je n’aime pas déranger les gens, alors je n’ai jamais demandé beaucoup de conseils », admet-elle en haussant les épaules. Cela ne l’a pas empêché d’obtenir une mention bien pour son mémoire, dernière marche à gravir pour valider son master. « Mes journées, c'était : le mémoire, le mémoire, le mémoire. J’ai délaissé ma maison et mon jardin. L’herbe a poussé maintenant, mais je vais pouvoir m’en occuper », sourit-elle sans regret.

Du temps pour son jardin, vraiment ? Pas si sûr. Marie est avide de nouveaux défis. Ces dernières années, elle a un peu délaissé l'étude de l'espagnol. Alors, maintenant qu’elle a obtenu un master de lettres, pourquoi pas s’y consacrer ? « J’ai envie de prendre des cours du soir et après, quand je serai au niveau, je pourrais très bien commencer une nouvelle licence !, lance-t-elle sans sourciller. L'université me fait rester jeune. Ici, je mange au Sirtaki et au Veracruz, je suis une véritable étudiante. Pourquoi je partirais ? »

À la fac, Marie a trouvé une confiance en elle qui l'avait toujours un peu fui. À la fin de notre entretien, elle expose fièrement ses diplômes, qu'elle avait soigneusement rangés dans un classeur. « C’est ma fierté, évidemment. Plus jeune, je pensais que je n’aurai jamais accès aux études. Aujourd’hui, je ne ressens pas de haine, mais j’ai réussi ce défi personnel », témoigne-t-elle, visiblement émue.

Sous l’œil de Montaigne, Marie a tracé « les lignes de sa vie, de son histoire ». Une histoire qui continuera de s'écrire dans les prochaines années, mais cette fois dans la langue de Cervantès.

Propos recueillis et article rédigé par Joachim Gonzalez Martinez,
direction de la communication

footer-script