Hommage à Joseph Pérez - Université Bordeaux Montaigne

Vie institutionnelle

Hommage à Joseph Pérez

Jospeh Pérez recevant le prix Prince des Asturies

L’ancien président de l’Université Bordeaux 3 Joseph Pérez est décédé le 8 octobre 2020 à l’âge de 89 ans. Cette figure majeure de l’hispanisme français présida l’université de 1978 à 1983. Grand spécialiste de l’Espagne moderne, il fut honoré en 2014 par le prix Prince des Asturies, la plus haute distinction espagnole en sciences humaines et sociales.

En hommage à Joseph Pérez (1931-2020) 

L'hommage d'Anne-Marie Cocula-Vaillières, présidente de l'université Bordeaux 3 de 1994 à 1999


Anne-Marie Cocula et Joseph Pérez lors du départ à la retraite de ce dernier en 1997
Le décès de Joseph Pérez, survenu le 8 octobre 2020, scelle une carrière remarquable, sans pauses, ni ruptures. Comme si l’écolier doué du bourg de Laroque d’Olmes, en terre ariégeoise, avait ouvert d’emblée le long chemin et l’avenue qui l’ont conduit, en 2014, à la réception du prix  Prince des Asturies en sciences sociales. Le Professeur à la démarche solennelle qui s’avance pour recevoir sa décoration s’est-il souvenu de l’instituteur qui avait décelé en lui des aptitudes pour mener de longues études après l’obtention du certificat d’études qu’il fut le seul à obtenir au sein d’une fratrie dont les parents étaient venus d’Espagne, plus précisément de la région de Valence, quelques années après la fin de la Grande Guerre ?

On imagine que le lycéen, durant la seconde guerre mondiale, avait déjà cet accent aux sonorités et aux intonations rocailleuses à l’imitation des galets roulés et entrechoqués par les eaux de l’Ariège. De loin, dans les couloirs de l’université, d’une salle de cours à l’autre, sans oublier les séances du conseil, cette voix le précédait. Elle annonçait un personnage dont l’autorité est  toujours présente sur ses photos avec, parfois, un certain regard amusé, voire moqueur : il permet de comprendre pourquoi ses enfants et petits-enfants l’appelaient Papy-Jo avec l’assentiment de son épouse, si proche de lui et désormais confrontée à une solitude comparable à une mutilation après une union de longue durée : Germaine Sabardan et Joseph Perez se sont mariés dans le Gers en août 1954. 

À cette date, il se trouve à la mi-temps de sa scolarité à l’ENS de Saint-Cloud, belle assurance d’une réussite confirmée dès 1955 par le succès à l’agrégation d’espagnol au premier rang, celui de cacique. C’est une place qui se mérite et que l’on n’oublie pas. Les membres du jury s’en sont sûrement souvenus pour faciliter son détachement de l’enseignement secondaire. Quand, en 1956, Joseph Pérez quitte l’ENS Saint-Cloud, c’est pour enseigner l’espagnol à la Faculté des Lettres de Bordeaux. Cette affectation s’interrompt l’année suivante avec la fin de son sursis et l’accomplissement du service militaire dans le cadre de la préfecture maritime d’Oran en qualité d’officier de réserve assurant des fonctions d’interprète. 

Le voilà confronté aux années cruciales de la guerre d’Algérie et des émeutes du 13 mai 1958, suivies de la fin de la IVe République et de la fondation de la Ve République. Dans une lettre adressée, depuis Oran, au doyen de la Faculté des Lettres de Bordeaux, Joseph Pérez exprime le souhait d’un retour rapide en France tout en reconnaissant qu’il lui reste du temps libre pour travailler. Cette référence au travail est chez lui une constante et un plaisir. Sans doute s’est-il préparé, hors de France et loin des Pyrénées, à la mise en chantier d’une thèse d’État sur l'Espagne du XVIe siècle. 

Ce choix transpyrénéen qui reflète une continuité familiale et sentimentale, aborde pour de longues années sur le rivage scientifique de recherches dans les archives de Simancas où le spécialiste de la langue et civilisation espagnoles entre en Histoire. Il s’est alors considérablement rapproché de la frontière en devenant assistant au collège littéraire universitaire de Pau. Il y enseigne jusqu’en 1967 avec le titre de maître de conférences obtenu en 1963.  Combien de fois, seul ou accompagné de sa femme et de leurs deux enfants, Alain et Cécile, a-t-il franchi les Pyrénées pour mener à bien son exploration et son exploitation des archives dans une Espagne restée franquiste jusqu’en 1975 ? Sa thèse de doctorat d’État, soutenue en juin 1969 et publiée dès l’année suivante, lui procure une entrée rapide, remarquée et remarquable, parmi les historiens de la première modernité européenne, comprise entre le milieu du XVe siècle et les premières décennies du XVIIe siècle. En 1970, il devient professeur. 

Son sujet de thèse portait sur La révolution des « Comunidades » de Castille (1520-1521). Nous sommes au début du règne de Charles Ier, fils aîné de Philippe le Beau et Jeanne, dite la Folle, devenu en 1516 roi de Castille et d’Aragon, puis élu en 1519 empereur du Saint-Empire romain germanique. Face à ce bouleversement politique, les villes de Castille exposent leurs revendications au souverain pour limiter et contrôler son autorité en mettant au premier plan les droits des députés des Cortès. Moment bref mais capital, situé à l’entrée du siècle d’or espagnol et de ses conquêtes européennes et américaines. La version espagnole de l’ouvrage de Joseph Pérez paraît en 1977. Entre-temps, de plus en plus attiré par l’histoire, il a publié en 1973, chez Armand Colin, un manuel sur L’Espagne du XVIe siècle. 

Période faste où les étudiants d’histoire des  universités de Toulouse le Mirail et de Bordeaux III suivaient les cours de  Bartolomé Bennassar et de Joseph Pérez, talentueux historiens de l'Espagne. Ils ont marqué des générations de futurs enseignantes et enseignants.  Leurs collègues, dont j’ai eu l’honneur de faire partie, se souviennent avec reconnaissance de débats comparatifs sur la seigneurie en Espagne et en France, sur leurs ordres de noblesses, sur leurs institutions, sur leurs écrivains, sur leurs religions, sans oublier leurs rivalités et leurs confrontations belliqueuses en Europe et hors d’Europe. Autant de thèmes qui ont nourri des études comparées, presque habituelles pour les questions aux programmes des concours du CAPES et de l’agrégation d’histoire.

En 1978, dix ans après les « événements de mai 1968 », Joseph Pérez, alors responsable de la section d’espagnol,  est élu  pour cinq ans président de l’Université de Bordeaux III. Son prédécesseur, Robert Escarpit, ayant souhaité arrêter son mandat au bout de trois ans. L’universitaire, homme de lettres, journaliste et Gascon patenté, retrouvait  pleinement sa liberté, sans avoir réussi à transformer Bordeaux III en « Université de Gascogne ». C’est pourtant sous cette appellation provisoire que le Conseil d’université reçoit la candidature de Joseph Pérez à la présidence, le 8 juin 1978. Il est élu au premier tour par 39 voix sur 46 présents. Le même jour, Jacques Monférier, qui lui succèdera en 1983, est élu vice-président. Au cours de son allocution de remerciements, Joseph Pérez a rappelé sans détour, à sa façon habituelle, l’ampleur des difficultés présentes et futures dans une université qui lui était déjà familière puisqu’il avait été vice-président de Robert Escarpit. 

En effet son mandat, de 1978 à 1983, ne fut pas  « un long fleuve tranquille », tant il fut agité par les réformes d’Alice Saunier-Seïté, en attendant les changements dus à l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République en 1981,  annonciateurs de la mise en place de la réforme d’Alain Savary promise à son successeur, Jacques Monférier. À la fin de son mandat, en 1984, Joseph Pérez eut la chance de pénétrer dans un nouveau bâtiment, la Maison des Pays Ibériques ou MPI, proche de la grande bibliothèque et consacrée à l’aire ibérique et ibéro-américaine. Sa création et son implantation consacraient les recherches de sept équipes rattachées au CNRS. Avec son patio protecteur et imposant, doté en son centre d’un œuf coloré, la MPI offrait aux chercheurs une structure d’accueil incomparable avec ses bureaux, ses ouvrages, son matériel informatique et ses chambres dédiées à Goya et Velasquez, prévues pour des chercheurs en résidence.

 À la fin de son mandat, Bordeaux III comptait près de 9000 étudiants et 315 enseignants-chercheurs. Dix ans plus tard, en 1992-1993, elle comptera près de 15000 étudiants et 462 enseignants-chercheurs. Seul le nombre des emplois IATOS était resté stable, signalant une fragilité accrue : 216 en 1983 et 210, dix ans plus tard. Pour l’ancien président, pas question de s’arrêter et l’octroi d’un semestre sabbatique accordé pour conversions thématiques fut pour lui l’occasion de nouvelles recherches, toujours ancrées dans la péninsule ibérique, mais chronologiquement antérieures à celles de sa thèse.  En 1988, il publie chez Fayard la biographie d’un couple royal qui marque durablement l’histoire de l’Espagne et des royaumes de Castille et d’Aragon : Isabelle et Ferdinand, Rois Catholiques d’Espagne. 

Son expérience, sa notoriété, sa connaissance des institutions universitaires en France et en Espagne inaugurent une nouvelle période de sa vie, sans rupture, ni renoncement et avec tous les honneurs attachés à une direction prestigieuse et convoitée : celle de la Casa de Velasquez, de 1989 à 1996. Soit un premier détachement de cinq ans, prolongé de deux ans, avant sa réintégration à Bordeaux III, désormais Bordeaux-Montaigne, en janvier 1996. Ce furent des années fastes dont, à son retour, il parlait avec ferveur et même fascination en référence à ses origines et au certificat d’études de l’écolier ariégeois : comment pouvait-il en être autrement puisqu’il se trouvait, presque idéalement, au contact de deux nations, de deux cultures et de tant de rencontres de personnalités et de personnages dont le roi d’Espagne, Juan Carlos. Elles ont forgé sa détermination à conforter les relations de deux pays dont il a vécu l’histoire, sur une longue durée, chère à Fernand Braudel, lui aussi captivé par le siècle de Charles Quint et de Philippe II.  Il suffit de citer les dernières publications de Joseph Pérez pour en être convaincu et mesurer combien sa retraite fut consacrée : en 2007, Thérèse d’Avila ; en 2009, La légende noire de l’Espagne ; en 2014, Cisneros. 

Anne-Marie Cocula-Vaillières.
Présidente de l'université Bordeaux 3 de 1994 à 1999

Biographie

Les parents de Joseph Pérez étaient originaires de Valence en Espagne. Il nait en France près de la frontière espagnole en 1931. De brillantes études à l’École normale supérieure de Saint-Cloud lui permettent d’obtenir son agrégation en espagnol. En 1970, il soutient une thèse sur La Révolution des Comunidades de Castille (soulèvement armé contre Charles Quint qui eut lieu entre 1520 et 1521).

Sa carrière universitaire débute à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour et continue à l’Université Bordeaux 3 où il est chargé d'enseignement, maître de conférences puis Professeur d'université de civilisation espagnole. Il fut, de 1978 à 1983, président de l’Université Bordeaux 3.


Maison des pays Ibériques en décembre 1984.
En 1986, il inaugure la Maison des Pays Ibériques qu’il dirigera par la suite. La mission de cet établissement est de mettre en avant la recherche sur les mondes ibériques et ibéro-américains dans les sciences humaines et sociales.
La "maison" comme l’appelaient certains universitaires a contribué au développement de la coopération universitaire entre l’Espagne et la France.

Entre 1989 et 1996, Joseph Pérez est directeur d’une autre "maison" : la Casa de Velázquez à Madrid. Équivalent de l’école de Rome ou d’Athènes, cette institution a pour but de former des enseignants, des chercheurs et des artistes.

Son travail et sa passion pour le monde ibérique sont salués le 24 octobre 2014, lorsqu'il reçoit, du Roi Felipe VI d’Espagne, le Prix Prince des Asturies. Ce prix, qui récompense des personnalités d'envergure internationale, est la plus haute distinction espagnole en sciences humaines et sociales.

Il a également reçu, tout au long de sa carrière, de nombreuses distinctions ainsi fut-il docteur honoris causa des Universités de Valladolid et d’Alcalá de Henares, Commandeur de l'Ordre d'Isabelle la catholique, Grand-Croix de l’Ordre Alphonse X le Sage et officier de la Légion d'Honneur.

La communauté internationale commémore sa mémoire en France et en Espagne au travers de nombreux articles dans des journaux comme El pais (ici et ), Las provencias ou 20 minutos.

Une œuvre

Grand spécialiste de l’Espagne moderne des XVIe et XVIIe siècles, Joseph pérez est en particulier l’auteur d’une célèbre Histoire de l’Espagne (1996) œuvre majeure qui fait toujours référence, mais aussi d’Isabelle et Ferdinand. Rois Catholiques de l’Espagne (1988), Charles Quint, empereur des deux mondes (1994), L’Espagne de Philippe II (1999), de L´humanisme aux lumières : Études sur l´Espagne et l´Amérique (2000) et Thérèse d’Avila (2007), entre autres.

Le jury du Prix Prince des Asturies qualifia son travail en ces termes : "son œuvre a supposé une révolution dans la manière d’interpréter des épisodes décisifs pour la compréhension de l’histoire de l’Occident et de l’indépendance de l’Amérique du Sud. Héritier et excellent successeur de l’école des Annales et de l’hispanisme français, il a contribué à défaire de nombreux préjudices sur les institutions et les conflits de l’époque, enrichissant l’analyse de l’histoire européenne."

En effet, Joseph Pérez a notamment contesté la notion de "décadence" qui colle à l'Espagne des XVIIe siècle et XVIIIe siècle. Pour lui, cette pensée est issue d’une image fausse engendré par les pays protestants du nord de l'Europe.

Documents disponibles dans les bibliothèques universitaires

Lire aussi :

Joseph Pérez, lauréat du Prix Prince des Asturies

Joseph Pérez et le Roi Felipe VI d’Espagne

Du 27 octobre 2014 au 27 décembre 2014

L’ancien Président de l’université a reçu ce prix du Roi Felipe VI d’Espagne le 24 octobre 2014.

en savoir plus +

Quelques photographies

  • Remise du prix Prine des Asturies. De gauche à droite :  Joseph PEREZ, Roi Felipe VI d’Espagne (?).
  • Remise de médaille de Chevalier de la Légion d'Honneur à Nadine LY.  De gauche à droite : Frédéric DUTHEIL, Jacques MONFERIER, Joseph PEREZ. 25/09/2008.
  • Départs à la retraite de Joseph Pérez. De gauche à droite : Joseph PEREZ, Anne-Marie COCULA 15/12/1997.
  • Cérémonie Docteur Honoris Causa de Antonio MARAVALL (historien espagnol) dans la Maison des Pays Ibériques.   De gauche à droite : Bernard LAVALLÉ, Robert MARRAST, Maxime CHEVALIER, Louis PAPY (derrière), (?), François LOPEZ, José Antonio MARAVALL, Pierre HEUGAS-LACOSTE, Germaine PEREZ, Mme. MARAVALL, Joseph PEREZ 23/05/1986.
  • Intérieur de la Maison des Pays Ibériques (réhabilitée en 2016 en Maison de la recherche MLR) au moment de son ouverture ; Joseph PEREZ debout devant une bibliothèque. 11/09/1985.
  • Intérieur de la Maison des Pays Ibériques (réhabilitée en 2016 en Maison de la recherche MLR) au moment de son ouverture ; Joseph PEREZ au téléphone assis devant son bureau. 11/09/1985.
  • Remise de médaille de Chevalier de la Légion d'honneur à Joseph Perez par Roland Dumas. Salle des Actes.  De gauche à droite :  Roland DUMAS, Joseph PEREZ. 25/01/1985.
  • Cérémonie Docteur Honoris Causa dans l'amphi Renouard. Titre décerné à Luis MICHELENA ELISSALT (Koldo MITXELENA) et Antonio DOMINGUEZ ORTIZ.  De gauche à droite :  Recteur MARTIN, Antonio DOMINGUEZ ORTIZ, Joseph PEREZ, Luis MICHELENA ELISSALT (Koldo MITXELENA), Jean HARITXELHAR (HARITSCHELHAR). 15/06/1982.
  • Remise des insignes de chevalier de l'Ordre national du Mérite à André-Jean TUDESQ par Robert ESCARPIT dans la Salle des Actes.  De gauche à droite :  Robert ESCARPIT, Joseph PEREZ. 25/04/1984.
  • Remise de médaille de chevalier de l'ordre national du mérite à Joseph PEREZ (Président de l'Université 1978-1983) ;  De gauche à droite :  Recteur VERGUIN, Joseph PEREZ. 24/06/1981.
  • Remise de médaille de chevalier de l'ordre national du mérite à Joseph PEREZ.  De gauche à droite :  Recteur VERGUIN, Charles HIGOUNET, Joseph PEREZ. 24/06/1981.

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