Déc 3- Pauline Valade - Université Bordeaux Montaigne

Réjouissances monarchiques et joie publique à Paris au XVIIIè siècle. Approbation et interrogation du pouvoir politique par l'émotion (1715-1789)

 

 

Doctorante: Pauline VALADE

 

Date: 03 décembre 2016 à 08h30
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de la Recherche. salle des thèses
33600 Pessac

 

 

Les réjouissances monarchiques et les phénomènes de joie publique constituent des perspectives aussi complexes que fascinantes, tant pour l’histoire politique que l’histoire culturelle, des arts et des émotions.
Réfléchir sur les réjouissances monarchiques et la joie publique au XVIIIe siècle exigeait, dès le départ, de considérer leur aspect politique et plus précisément, la manière dont le roi et son gouvernement en firent un outil d’approbation, tacite et même superficiel, du régime monarchique. Cette idée conduit d’ores et déjà à élargir la question du consentement au-delà des moments de crises politiques, car les événements heureux de la Couronne étaient aussi des occasions de répéter les termes d’une cohésion des sujets de la capitale autour de leur souverain. C’est donc l’étude des exigences politiques, à travers les décisions, l’organisation et l’encadrement des manifestations de joie publiques qui permet d’approcher, et de conceptualiser le besoin du gouvernement, ainsi que le devoir des sujets. Il s’agit donc d’étudier comment s’instaure, de manière quasi-mécanique, les manifestations d’une joie décrétée et, en creux, la reconnaissance du pouvoir. Les trois premiers chapitres ont permis de mettre en évidence trois aspects fondamentaux de la joie publique telle qu’elle devait se manifester au cours des réjouissances monarchiques. La décision institutionnelle et administrative, l’organisation économique, logistique et matérielle, ainsi que l’encadrement policier dont elle faisait l’objet, attestent suffisamment de sa nature politique, toujours décrétée et jamais spontanée. Celle-ci témoigne de la nécessité pour le régime monarchique d’être implicitement approuvé par les sujets. Si l’absence de réflexion théorique sur ce sujet révèle peut-être l’incapacité de penser l’indifférence ou pire, la non-adhésion au régime, elle souligne aussi que la joie publique restait tributaire d’une procédure strictement institutionnelle et administrative qui décidait, informait et communiquait la nécessité de manifester sa joie pour les événements royaux. En exigeant les gestes d’une joie qui n’était pas nécessairement ressentie, le pouvoir politique cherchait surtout à modeler des comportements joyeux légalisés qui avaient valeur de consentement. Mais, aussi procédurier fut-il, le mécanisme décisionnel, de la Maison du Roi jusqu’aux institutions urbaines, se traduisait par des intérêts économiques, constamment à la limite entre intérêts particuliers et généraux. À l’instar de la communication des informations monarchiques, il faut là aussi penser l’organisation des réjouissances en termes de réseaux, de circulations, et parfois même de négociations. Vaste marché public, elles donnent une autre épaisseur à l’espace parisien, dont le contrôle devient plus que jamais un enjeu pour les autorités policières. La culture de l’approbation ne se limitait pas, en effet, à décréter et à organiser les réjouissances puisqu’elle procédait également d’un ensemble de normes gestuelles et comportementales, dont le respect dépendait étroitement des membres du Châtelet. L’encadrement policier permettait, idéalement, de conformer les manifestations de joie aux ambitions de la Maison du Roi, dans la mesure où policer la ville revenait peu ou prou à policer les gestes. Les déviances observées lors des réjouissances faisant plus souvent l’objet d’une composition que d’une répression, la police fabriquait perpétuellement un comportement approuvé, sinon toléré par les autorités, quand il n’était pas strictement interdit.
En d’autres termes, ces trois chapitres ont permis de comprendre comment le pouvoir monarchique établissait les conditions institutionnelles, économiques et policières de l’approbation populaire. Au-delà de ces trois fondements, il fallait considérer comment le pouvoir cherchait, concrètement, à susciter des manifestations de joie dans l’espace public.
Rechercher l’approbation par l’émotion impliquait, en effet, de recourir à des supports, des techniques ou des gestes politiques susceptibles de susciter des manifestations de joie publique. Moyens de représenter et de mettre en scène le pouvoir dans la ville, les rituels permettaient de solenniser l’événement avant de se réjouir. Ils donnaient un sens, en même temps qu’ils ordonnaient les célébrations dans l’espace public. Leur pérennité témoignait notamment du fait que les manifestations de joie devaient survenir dans un cadre institutionnalisé, parfaitement réglé et sous contrôle. Mais la monarchie ne limita pourtant pas sa communication aux rituels, même si ces derniers faisaient sens. L’analyse des décorations de feux d’artifice et l’importance de la synesthésie ont montré combien le pouvoir politique cherchait à atteindre un émerveillement quasi-pédagogique, destiné à susciter admiration et manifestations de joie. De surcroît, les moyens de réjouir et/ou d’amuser la population, à travers les distributions de vivres ou les orchestres publics, prouvent qu’émouvoir les sujets dépendait étroitement des initiatives du pouvoir et des modalités auxquelles il avait recours pour faire mouvoir la population. C’est donc tout naturellement que l’analyse des plaisirs de la joie décrétée se fait au prisme des perceptions élitaires. Émouvoir et faire mouvoir les Parisiens procédaient, inexorablement, d’une vision essentialiste du peuple, selon laquelle les sujets n’étaient capables que d’émotion, faute de réflexion. C’est en partie cette perception-là qui expliqua les initiatives du pouvoir pour transformer les réjouissances en actes de bienfaisance, avec les mariages de charité ou, dans une moindre mesure, les libérations de prisonniers. L’utilité prétendue de ces réjouissances permettait au pouvoir de réaffirmer l’intérêt d’une cohésion des sujets autour de leur monarque bienfaisant, quitte à ce que les manifestations de joie fassent l’objet d’un travestissement qui, là encore, devait accréditer des perceptions élitaires. Ces gestes de charité en temps de réjouissances devaient au moins susciter l’intérêt des habitants de la capitale, même si la démarche, particulièrement visible avec les jets d’argent, soulignait un des paradoxes latents des réjouissances monarchiques : acquérir l’approbation des sujets, alors même que ces derniers n’avaient aucune existence politique reconnue en dehors des théories politiques. En étant une vaste illustration du processus du don/contre-don, les réjouissances monarchiques étaient une parfaite illustration à la fois de la recherche de l’assentiment public, et des moyens mis en œuvre pour susciter des démonstrations de joie – ou des marques d’une approbation enthousiaste du pouvoir politique.
L’aspect vertical, des élites au pouvoir vers les sujets de la capitale, constitue, certes, une dimension fondamentale de la problématique, mais celle-ci serait très largement tronquée sans l’étude des manières de répondre à ces exigences, des manières de percevoir et de vivre réellement la joie publique, bien au-delà des projets et des espoirs tacites du régime monarchique. Il s’agissait alors d’analyser les réponses aux sollicitations du pouvoir. Loin de se limiter à des actes d’obéissance, elles révélaient, dans leur complexité, pourquoi et comment les manifestations de joie procédaient d’une réelle faculté de jugement des sujets parisiens. S’approprier les codes de la joie publique servait, en effet, des processus de détournement, voire de transgression, potentiellement à des fins contestataires.
Les manières de répondre aux sollicitations du pouvoir étaient donc plus nombreuses et plus ambiguës que ne l’étaient les exigences politiques. Au terme des deux premières parties, il apparaît qu’à la simplicité des ambitions gouvernementales, à savoir manifester de la joie dans l’espace public, répondait une pluralité de démonstrations, allant du conformisme aux transgressions des normes de la joie publique. L’une des grandes certitudes qui ressort de cette troisième partie est que, quelles que soient les manifestations de joie, toutes brisaient la conception erronée de la passivité populaire. Elles constituent, de ce point de vue, un formidable point d’observation de la culture politique du XVIIIe siècle, essentiellement constituée d’obligations et de négociations, deux éléments qui définissaient par ailleurs la culture de l’approbation avant la fin de la décennie 1780. Si les manifestations de joie conformes aux attentes du pouvoir étaient un moyen de se distinguer, de courtiser directement ou non le souverain, et si, plus généralement, elles ne signifiaient pas autre chose qu’une obéissance aux ordonnances de police, se réjouir signifiait donc dans ces cas-là, obéir aux ordres du pouvoir politique de Versailles comme de la cité. Mais les normes de la joie publique, patiemment inculquées par le pouvoir, firent systématiquement l’objet d’une appropriation par les sujets qui, de fait, fabriquaient leur propre culture de l’approbation. Constituée de discours et de gestes traditionnels, progressivement détournés pour créer un langage critique qui jamais ne désavouait le pouvoir, celle-ci démontrait combien ce dernier avait su fixer les cadres et les règles de l’approbation, sans jamais en imposer totalement le contenu. Par conséquent, les manifestations de joie publiques procédaient, là aussi, d’un perpétuel équilibre entre ce qui était exigé, toléré, et concrètement reçu puis vécu par les sujets.
S’accommoder, s’adapter aux exigences du pouvoir offrait la possibilité de détourner les manifestations de joie de leur allégeance initiale ; elles constituaient ainsi une occasion de critiquer le pouvoir en des termes acceptables parce que théoriquement institutionnalisés et, surtout, parce qu’ils ne signifiaient pas autre chose, en apparence, que l’approbation du pouvoir politique. Le détournement des manifestations de joie, et parfois même la transgression des normes de la joie publique, eut donc pour conséquence de voir l’acte de se réjouir devenir un nouveau cadre pour contester le pouvoir. Dès lors, l’évolution du devoir vers le droit d’exprimer ou non la joie publique devenait tangible, d’autant que ses manifestations n’étaient plus exclusives au pouvoir royal mais de plus en plus sélectives. Le phénomène est particulièrement visible dans le dernier tiers des années 1780, lorsque la résistance parlementaire fournit un cadre pour s’arroger le droit de se réjouir et contester le gouvernement. Enfin, les événements de 1789 initièrent une des grandes transformations des joies publiques, à savoir l’évolution de la joie décrétée par la royauté vers une joie citoyenne décrétée par les nouvelles institutions représentatives des sujets. C’était là l’aboutissement du long processus d’approbation et d’interrogation du pouvoir politique par l’émotion de joie au XVIIIe siècle.

 

 

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