Juillet 8- Nadine Rouquette - Université Bordeaux Montaigne

Minotaure et labyrinthe, l'indicible et l'invisible. Expression du mythe dans la littérature québécoise

 

Doctorante : Nadine Rouquette

 

Date: 08 juillet 2016 à 14h00
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Salle des thèses- Bâtiment Accueil 2ème étage
Esplanade des Antilles
33600 Pessac

Résumé

Minotaure et labyrinthe, l’indicible et l’invisible, expression du mythe dans la littérature québécoise
La mythologie demeure un socle incontournable qui sous-tend les textes littéraires, passés, présents et futurs. Elle s’apparente à un champ narratif susceptible de placer l’homme face à la temporalité de l’existence, lui permettant en outre de trouver sa voie à travers l’art. La littérature permet d’appréhender cette temporalité tout en la densifiant. Au sein de la littérature québécoise Minotaure et Labyrinthe émergent auréolés du « Grand Temps » dans les méandres des fractures civiles opérées par l’histoire. A l’aube du XXIème siècle le mythe réapparaît dans ses parties visibles et invisibles à l’aune d’une terre migratoire en pleine émergence littéraire. Mythe, écriture et lecture s’avancent plus ou moins masqués au travers des figures du Minotaure et du labyrinthe particulièrement propres à les rendre indivisibles. L’étude de ce mythe a été inspiré dans un premier temps par le roman de l’écrivain québécois contemporain Jean Barbe (1962-), qui a réactualisé la figure du Minotaure dans son roman Comment devenir un Monstre paru en 2004, et maintenu ce fil mythologique d’Ariane jusque dans son dernier roman : Le Travail de l’huître, paru en 2008. Il y développe les deux aspects principaux de cette figure : monstruosité et labyrinthe. La lecture de Jean Barbe a entraîné une remémoration des mythèmes Minotaure et Labyrinthe qui apparaissent également dans des ouvrages québécois contemporains notamment depuis les années soixante. Des auteurs tels qu’Hubert Aquin (1929-1977) : Les Sables mouvants, 1953, L’Invention de la mort. 1961, Prochain épisode, 1965, Trou de mémoire. 1968, L’Antiphonaire. 1969, Neige noire. 1974 et Gilbert La Rocque (1943-1984) : Le Nombril. 1970, Corridors. 1971, Après la Boue, 1972, Serge d’entre les morts. 1976, Les Masques, 1980, Le Passager. 1984, développent une écriture et des thématiques particulièrement propres à éclairer ce propos. Leurs écritures quoique différentes sont caractérisées toutes deux par des mouvements labyrinthiques sensibles dans tous leurs ouvrages. D‘autres auteurs aux écritures plus accessibles se réfèrent cependant d’une autre manière à ce mythe, nous permettant d’essayer d’en démontrer la prégnance et la plasticité tant du point de vue du signifiant que du signifié. De ces ouvrages écrits dans des styles littéraires divers vont ainsi se dégager des constantes littéraires qui pourraient être liées spécifiquement au corpus québécois. L’étude sera complétée par des auteurs des générations précédentes : Gabrielle Roy (1909-1983) : Alexandre Chenevert sera une autre figure marquante de l’étude avec Yves Thériault (1915-1983), La Fille laide, 1950, Agaguk, 1958 et Anne Hébert (1916-2000) : Les Chambres de bois, 1958, Le Torrent, 1963., Kamouraska, 1970, Les Enfants du Sabbah, 1975, Les Fous de Bassan, 1982, mais aussi contemporains d’Hubert Aquin et de Gilbert La Rocque : Gérard Bessette, L’Incubation, 1965, Réjean Ducharme (1941-) : l’Avalée des avalés, 1966, Suzanne Jacob (1943-) : L’Obéissance, 1991, Jacques Renaud : Le Cassé, Michel Tremblay (1942-) : Un Objet de beauté, Marie-Claire Blais (1939-) : La Belle bête, 1959, .Le Jour est noir, 1962, le Sourd dans la ville, 1979, Aude/ Claudette Charbonneau-Tissot (1947-2012) : Contes pour Hydrocéphales adultes, 1974 (nouvelles), La Chaise au fond de l’œil, 1979, Banc de Brume ou les aventures de la petite fille que l’on croyait partie avec l’eau du bain (nouvelles), 1987, Cet imperceptible mouvement (nouvelles),1997, Quelqu’un, , Robert Lalonde (1947-), L’Ogre du grand remous, 1992. Le mythe évolue mais perdure avec les nouvelles générations d’écrivains : Gaëtan Soucy (1958-2013) : L’Immaculée Conception (1994), La petite Fille qui aimait trop les allumettes (1998), Jean-François Beauchemin (1960-) : Mon Père est une chaise, Le Jour des Corneilles 2004,., Anne Dandurand, Petites âmes sous ultimatum (nouvelles), 1991, C’est rien j’angoisse (Journal Imaginaire (nouvelles),1987, Louis Hamelin (1959-), Cowboy, et enfin Sylvain Trudel (1963), Le Souffle de l’harmattan, 1986, Du Mercure sous la langue, 2001, La Mer de la tranquillité. (nouvelles) 2006. Toujours vivace le mythe continue de fasciner : Marie-Hélène Poitras (1975-) : Soudain le Minotaure (2002), Biz/ Fréchette (1974) : Mort-Terrain, 2014 Julie Hétu (1976-), Mot. 2015 et d’être mis en scène de façon singulière et significative. Comme le dit Pierre Brunel : « Avouons que la littérature est le véritable conservatoire des mythes. » , un conservatoire qui éclaire le présent à la lumière du passé. Des voix féminines vont dans le sens de celle de Régine Robin, issue de la vague d’immigration liée à la deuxième guerre mondiale et qui trouve au Québec un lieu « habitable » de la littérature. Les voix de l’écriture migrante sont loin d’être négligeables quant à la présence de ce mythe, celles de Marie-Célie Agnant (1953 Port-au-Prince-) : Le Livre d’Emma, 2001 et de Ying Chen (1961 Shanghai-) : L’Ingratitude, 1995, permettront de dégager un système de stratifications culturelles au sein d’une acculturation significative.
Le choix du roman s’est imposé en raison du rapport aigu des québécois à l’histoire, même si le mythe est sensible dans des ouvrages de théâtre. En dehors du fait de traiter d’un « Fait social total » , qui correspond à une imbrication en son sein de l’économique, du religieux, du droit, du politique, de l’esthétique et de l’éthique, le mythe a l’avantage à travers le roman d’introduire une mimétique du labyrinthe ou du moins de le figurer par l’écriture. Des nouvelles font également parties du corpus car elles sont une forme d’expression bien particulière au Québec, liée à la fois à une culture du conte et à un choix d’édition prolifique. Elles reflètent aussi un usage de type anglo-saxon qui, tout en adoptant la chronique en amont, et donc la relation de faits réels, accorde de la souplesse aux genres ; les termes « novel » et « romance » ont en effet des frontières mouvantes qui seront utilisées à plein par le registre fantastique. Le choix du roman dans cette étude relève à la fois d’une cohérence de corpus et de la nécessité d’étudier le subtil mélange du réel et de la fiction opéré plus particulièrement dans le mythe. La dominante de l’imaginaire en littérature québécoise sera une autre pierre apportée à l’édifice mythologique au sein duquel Minotaure et labyrinthe ne sont qu’une seule et même entité. Le croisement des textes et des territoires permet d’adopter une perspective anthropologique sous l’égide des travaux de Gilbert Durand : Les Structures anthropologiques de l’imaginaire et des Logiques de l’Imaginaire de Bertrand Gervais. Il ne s’agira à proprement parler ni de mythanalyse ni de mythocritique ainsi qu’Antoine Sirois a pu le faire pour plusieurs ouvrages du corpus ou de ses auteurs, mais de « déceler » dans les textes littéraires « un noyau mythologique, ou mieux un patron (pattern) mythique » qui pourrait rendre compte du fait social québécois. Le mythe se révèle être un prisme majeur de notre regard sur le monde et la figure du Minotaure un éclairage flagrant par la figuration concrète de son ambivalence. Cette ambivalence peut-elle saisir la spécificité de la littérature québécoise contemporaine en ce qu’elle révèle les fractures liées à son histoire ? Permet-elle de révéler une double influence anglophone et francophone à l’écriture parfois irréconciliable ? Le labyrinthe, attaché indéfectiblement au Minotaure, tour à tour efface ou fait ressurgir le monstre innommable. L’invisible se joint alors à l’indicible dans une course de l’écrivain au sein de sa propre création. La question du repérage des mythes dans des textes qui n’en sont pas des réécritures, à quelques exceptions près, s’est alors posée. L’ouvrage d’André Siganos sur le Minotaure relève trois fondamentaux du mythe : transgression, dévoration et mise à mort. Ces fondamentaux ont évolué en trois points, d’une part en raison du mythème du labyrinthe qui représente un fondement de cette étude car elle essaie de circonscrire l’ensemble du mythe, d’autre part en raison d’une thématique qui s’est révélée prégnante lors de cette recherche, celle de l’enfermement. L’enfermement ne s’est donc pas substitué à la transgression mais l’a englobé. La transgression est en effet le motif d’incarcération du Minotaure au sein du labyrinthe. Le corpus final a donc été arrêté en fonction de ces trois fondamentaux le corpus complémentaire ne les détenant pas forcément tous les trois. Lors de l’étude de ce corpus des constantes se dégagent à partir des mythèmes Minotaure et Labyrinthe qui pourraient être spécifiques à la littérature québécoise. Tout d’abord, dans plusieurs de ces ouvrages, une inversion féminisée de la figure du Minotaure a en effet lieu. La mère se détache de ses enfants ou les maltraite comme Pasiphaé se sépare de son fils monstrueux en l’enfermant dans le labyrinthe, portant ainsi au premier plan la figure de la mère par rapport à celle du père. Cette position matriarcale renvoie à la figure défaillante du père qui prend au Québec un aspect particulièrement politique. En second lieu l’expression duelle de la figure du labyrinthe est redondante ou substitutive à celle du Minotaure en tant que lieu de l’altérité et de l’identité. Enfin la primauté est donnée à la voix de l’enfant, identifié à celui qui ne parle pas, il évoque son trauma dans un langage neuf et intériorisé. Cette recherche se penchera en premier lieu sur la fabrication du mythe du « grand temps » qui suivra le monstre jusqu’à nos jours, un monstre devenu contemporain à l’aune des rivages québécois. C’est à travers les lieux du mythe que cette étude se poursuivra afin de confirmer les liens inextricables du monstre et de son antre confronté aux lois de l’extrême canadien. La tentative de circonscription des deux mythèmes tissera le fil d’Ariane de la quête et de la perte par la voie de l’écriture libératrice. Ainsi pourra se dévoiler la reprise d’un mythe étroitement lié à la création littéraire et par conséquent au langage, le Minotaure se confondant alors avec l’écrivain, le labyrinthe avec l’écriture et la création avec la mort. La nouvelle fonction du mythe selon Lévi-Strauss qui est de révéler tout en les masquant des contradictions idéologiques et sociales s’applique particulièrement à la situation politique du Québec au sein du Canada.

 

 

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