Kamala Marius, nommée au grade de chevalier de l’Ordre de la Pléiade - Université Bordeaux Montaigne

Distinctions

Kamala Marius, nommée au grade de chevalier de l’Ordre de la Pléiade

Kamala Marius, Maîtresse de conférences en géographie et Habilitée à Diriger des Recherches à l’Université Bordeaux Montaigne, vient d'être nommée au grade de chevalier de l'Ordre de la Pléaide. 

Le grade de chevalier de l’Ordre de la Pléiade est l’un des cinq grades de cet ordre honorifique créé en 1976 par l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF). Il récompense les personnes qui ont contribué au rayonnement de la francophonie, que ce soit dans les domaines culturel, scientifique, politique ou social.

Rencontre avec Kamala Marius

Quel est votre parcours ? 

Maîtresse de Conférences en géographie depuis 1996, habilitée à diriger des recherches depuis 2012, qualifiée par le Conseil National des Universités (CNU) en 2013 et 2017, promue hors classe en 2015 et classe exceptionnelle en 2023, j’ai toujours cherché à concilier enseignement, recherche et responsabilités diverses. Après des vacations à l'IUT Carrières Sociales et dans diverses organisations (chambre de commerce, agence d'urbanisme), mes activités d’enseignement en tant que titulaire se sont déroulées successivement à l’UFR de Géographie et d'Aménagement de l’Université de Paul Valéry (Montpellier 3) de 1996 à 2001, à l’UFR Sciences des Territoires et de la Communication de l’Université Bordeaux Montaigne depuis 2003, ainsi qu’aux IEP de Bordeaux (depuis 2003), Strasbourg (2015-2024), et à l’IEDES/Paris 1 Panthéon Sorbonne (2021-2023), à l’exception de recherches entre 2001 et 2003 à l'UMR Regards (CNRS/IRD) à Bordeaux et une mission à l’Institut Français de Pondichéry (2012-2013).

À Montpellier comme à Bordeaux, j’ai été recrutée sur un profil de géographie rurale, mais j’ai enseigné des matières variées : statistiques descriptives, aménagement du territoire en France, géographie sociale, géographie économique, urbaine, développement, du genre, des espaces émergents. J'ai accompagné des étudiants à tous les niveaux, de la licence au master, dans divers programmes comme le Master Genre-sociétés et culture de l'Université Bordeaux Montaigne, le Master Genre et développement (Paris Panthéon Sorbonne), et des masters à l'IEP de Bordeaux.

Mes recherches ont été menées au sein de plusieurs UMR, dont l’UMR Espace/Montpellier (1996-1999), UMR Regards/CNRS/IRD (1999-2003), UMR Ades/CNRS/Bordeaux (2003-2014), et UMR LAM à Sciences Po Bordeaux depuis 2015. Je collabore également depuis 40 ans avec l’Institut Français de Pondichéry (Inde), et j’ai travaillé sur des projets en Asie du Sud-Est et en Afrique.

Mon activité de chercheuse a une forte dimension internationale, par mon implication en tant que chercheuse associée à l’Institut Français de Pondichéry (Inde) depuis près de 40 ans. Je me suis peu éloignée du terrain indien, sauf dans le cadre d’une recherche post-doctorale au Sud Vietnam (1992) et d’une collaboration avec les collègues de l’Université de Dhaka (Bangladesh) sur les questions de peuplement urbain (2010). 
Les différents programmes de recherche sur lesquels j'ai travaillé quasiment tous localisés à l’Institut Français de Pondichéry ont permis d’attirer, en moyenne chaque année entre 2 et 7 stagiaires et des doctorantes à l’Institut Français de Pondichéry ; les stages ont été généralement financés grâce à une bourse de mobilité. J’ai effectué régulièrement un encadrement de ces stagiaires en Inde et plus récemment un encadrement des doctorantes.

A l’échelle de mon université, afin de pérenniser cette collaboration et ces échanges d’étudiants et de professeur.e.s avec l’Université de Pondichéry et l’Institut Français de Pondichéry, j’ai mis en place une convention tri-partite dont je suis responsable depuis 2012. Grâce au succès de cette convention, la convention a été élargie aux autres institutions bordelaises (Sciences Po Bordeaux et l’Université de Bordeaux). 
À l’échelle nationale, en tant que membre du CNFG Villes, j’ai fait partie du comité d’organisation de l’UGI 2022 consacré au « temps des géographes ».

Sur quoi portent vos travaux de recherche, et quels en sont les principaux enjeux ?

Genre, travail, inégalités en pays tamoul

Mon terrain d’étude privilégié est l’Inde du Sud, d'autant que je parle couramment le tamoul. Pour l’HDR, j’ai choisi de me concentrer sur un « pays émergent » en pleine mutation économique et sociale, où les inégalités de genre sont un facteur majeur d’inéquité. Aborder la question de l’inégalité de genre en Inde n’est pas simple, car ce pays présente une diversité et une pluralité uniques. Il est essentiel de se demander si ces inégalités doivent être vues comme distinctes ou comme interdépendantes.

Une approche intersectionnelle m’a semblé pertinente pour analyser simultanément les inégalités liées à la caste, la classe, l’orientation sexuelle, la religion, le travail et le lieu géographique. Ces variables influencent la construction des genres et leur spatialité. L’appartenance à un groupe social, religieux ou de caste, dans un territoire donné, peut modifier l’impact des injonctions sociales. Ces travaux issus de l’HDR ont fait l’objet d’un ouvrage personnel et inédit en 2016 (Les inégalités de genre en Inde, regards au prisme des études postcoloniales) de 300 pages, paru chez Karthala.

Systèmes de peuplement urbain, dynamiques urbaines, numérique 

Mon intégration à l’UMR LAM de Sciences Po Bordeaux depuis 2015, tout en restant chercheuse associée à l’IFP, m’a permis d’élargir mes perspectives de recherche sur les questions urbaines, en complément de ma participation à un groupe de recherche depuis ses débuts  Nos analyses de e-Geopolis/Indiapolis ont mis en évidence la prolifération des petites agglomérations non classées urbaines. Parallèlement à cette émergence des petites villes, l’un des apports majeurs réside dans la mise en évidence d’une étendue nettement plus vaste des périphéries des métropoles et des villes secondaires par rapport aux données officielles.

Le programme SUBURBIN (Subaltern Urbanisation in India), financé par l’ANR Suds, a exploité les données et résultats obtenus dans le cadre de l’ANR Corpus eGeopolis/Indiapolis, ainsi que ceux issus d’une série de recherches antérieures portant sur la gouvernance urbaine et les dynamiques périurbaines. Ce programme nous a permis de formuler et d’entamer des travaux sur « l'urbanisation ordinaire » dans les provinces indiennes.

Dans ce cadre scientifique, je me suis également investie dans un projet de recherche financé par la Région Nouvelle-Aquitaine sur « la production et la régulation urbaines saisies par le numérique : mobilités et habitat », dirigé par G. Pinson (UMR CED, IEP Bordeaux). Ce projet, démarré en 2019, s’interroge sur les bouleversements induits par la généralisation des technologies et des pratiques numériques dans la fabrication et la gestion des villes et des territoires interurbains.

Pour illustrer cette transition numérique en Inde, il nous a paru pertinent d’étudier le cas de l’État du Telangana et de sa capitale Hyderabad, qui a anticipé dès les années 1990 une transition économique et numérique originale, devenant ainsi une capitale de l'innovation et un moteur de croissance d'une économie globalisée bien avant la décision du gouvernement actuel de développer ses 100 "smart cities".

Les premiers résultats de terrain ont été mobilisés lors des journées d’étude (8-9 novembre 2022) que j’ai organisées à Hyderabad (en hybride et virtuel). Ces journées ont réuni plus de 20 chercheurs, professeurs et professionnels français et indiens du secteur des villes intelligentes pour discuter des défis de gouvernance, de logement et de mobilité dans nos sociétés contemporaines.

La fabrique urbaine au prisme des mobilités quotidiennes genrées : quelle place pour les TIC ? 

A Pondichéry où prédominent les deux roues motorisés (51% des trajets) et les bus traditionnels (19% des trajets), les premiers résultats font apparaître un manque criant de possibilités de se déplacer dans la ville intra-muros, en raison du lobby des autorikshaws (tricycle motorisé), même si les femmes en périphérie urbaine se déplacent avec des grands autorikshaws partagés.

Une enquête qualitative est nécessaire pour compléter l'enquête quantitative sur la perception des modes de transport par les femmes, dans un contexte où elles sont plus ou moins en charge des tâches ménagères selon les catégories sociales concernées. Les femmes interrogées discuteront de leurs besoins et attentes quotidiennes en matière de mobilité pour elles-mêmes et leur famille et de leur perception des voitures et des deux-roues par rapport à leur utilisation de ces modes et d'autres moyens de transport dans un contexte de transition écologique. 

Francophonie, diaspora, citoyenneté, Pondichéry 

L’autre projet de recherche en cours s’inscrit dans l’axe 2 « Espaces, im(mobilités), diasporas » de notre laboratoire. Avec ma collègue historienne Arundhati Virmani de l’EHESS d’Aix-Marseille, nous avons démarré cette recherche juste avant la Covid (2019). Il concerne la diaspora franco-indienne ou plus exactement les pondichériens français issus des anciens comptoirs de l’Inde française. Ceux qu’on appelle indistinctement les « Pondichériens », regroupent ceux qui viennent de Karaikal au sein du Tamil Nadu, de Mahé au sein de l’actuel Kérala, ou de Yanaon en Andhra Pradesh.
L’histoire des anciens comptoirs français en Inde a naturellement eu ses historiens, la plupart français, mais elle n’a pas suscité une intense introspection, ou une production créative de poèmes, films, romans, ou même des archives personnelles, qui ont caractérisé d’autres expériences de décolonisation française. Le « transfert » des comptoirs français en Inde est probablement la plus soft de toutes les décolonisations, comparée à celle de l'Indochine ou d'Algérie.
C’est encore aujourd’hui une communauté discrète qui ne se fait pas remarquer, ni par ses revendications militantes, ni par un lobbying communautariste pour des mémoriels dans l’espace public ou pour exiger des excuses de l’État. Comme si l’insertion des sujets colonisés en France s'était faite sans douleur, sans déchirement, comme si elle n’avait soulevé aucune question, ni pour eux ni pour le pays et la société d'accueil.
Nos analyses ne se satisfont pas d’une histoire linéaire, liée au seul grand récit de la colonisation et de la décolonisation. Elles nous font apprécier les actions et les stratégies des acteurs, forgées en réponse aux contraintes et aux exigences multiples, familiales, locales, coloniales. Dans le moment actuel, elles font sortir les complexités de relations qu’elles entretiennent avec leurs passés. Sans aller jusqu’à la contre-mémoire ou au contre-récit, notre enquête entend retrouver les voix de ces franco-indiens.
Jusqu’à présent, nous avons mené des entretiens auprès des Pondichériens à Marseille, Strasbourg, en région parisienne et à Pondichéry. Nos premiers résultats ont déjà fait l’objet de séminaires, de conférence à l’Alliance Française, d’interviews pour les médias.

Que représente pour vous l'obtention de cette distinction ? 

"Recevoir cette distinction, être nommée Chevalier de l'Ordre de la Pléiade, est avant tout un immense honneur, mais également une grande responsabilité."

Pour moi, cela représente bien plus qu'un accomplissement personnel ; c’est une reconnaissance collective du travail que nous avons mené ensemble lors du gros colloque sur la francophonie en Inde, notamment avec mes collègues du pôle bordelais (Mariella Causa, Florence Pelligrini et Maurice Niewese), de l’Université de Pondichéry (Sharmila Acharif  et Sharmili Jayapal), le réseau Francophonea en particulier Giovanni Agresti, aujourd’hui directeur de l’AUF Maghreb, et de nombreuses institutions partenaires (Consulat de Pondichéry l’Institut Français de l’Inde et le bureau du Québec de Mumbai). Ce travail s’inscrit dans une démarche de coopération et d’échange, et cette distinction en est une belle confirmation.
Pour moi, cette distinction symbolise l’importance de la francophonie. Elle met en lumière l’impact que peut avoir la langue française sur les sociétés postcoloniales et sur le dialogue interculturel, en particulier à travers des initiatives comme celles que j’ai menées en Inde, avec un colloque qui a réuni plus de 70 communicant.es venant de toutes les grandes villes de l’Inde et d’ailleurs en Asie.

Elle souligne aussi l'importance de la francophonie dans des contextes postcoloniaux, comme celui de l'Inde, où la langue et la culture françaises peuvent jouer un rôle crucial, d’autant que c’est la première langue étrangère apprise en Inde. Notre colloque, les échanges nombreux entre les chercheurs, les chercheuses et les trois écrivains de l’Océan Indien (Ari Gautier de Pondichéry, Shénaz Patel de l’Ile Maurice, et Karpanin Marimouttou de la Réunion), ainsi que la mise en avant de thématiques liées à la littérature francophone, à l’apprentissage de la langue française, à la diaspora francophone, à l'engagisme ou à la littérature postcoloniale, témoignent de l'impact de la francophonie au-delà de l'Hexagone.

Cela me donne une responsabilité accrue pour l'avenir, car cela témoigne de la reconnaissance de l’importance de la francophonie en Inde et au-delà. J'espère que cette distinction permettra de dynamiser de nouveaux projets de coopération, notamment au sein de la communauté universitaire. Cette distinction m’encourage à poursuivre dans cette voie, à renforcer la coopération inter-universitaire, et à contribuer à l’émergence de nouveaux projets ailleurs dans le monde." En effet, avec francophonéa, nous co-organisons un colloque sur les francophonies arabes qui aura à l’Université Senghor d’Alexandrie en octobre prochain.

Quels sont les projets à venir ? 

Le projet Mémoires, circulations et citoyennetés : l’expérience des Français de Pondichéry depuis 1881 pourrait contribuer aux recherches francophones en cours sur l’océan Indien.
Notre webinaire en novembre 2023, puis notre colloque en 2024 ont fait émerger quelques thématiques au-delà de notre recherche en cours. La position plutôt stratégique de Pondichéry dans l’océan Indien ainsi que les liens historiques de Pondichéry avec les « îles engagées » qui perdurent depuis la colonisation serait l’occasion de s’intéresser davantage à la littérature postcoloniale francophone qui peut être aussi un outil interculturel performant tant sur le plan pédagogique que scientifique. Il existe un intérêt de plus en plus fort pour les œuvres francophones, notamment d’Afrique et de l’océan Indien, parmi les collègues du monde indien, sans doute à cause du contexte colonial et décolonial similaire, notamment de l’engagisme.

Une demande très forte du département de langue française de l’Université de Pondichéry a émergé lors du renouvellement de cette convention avec le pôle bordelais, à savoir une coopération inter-universitaire dans le domaine de la francophonie tant sur le plan de la formation que de la recherche académique. Aussi, avec l’aide du réseau Francophonea (réseau de recherche néo-aquitain sur les francophonies), j’ai co-organisé en hybride à l’Université de Pondichéry, un workshop sur la francophonie en Inde qui a attiré près de 80 participants (novembre 2023)

Suite au succès de ce premier webinaire, j’ai prolongé cette collaboration fructueuse avec francophonea, en prenant part à l’organisation avec mes collègues de l’Université de Pondichéry, d’un colloque international sur la francophonie en Inde, enseignements/apprentissages, multilinguisme, représentations et diaspora les 9, 10 et 11 septembre 2024. D’autres institutions francophones comme le consulat de Pondichéry, le consulat du Quebec à Mumbay et l’Alliance française de Pondichéry se sont aussi associés à cet événement. Labellisé par le sommet de la francophonie 2024, ce colloque a réuni près de 70 intervenant.es des universités indiennes  et du monde entier ainsi que des écrivains de l’océan Indien. Les nombreux participants ont pu se retrouver autour de 17 ateliers sur des thèmes variés.

Une publication des meilleures communications est prévue en 2025 avant l’organisation d’un webinaire en 2025 et d’un colloque en 2026 avec la collaboration de l’AUF.

L’affiliation avec l’Université de Pondichéry contribuera à attirer des doctorants et doctorantes dans ce nouveau domaine de recherche et à renforcer la visibilité de l’Université Bordeaux Montaigne au niveau du grand campus bordelais d’autant que la convention multipartite a été signée en 2023 avec le pôle universitaire bordelais pour une durée de 5 ans.

Quelques publications majeures
K.Marius, L’Inde, une puissance vulnérable, Bréal (Coll. thèmes et débats, géopolitique),2018, 180 p, 2e édition, 2021 - Voir la vidéo
K.Marius, Les inégalités de genre en Inde, regards au prisme des études postcoloniales, Karthala,  2016, 300 p. ⟨hal-01522707⟩
K.Marius, Rethinking the intersectionality of socio-spatial relations in poscolonial India, the case study of a small industrial town in India”, In D.Upadhyaya et al.,Gendered cityscapes, gender identity, equity and marginalization in urban India, Rawat Publishers, 2021
K.Marius, « On ne ne naît pas femme de couleur, on le devient », Esquisses, carnets de recherche du LAM, 2022
K.Marius, G.Venkatasubramaniam, Industrial clusters and economic resilience, the case of Ranipet in Tamil Nadu (India), Revue internationale des études du développement n° 236 (2018-4)
E.Denis, K.Marius-Gnanou, Toward a better appraisal of urbanization in India, a fresh look at the landscape of morphological agglomerates, cybergeo, european journal of geography, Systems, Modelling, Geostatistics, article 569, Online since 28 November 2011,
K.Marius-Gnanou, « Nouvelles activités économiques et dynamique métropolitaine : le cas de la périphérie Sud de Chennai (Inde) », numéro thématique Mutations économiques et recompositions territoriales en Asie du Sud et du Sud-Est, Annales de Géographie, 2010.
I.Guérin, K.Marius-Gnanou, J.M.Servet, T.Pairault, Microfinance en Asie : entre traditions et innovations, Karthala, IRD/IFP, 2005 

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