Juillet 19 - Frédéric Berthault - Université Bordeaux Montaigne

Les Amphores de Bordeaux. Contribution à l'histoire du commerce de BURDIGALA pendant l'Antiquité

Doctorant: Frédéric Berthault

 

Date: 19 juillet 2016 à 09h00
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de l' Archéologie- salle Pierre Paris
Esplanade des Antilles
33600 Pessac

 

Résumé:

Sur la base d’un ensemble de 17 sites archéologiques, fouillés entre 1979 et 2007 au cœur de la ville de Bordeaux, nous avons recensé la présence d’un nombre minimal d’amphores de 1729 individus répartis en 98 types et sous-types différents. Ces amphores parviennent à Bordeaux sur une période de huit siècles, de la fin de l’époque gauloise jusqu’à la fin de l’Antiquité tardive, et couvrent ainsi la totalité de la période antique dans cette ville.
Le nombre de 1729 amphores s’est révélé suffisant pour effectuer une analyse quantitative des types et sous types. Il nous a autorisé également à procéder à une analyse pertinente du point de vue qualitatif de ces individus.
Nous avons identifié 7 types d’amphore produits régionalement. Les 5 premiers d’entre eux reprennent des formes vinaires fabriquées dans d’autres régions. Deux types, que nous avons nommés Aquitaine 6 et Aquitaine 7, sont originaux et sont des conteneurs pour le vin. Tous ces contenants traduisent l’apparition d’un vignoble à Bordeaux dès le milieu du Ier siècle p.C.
Nous avons reconnu un huitième type, imitation des amphores de Bétique Dressel 8 à salaisons et sauces de poisson, qui pourrait alors constituer la marque d’une production de conserves de poisson dans la région de l’estuaire de la Gironde.
Il est possible à présent, sur la base des types et sous-types recensés pour les huit siècles de la période antique, d’établir un découpage chronologique de la ville en 12 phases principales, elles-mêmes divisées en sous-phases, ce qu’aucun autre matériel - céramique ou non - ne peut réaliser en raison d’une durée de vie plus imprécise. On aboutit, de la sorte, à un phasage qui couvre toute l’Antiquité, depuis le milieu du IIe siècle a.C. jusqu’au milieu du VIIe siècle p.C., avec des intervalles de temps dont les plus larges ne dépassent pas le demi-siècle.
Les marques figurées sur les amphores nous ont fourni quelques renseignements complémentaires. Elles permettent d’identifier des propriétaires de domaines ou de figlina jusqu’ici inconnus. Retrouvées sur un site de consommation, leur datation, quand les marques sont déjà connues, est souvent plus précise que celle donnée par les sites de production.
Les inscriptions peintes ne nous ont guère plus apporté sinon la première mention connue de vinaigre sur le type Pascual 1, et, sur une amphore gauloise, la preuve que les gallo-romains avaient adopté pour leurs tituli picti les mêmes manières d’écriture que les Romains.
La typologie des amphores est différente suivant les époques et suivant les contenus. La différence suivant les époques a permis de mettre en évidence l’évolution de l’urbanisation à Burdigala au cours du temps. La différence suivant les produits a rendu possible l’identification de la nature de ses quartiers.
Le faciès distinct des amphores italiques de Bordeaux et du sud de l’estuaire de la Gironde comparé à celui de Saintes et du nord de la Gironde nous a amené à nous demander si les habitants du Bordelais de la fin de l’époque gauloise étaient bien des Santons, comme on a tendance à le penser actuellement. Les monnaies, de nature dissemblable, retrouvées sur ces deux rives nous ont conforté pour remettre en cause l’occupation santone de Bordeaux.
À la suite de cet examen des éléments inhérents aux amphores, il convenait d’ajouter l’étude du facteur commercial que ces mêmes amphores représentaient. Il fallait chercher quelle image ces objets donnaient du commerce à grande distance de Bordeaux d’une façon générale mais aussi de la place de celui-ci au sein du commerce du monde romain.
Les amphores de Bordeaux arrivent de toutes les provinces de l’Empire, qu’elles conditionnent le vin de la péninsule italienne à l’époque gauloise, celui de la Bétique et de la Tarraconaise sous Auguste et Tibère, puis celui de l’Orient grec. Elles acheminent également l’huile et les salaisons de poisson de la Bétique. Elles transportent, de même, des produits non comestibles comme l’alun des îles Lipari et peut-être un contenu, non encore identifié, originaire de Crète. À la fin de l’Antiquité, hormis l’alun produit maintenant sur place, elles apportent les mêmes denrées, mais en provenance de l’Afrique et du Proche-Orient.
En contrepartie, Bordeaux sert de point de départ pour un certain nombre de produits régionaux qu’il n’est pas toujours facile d’identifier. À l’époque gauloise, on ne peut que supposer la nature des marchandises contre lesquelles les negotiatores romains ont pu échanger les amphores du vin de l’Italie péninsulaire. Sur la base des textes des auteurs anciens, et, pour la région, la découverte d’un anneau pour captif, il faudrait considérer que la ville s’est impliquée, en partie du moins, dans le troc de prisonniers voués à l’esclavage. La mention de fer et d’un artisanat de ce métal chez les Pétrocores pourrait se révéler un autre objet d’échange contre les amphores italiques. Dans le courant du Haut-Empire, Bordeaux a rapidement vendu son vin, ce dont rendent compte les amphores fabriquées aux alentours de la ville, et qu’on a, pour certaines, retrouvées jusqu’en Anjou. Bordeaux a également joué un rôle de redistribution pour les céramiques sigillées de Montans en direction de l’Espagne comme de la Grande-Bretagne.
D’autres produits, non transportés en amphores, et dont il est ainsi difficile d’apprécier le volume, ont fait l’objet d’un commerce. Il s’agit de la poix, qu’on sait, grâce aux structures de fabrication retrouvées mais aussi les textes antiques, avoir été à l’origine d’un artisanat florissant autour du Bassin d’Arcachon et avoir fait l’objet d’un commerce, mis en évidence par l’épave de Guernesey. C’est aussi le cas des huîtres du Médoc dont les coquilles de l’espèce atlantique ont été retrouvées aux confins de la région. C’est également le sel, qui, de plus longue date, devait avoir tracé la route empruntée par les huîtres. Il s’agit, enfin de denrées alimentaires à la fin de l’Antiquité, comme le rapportent les écrits des auteurs anciens et nous le laisse deviner la magnificence que présentent, aux Ve et VIe siècles, les parties urbaines des villas des grands propriétaires, producteurs de ces denrées alimentaires.
Les produits régionaux parviennent facilement à Bordeaux par les chemins terrestres et fluviaux de la région, particulièrement bien dotée de ces types de voies. Ils se retrouvent sur le marché bordelais, en particulier pour équilibrer la balance des échanges. Ils sont l’objet de vente contre les produits étrangers, arrivés essentiellement par la mer.
Du point de vue des échanges de produits pondéreux, Bordeaux apparaît tout autant comme une ville atlantique que comme une ville de la Méditerranée. À laquelle, du reste, elle est rattachée, plus par le Détroit de Gibraltar que par l’axe de l’Aude et de la Garonne, qu’elle a peu utilisé.
Ce commerce des produits de la région procure des revenus particulièrement importants. Il est réalisé, comme partout dans l’empire, par des individus dépendants, qui travaillent pour le compte des propriétaires. Ils sont les instruments de leurs maîtres qui, attachés à leur style de vie, veulent voir leur patrimoine se développer sans avoir à s’occuper directement de leurs affaires. C’est ainsi qu’il faut comprendre au début de l’Empire la richesse acquise par Gaius Iulius Secundus, même quand il assurait la charge de préteur. C’est de cette manière également qu’il faut concevoir l’otium auquel peut se livrer Ausone alors que son affranchi Philon s’occupe du negotium de son maître.
Le commerce à grande distance, en revanche, apparait plutôt comme le fait de negotiatores qui pour la plupart semblent bien, comme le révèlent les stèles funéraires retrouvées, des étrangers.
Du point de vue de l’économie, nous avons expliqué à partir du matériel amphorique l’activité commerciale de Burdigala aux niveaux micro-économique et macro-économique. Sur le plan de la micro-économie, il s’est agi de déterminer à qui les amphores étaient destinées, pour quelle raison, comment et contre quels produits en retour. Nous avons procédé à des comparaisons avec d’autres cités proches, mais aussi avec des ports. Puis dans un second temps, sur le plan macro-économique, on a recherché la place qu’avaient pu tenir les amphores de Bordeaux dans le commerce romain et relié leur présence à l’histoire économique, mais aussi à l’histoire, à l’époque romaine.
On a ainsi interprété l’arrivée des premières amphores italiques à Bordeaux comme la conséquence de la création de la province de Narbonnaise, devenue place avancée du commerce de negotiatores, et dit que l’arrêt de leur importation correspondait à la fin de la Guerre des Gaules et au changement concomitant des mentalités des élites et finalement au déplacement du commerce romain vers le limes germanique. On a fait de l’apparition des amphores Pascual 1 à Bordeaux la traduction du développement des productions et du commerce des provinces conquises (en l’occurrence dans ce cas, la Catalogne) mais aussi la transcription de l’enrichissement de la population locale capable d’accueillir une telle quantité de vin. Quant à leur disparition, elle était l’indication de la création d’un vignoble régional qui satisfaisait les besoins de consommation locaux et qui, d’ailleurs, allait bientôt exporter à son tour ses excédents. Enfin, nous avons traduit l’arrivée des amphores tardives, d’Afrique d’abord et du Proche-Orient ensuite, comme la reprise d’un commerce à longue distance après la crise du IIIe siècle, ce que toutes les régions ou cités n’ont pas connu. Leur arrivée en nombre plus faible qu’auparavant montre qu’une élite plus restreinte qu’avant peut seule se procurer ces denrées coûteuses et qu’il lui faut en contrepartie, pour ce faire, dégager davantage de surplus, ce que lui permet le développement, constaté par ailleurs, de la concentration des domaines.
Bordeaux apparait comme la plaque tournante de tout un trafic. Située au fond de l’estuaire de la Gironde, terme des fleuves que sont la Garonne et la Dordogne, aboutissements eux-mêmes des cours d’eau du Bassin aquitain, la ville est le passage obligé de tout le commerce de son arrière-pays, en contrepartie des produits ultramarins.
On ne sait plus s’il faut considérer Bordeaux comme une ville dotée d’un port ou comme un port, qui s’est entouré d’une agglomération. Ce port est, du reste, toujours fort actif si l’on se fonde sur le nombre des amphores qu’il importe encore au Ve siècle, VIe siècle et même au début du VIIe siècle et qui proviennent des régions, à cette époque, les plus entreprenantes de Méditerranée, le Proche-Orient et l’Afrique.
Alors que la majeure partie des régions qui constitue l’Empire est en proie à une récession économique, Bordeaux poursuit un commerce maritime vers la Méditerranée et l’Angleterre avec lesquelles elle échange les biens produits par les vastes villas de la région et apparait ainsi comme une des places commerçantes les plus importantes de la façade atlantique.
À l’issue de ce travail et des observations auxquelles celui-ci nous a conduit, on constate que les amphores donnent une vision plus vraisemblable de ce que fut l’importance du commerce à grande distance de Bordeaux au sein de l’économie romaine. Elles expriment la vigueur des échanges tout au long de la période aussi bien sur la façade atlantique qu’avec la Méditerranée. Elles fournissent ainsi du commerce une représentation bien plus substantielle que celle qu’on lui prêtait jusqu’à présent et attribuent à Bordeaux une place qu’on ne soupçonnait pas.

 

 

 

 

 

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