Juillet 11 - Graziella Couasnon - Université Bordeaux Montaigne

"Cul et chemise", "Modes et travaux", "Emilie et Nathan" : étude des principes gouvernant la coordination "et" de deux mots en français

Doctorante: Graziella Couasnon

 

Date: 11 juillet 2016 à 13h30
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de la recherche- Salle de conférence
Esplanade des Antilles
33600 Pessac

 Résumé: 


Ce travail de thèse a pour objectif l’étude des principes gouvernant la coordination par « et » de deux mots en français. Il a pour but de rendre compte l’émergence de facteurs actifs dans la sélection d’un ordre préférentiel de coordination binaire directe par « et », hors contexte, dans une visée essentiellement phonologique ; et ainsi de tenter d'en proposer une pré-hiérarchisation en français.

Dans cette étude, nous appréhendons les principes qui déterminent l'ordre des éléments dans des binômes du type « Cul et chemise », « Modes et travaux » ou « Émilie et Nathan ».
Il apparaît que pour ces exemples, l'ordre présenté ici est l'ordre préférentiel en français. On préférera, en effet, « Cul et chemise » à « Chemise et cul », « Modes et travaux » à « Travaux et modes » et « Émilie et Nathan » à « Nathan et Émilie » ; il est clair que les locuteurs natifs privilégient souvent spontanément un ordre à un autre dans ce type de formations, et/ou qu'ils jugent plus naturelle que l'autre l'une des deux combinaisons possibles.
Partant de ce constat, la question qui se pose est de savoir quels sont les facteurs qui régissent l'ordre de ces constituants en français. Peut-on assigner la sélection intuitive d'une séquence binomiale coordonnée à des facteurs morphologiques, syntaxiques, sémantiques, culturels, sociologiques, ou autres ? Et qu'en est-il des contraintes phonologiques jusqu'ici largement négligées en français ?

Pour répondre à ces questionnements, dans une première étape, nous avons construit des supports d'étude nous permettant de relever des données statistiquement validées par un test d'ajustement.
Ce que nous appelons support d'étude est en fait un ensemble de six corpus et de six questionnaires d'enquêtes que nous avons mis en place afin de recouvrir le panel le plus représentatif possible des composés syndétiques directs par « et ». Le principe premier de nos supports d’étude est que chaque composant, bien qu’autonome, demeure étroitement lié aux autres. Ainsi, les six corpus s'articulent les uns avec les autres : TOM ET ZOÉ est un corpus de prénoms coordonnées par « et », TARN ET GARONNE relève des toponymes, CUL ET CHEMISE, des expressions figées, ARTS ET MÉTIERS, des noms d’institutions, d’écoles, VITE ET BIEN, des collocations dans le sens statistique du terme et LISSE ET SOYEUX des allégations publicitaires.
Parallèlement, les questionnaires d’enquêtes découlent de cet ensemble. Ils sont tous les six issus de l’exploitation des premiers résultats fournis par le corpus TOM ET ZOÉ.

Une fois affranchi de l’aspect méthodologique de notre travail, nous avons organisé l’exploitation de nos données en définissant une liste de critères classificatoires. Ces critères nous ont permis de mettre au jour deux types de résultats : des résultats extraphonologiques et des résultats phonologiques.

Ainsi, dans une deuxième étape, nous avons mis au jour la prégnance de facteurs extraphonologiques tels que le facteur sériel, le facteur morphologique, les facteurs sémantiques, les facteurs psycho-affectifs et le facteur associant la fréquence des mots à leur position dans la séquence binomiale coordonnée.
Ces cinq facteurs ne jouent pas le même rôle.
Si les facteurs sériels et les facteurs morphologiques peuvent être l’artefact de facteurs phonologiques comme le facteur de taille, les facteurs sémantiques, les facteurs psycho-affectifs et les facteurs liés à la fréquence des mots, quant à eux, ne laissent aucun doute quant à leur prévalence. Ils sont tous trois particulièrement actifs dans la sélection d’un ordre préférentiel de coordination.

Enfin, dans une dernière étape, grâce à l’examen détaillé des segments et des syllabes en initiales et en finales de mots, nous avons mis au jour une vingtaine de facteurs phonologiques. Les résultats émergeant montrent que généralement la situation des segments finaux est plus claire que celle des segments initiaux : seuls trois critères sont imputables à la qualité du segment initial.
Nous nous proposons d’organiser ces résultats en deux ensembles :
• Les facteurs dans l’absolu ;
• Les facteurs par rapport à « et ».

Nous nommons « facteur dans l’absolu » tous les facteurs actifs que nous avons relevés qui ne sont pas directement liés à « et ». Ces principes englobent aussi bien les facteurs extraphonologiques précédemment évoqués qu’un certain nombre de facteurs phonologiques. Nous pensons particulièrement au facteur de taille étroitement lié à la fréquence des mots, mais également à des principes phonologiques tels que ceux positionnant les voyelles finales nasales en M2.
Les facteurs dans l’absolu opèrent préférentiellement par rapport à M1. Ce sont les facteurs phonologiques les plus actifs dans la sélection d’un ordre préférentiel de coordination ; ce sont ceux qui nous ont permis de rendre compte des résultats les plus forts.
Selon les facteurs dans l’absolu, qu’ils soient phonologiques ou extraphonologiques, sont des instanciations de l’opposition « marqué / non marqué » dans sa définition universaliste et statistique.

Les « facteurs par rapport à « et » » sont, quant à eux, des facteurs purement phonologiques. L’évitement de *VV, OCP, la maximisation des attaques pour exemple, opèrent tous, relativement à la conjonction de coordination « et ».
Cependant, ils sont moins actifs que les précédents principes.

D’une manière générale, nous pensons que des facteurs phonologiques sont actifs dans la sélection d’un ordre préférentiel de coordination binaire par « et », mais ils semblent de moindre force que les facteurs extraphonologiques.
Afin de les explorer plus en détail, il serait pertinent de mettre en perspective les phénomènes de coordination binaire par « et » en français avec ceux de l’espagnol et de l’italien proposant une alternance « y / e » et « e/ ed ».
Enfin, il nous semble que nos travaux devraient être complétés par une étude de terrain observant les réalisations réelles des binômes coordonnés par « et » en français.


Membres du jury
Mme Hélène GIRAUDO, Chargée de recherche HDR au CNRS, Université Toulouse Jean Jaurès (Examinatrice)
M. Haike JACOBS, Professeur, Université Radboud (Rapporteur)
M. Frédéric LAMBERT, Professeur, Université Bordeaux Montaigne (Examinateur)
M. Vincent RENNER, Professeur, Université Lumière Lyon 2 (Rapporteur)
Mme Laurence LABRUNE, Professeur, Université Bordeaux Montaigne (Directrice de thèse)

 

Title: “Cul et chemise”, “Mode et travaux”, “Emilie et Nathan” ‒ study of the factors controlling the coordination by “et” of two words in French.


This work aims to study the factors controlling the coordination by “et” (“and”) of two words in French. Its goal is to show the emergence of active factors in the selection of a direct binary 
“et”-coordination preferential order, out of context, in a mainly phonological point of view ; thus, to try to propose a pre-hierarchisation of these factors in French.


In this study, we look at the principles that govern components’ order in pairs such as “Cul et chemise”, “Mode et travaux” or “Emilie et Nathan”.

It appears that the order displayed in these examples is the preferential order in French. Indeed, we’ll prefer “Cul et chemise” to “Chemise et cul”, “Mode et travaux” to “Travaux et mode”, and “Emilie et Nathan” to “Nathan et Emilie” ; it is clear that native speakers often spontaneously favour one order over the other one in that type of structures, and/or that they judge one order more natural than the alternative.

With that in mind, the question arises: what are the factors governing these components order in French? Can we assign a coordinated binomial sequence intuitive selection to morphological factors, syntactic factors, semantic factors, cultural factors, sociological factors, and so on? What about phonological constraints, so far largely overlooked in French?


In order to answer these questions, our first step was to build study material that allowed us to collect data, statistically validated by a goodness of fit test.

What we call study material is a group of six corpora and six survey questionnaires that we set up so as to cover the most exhaustive panel possible of direct syndetic “et”-compounds. The main principle of our study material is that each component, although autonomous, still is tightly bound to the other ones. Thus, the six corpora are connected to each other: TOM ET ZOE is a corpus of first names coordinated by “et”, TARN ET GARONNE a corpus of toponyms, CUL ET CHEMISE of idioms, ARTS ET METIERS of schools’ and institutions’ names, VITE ET BIEN of collocations (statistically) and LISSE ET SOYEUX of advertising claims.

Alongside, the survey questionnaires ensue from that set. The six of them come out of analysing TOM ET ZOE first results.


Once we’ve been through the methodological aspect of our work, we organised our data exploitation, defining a list of classificatory criteria. These criteria allowed us to expose two types of results: phonological and extraphonological results.

Thus, as a second step, we revealed the weight of extraphonological factors such as the serial factor, the morphological factor, semantic factors, psycho-affective factors and a factor linking the words frequency to their position in the coordinated binomial structure.

These five factors don’t play the same part.

The serial and morphological factors can be artefacts of phonological factors such as the length factor, yet the semantic, psycho-affective and frequency factors leave no doubt as for their prevalence. All three are particularly active in the selection of a coordinating preferential order.

Finally, our last step was to expose a number of phonological factors. We can categorise these coordination preferential order selection principles in two main approaches:
- absolute factors;
- “et”-related factors.

We call “absolute factors” all the active factors not directly linked to “et” that we raised. The main ones being the length factor, the extraphonological factors, as well as the factors that send final nasal vowels in second position. They are the most active factors in selecting a coordinating preferential order, they showed the strongest results.

We believe that these factors are instances of the “marked / non-marked” opposition, in its universalist and statistical definition.

As for the “et-related factors”, they are purely phonological. Avoidance of *VV, OCP, onset maximization: they all operate around “et”. They are less active than the previous principles though.

In general, we think that phonological factors are active in the selection of a preferential order for binary “et”-coordinating, but they seem weaker than extraphonological factors.In order to investigate them more thoroughly, it would be relevant to put binary coordinations by “et” in French in perspective with Spanish and Italian ones that alternate between “y” and “e” or between “e” and “ed”.

Finally, we think our work should be completed by a field study observing actual producing of “et”-coordinated pairs in French.

 

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