Déc 16- Marie Anne Mersch - Université Bordeaux Montaigne

La franc maçonnerie et les femmes au temps des lumières : Angleterre, France et territoires allemands

Doctorante: Marie Anne MERSCH

 

Date: 16 décembre 2016 à 13h30
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de la Recherche salle des soutenances
33600 Pessac

Résumé:


La franc-maçonnerie spéculative s’est répandue en Europe de l’ouest durant
tout le dix-huitième siècle. Bien que les Constitutions d’Anderson interdisent
catégoriquement l’admission des femmes dans les loges maçonniques, il
s’avère que des femmes furent initiées en France et en Allemagne. Très vite
elles font leur la pratique maçonnique et l’on voit se développer, à côté d’une
maçonnerie masculine, une maçonnerie féminine qui prendra le nom de
maçonnerie des Dames. Le phénomène se propage rapidement. Cette
maçonnerie des Dames reste cependant tout à fait différente de la francmaçonnerie
masculine et plusieurs particularités se dégagent : un rituel
spécifique fut développé pour ces loges ; elles ne peuvent se réunir qu’en la
présence des « Frères » maçons et leurs travaux sont également dirigés en
grande partie par ces derniers. En France elles conservent le nom de la loge
masculine à laquelle elles sont rattachées, alors qu’en Allemagne elles
adoptent un nom distinct.
La présente étude part du constat que nous sommes confrontés à un double
phénomène en ce qui concerne la franc-maçonnerie et les femmes. D’un
côté leur exclusion formelle des loges instituées pour les hommes dotées de
règlements délivrés par leurs obédiences respectives. D’un autre côté
l’existence prouvée de l’initiation des femmes dans des loges maçonniques.
L’organisation de ces loges nous renvoie immédiatement à d’autres constats.
Plusieurs questions se posent d’emblée. Quelles sont les raisons précises de
cette exclusion et d’où est-ce qu’elles tirent leur origine? La définition de la
femme fut-elle la même dans les sociétés anglaise, française et allemandes du
XVIIIe siècle ? Si l’on parvient à identifier les causes, pourrons nous établir si elles
sont intrinsèques à la franc-maçonnerie ou plutôt liées à la délimitation entre
sphère publique et privée ? Enfin comment expliquer dès lors que cette
exclusion ait pu être dépassée et contournée et qu’un modèle d’intégration
des femmes ait pu être inventé?
Plusieurs chercheurs se sont penchés sur la question des femmes liées à la
Franc-maçonnerie au dix-huitième siècle dans les trois pays étudiés. Les points
de vue divergent quant au statut des loges de dames: dans quelle mesure ontelles
été indépendantes ou soumises aux loges masculines auxquelles elles
étaient rattachées ? La plupart des chercheurs accordent un rôle primordial à
la Franc-maçonnerie féminine et estiment qu’elle a joué un rôle décisif dans
l’émancipation des femmes. Une minorité pense y voir la permanence d’une
éternelle soumission. En général ceux qui dénigrent la participation des
femmes se concentrent essentiellement sur leur exclusion des rituels masculins
alors que ceux qui essaient de démontrer le rôle émancipateur historique des
loges d’adoption mettent en valeur justement la création de rituels à particularités féminines spécialement conçus pour les femmes et voient la Franc-maçonnerie tel un lieu où les femmes pouvaient exprimer leur féminité.

Le présent travail cherche justement à dépasser ce clivage en essayant de
dégager l’élément émancipateur non par rapport à sa particularité féminine
mais en fonction de sa contribution à l’ouverture aux femmes d’une sphère
traditionnellement réservée aux hommes dans la société en général, à savoir
l’accès à la raison, à la pensée et au savoir. Dans ce but il convient tout
d’abord de replacer les particularités de la maçonnerie d’adoption dans le
contexte général et l’état d’esprit du dix-huitième siècle. La littérature, la
philosophie et la médecine s’accordent à définir la femme en fonction de sa
nature différente. Ce travail s’efforce de ne pas superposer le débat actuel sur
les femmes et la situation au dix-huitième siècle et cherche à éviter, autant que
possible, la projection de nos propres conceptions et à tenir compte des écarts
existants sur le terrain des mentalités et des idées.
Le rôle de la femme dans la Franc-maçonnerie du dix-huitième siècle ne peut
ainsi être expliqué sans une analyse de plusieurs facteurs historiques. La
question de la nature de la femme était un objet de réflexion pour nombreux
penseurs de l’époque. Cette question faisait l’objet de nombreux discours
médicaux, anthropologiques et philosophiques. Ces réflexions portaient autant
sur le rôle social, la nature biologique et la sexualité. Avant tout, il est essentiel
de rappeler que la société occidentale du dix-huitième siècle est chrétienne.
Les mentalités sont forgées de croyances anciennes, sur les femmes
notamment. Bien que la société chrétienne européenne ait quelque peu
évolué depuis le Moyen-âge, il est des mythes qui perdurent. Ainsi en est-il du
mythe de la femme créée non en même temps que l'homme, mais à partir de
l'homme.
La comparaison internationale sur laquelle repose la thèse vise à analyser la
signification sociale que peut prendre l’initiation des femmes à la Franc-
Maçonnerie au dix-huitième siècle.
Il s’agit d’étudier parallèlement des sociétés à la fois voisines et
contemporaines, influencées les unes par les autres, soumises dans leur
développement à l'action des mêmes grandes causes. La démarche
comparative est utilisée de manière implicite puisqu'il s'agit avant tout de
marquer la spécificité du phénomène que fut la franc-maconnerie au dixhuitième
siècle et des trois pays étudiés. L’objectif principal est de mettre en
évidence la singularité ou encore le caractère unique de cet événement ou
des différents territoires. Il convient dans une deuxième étape de discerner ce
que les faits se déroulant dans différents pays ont de commun dans le but d'en
dégager d’éventuelles lois. Il faut cependant se méfier d'une distorsion possible
qui est celle du l'attitude du chercheur, produit d'une culture donnée face à
un contexte qui lui est étranger.

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