Juillet 11 - Mahaman Sabo Moutari - Université Bordeaux Montaigne

Les emprunts arabes en hausa dans l'oeuvre poétique de Nana Asma' u (1792-1864) : Etude linguistique et statistique

Doctorant: Mahaman Sabo Moutari

 

Date: 11 juillet 2016 à 09h00
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de la recherche- Salle de conférence
Esplanade des Antilles
33600 Pessac

 

Résumé: 

 

L’incursion de l’islam en Afrique subsaharienne, à partir du IXe siècle, s’est opérée via le commerce transsaharien entre les peuples d’Afrique du Nord et ceux du Sahel. Ce contact entretenu par les caravanes commerciales a engendré l’islamisation progressive de la population hausaphone. Cette influence islamique s’accompagne d’une révolution dans la production de la littérature arabe-ajami.
La ville de Kano, capitale du nord du Nigeria était devenue célèbre, non seulement pour son centre d'études islamiques, mais aussi pour l’important centre commercial qu’il offrait aux États et aux sociétés du Soudan occidental. Ces centres d'apprentissage, ont servi non seulement à faciliter les échanges scientifiques entre les chercheurs, mais aussi à former en langue et en écriture un grand nombre d’autochtones.
Cette réputation de Kano n’a été possible que grâce à l’influence du Califat de Sokoto, qui, à travers le jihad de Usman dan Fodio (1804-8), a placé la région sous une autorité islamique. En effet, le clan Fodiawa, était composé de chercheurs prolifiques préoccupés par la nature de l'islam et la politique dans la région. Comme d'autres écrivains dans sa famille, Nana Asma'u a écrit dans la tradition littéraire islamique, en utilisant l'écriture arabe (ajami) dans la composition de traités poétiques et narratifs dans plusieurs langues.
De sa famille, Nana Asma’u a reçu une formation très poussée, elle a appris tous les classiques islamiques et a mémorisé le Coran tout entier. Selon Boyd (2001), Boyd & Mack (1997), Nana Asma’u parlait couramment quatre langues : arabe, peul, hausa et tamasheq, mais elle écrivait dans les trois premières. Sa langue maternelle était le fulfulde, et elle a écrit la plupart de sa poésie dans cette langue, en réservant l'arabe pour les travaux formels et le hausa pour s’adresser directement à ses élèves. La liste de ses travaux est impressionnante : 66 titres soigneusement répertoriés et situés dans les diverses bibliographies anciennes et modernes.
Ainsi, sous l’influence de l’arabe, Nana Asma’u a emprunté dans ses œuvres, de nombreux vocables et expressions arabes . La présence et l’abondance des vocables arabes dans ses textes, s’expliqueraient par deux raisons fondamentales : d’une part, l’arabe est la langue de l’islam, d’autre part, il est la langue d’enseignement dans les écoles coraniques de la plupart des pays africains, où l’enfant dès son bas âge, apprend à lire et à écrire en arabe. Aussi, les progrès scientifiques et techniques apportés par la culture islamique sont autant des facteurs culturels décisifs dans le façonnage de la réalité sociolinguistique des communautés hausa.
Plusieurs de ses œuvres ont bénéficié des travaux scientifiques. On peut citer entre autres, le précieux inventaire établi par John O Hunwick (1995) , Jean Boyd & Beverly Mack (1997, 2000) qui sont un instrument de recherche indispensable, pour les chercheurs spécialistes des manuscrits africains.
Longtemps marginalisée, la littérature arabe-ajami, extrêmement prolifique, commence à peine à être découverte par les chercheurs. Les questions de sa constitution commencent à peine à se poser. L'heure n'est pas encore à la synthèse ni aux conclusions mais plutôt aux inventaires et aux hypothèses. A l'exception des pays du Maghreb, l'Afrique noire musulmane n'a pas été l'objet d'investigations poussées dans les domaines de la production littéraire arabe-ajami. Ainsi, faute de chercheurs arabisants intéressés par cette étude, les ressources manuscrites en arabe-ajami du continent sont restées inexplorées dans leur grande part jusqu'au début du XXIe siècle. Car ce que l'on découvre de plus en plus, au fil des inventaires et catalogages récents, retient l'attention par la quantité et la variété des documents rédigés en langue ou en caractères arabes.
Nana Asma'u, est une poétesse, une commentatrice politique et une ingénieure socioculturelle dont l’éminence de sa connaissance ne peut pas être égalée à ses contemporains. Elle était active dans la politique, l’éducation et le réforme social. Elle était un auteur prolifique dans la région du Sokoto. C’est une figure distinguée et un modèle pour ceux qui ont l’amour de connaître la littéraire arabe-ajami et l’histoire de l’Afrique noire musulmane. A un niveau populaire, Nana Asma'u est perçue comme une personnalité historique.
L’intérêt de consacrer à Nana Asma’u, la présente étude, est né grâce au rôle crucial qu’avait joué cette femme à une époque où la gent féminine, était peu mise en évidence dans la gestion des questions réservées aux hommes. Ainsi, avons-nous choisi d’étudier les emprunts lexicaux arabes en hausa dans les œuvres de notre auteur.
Le choix d’un tel sujet d’étude trouve sa justification dans plusieurs domaines dont la linguistique et la science politique. Sur le plan politique, il s’agit d’apporter une réponse à de nombreuses observations péjoratives de la femme africaine qui sont alimentées par la méconnaissance de l’histoire de l’Afrique, et de présenter un tableau de certains clichés des femmes africaines, qui les considèrent comme opprimées, reléguées à la gestion du foyer, et par conséquent vivant en marge de la modernité. Cette étude se propose aussi d’être une contribution non seulement à la connaissance de la littérature féminine africaine, mais elle servira également à la découverte d’un grand personnage qui a marqué la construction idéologique des sociétés africaines, longtemps considérées comme a-historiques. Sur le plan linguistique, cette étude vise d’abord à donner une description factuelle des emprunts lexicaux arabes en hausa, référence qui fait défaut aux hausaphones, malgré de nombreux et importants travaux consacrés à cette langue.
Sur la base de ces observations, cette thèse se propose d’analyser les emprunts lexicaux arabes dans les œuvres poétiques de l’auteur. Il s’agit de décrire et d’analyser les emprunts, en vue de dégager leurs modes d’intégration au niveau lexical, phonétique, morphologique et sémantique et d’appréhender leurs fréquences d’utilisation.
Sur le plan méthodologique, notre travail de recherche s’appuie sur la combinaison de deux méthodes : linguistique et statistique ; ce qui nous a permis d’analyser tous les phénomènes afférant au métissage linguistique et culturel dans les œuvres de Nana Asma’u. Notre corpus comprend 15 œuvres poétiques en hausa que nous avons lemmatisées au préalable aux calculs statistiques à l’aide du logiciel Excel. Les principaux résultats obtenus sur les formes graphiques, montrent une fréquence d’utilisation très élevée des emprunts arabes. L’ensemble des résultats pourra constituer une contribution aux propositions politiques et linguistiques visant, non seulement à l’amélioration de la transmission des savoirs, mais aussi à l’importance pratique des emprunts dans le cadre de l’enrichissement de la langue hausa. L’association de l’analyse linguistique et des traitements informatiques, nous a permis ainsi de confirmer, de façon formelle et impartiale, que la plupart des emprunts les plus fréquents relèvent de domaines sociaux et religieux, et donc liés aux lexiques de situation.
L’ensemble de cette étude constitue non seulement une contribution remarquable à la connaissance d’un auteur qui tient une place importante dans la littérature africaine, mais aussi à celle des rapports entre l’arabe et le hausa dans une époque ancienne. Ainsi, l’étude scientifique réellement novatrice sur une communauté alphabétisée comme celle-là reste encore à écrire. Il faudrait pour cela réunir deux conditions : que les grandes familles ouvrent leurs bibliothèques privées aux chercheurs, que ceux-ci réunissent plusieurs compétences pour conjuguer notamment une solide approche historique et des explorations sociolinguistiques approfondies sur les faits du langage. La poursuite de cette recherche dans les années à venir permettra d’étudier, d’autres phénomènes liés à l’emprunt, non pas du point de vue lexical, mais sémantique voire syntaxique. Notre analyse statistique sera orientée vers une analyse factorielle des correspondances par exemple.

 

 

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