Déc 08- Mickael Alcibar - Université Bordeaux Montaigne

Histoire et enjeux de l'enseignement des langues régionales dans les écoles primaires publiques : le cas du basque et du breton

Doctorant: Mickael Alcibar

 

Date: 08 décembre 2016 à 14h30
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de la recherche-salle des thèses
33600 Pessac

Résumé:

Histoire et enjeux de l’enseignement des langues régionales dans les écoles primaires
publiques : le cas du basque et du breton
En se basant sur une démarche comparative, cette thèse propose une étude des
processus de politisation vécus par la langue basque et la langue bretonne mais également par
la langue française à l’école, notamment à l’école primaire publique, sur une période allant de
la Révolution française à nos jours (2015). Pour cela, elle a pour objectif principal de mieux
appréhender :
1) comment les deux langues ont réussi à intégrer le système d’enseignement public ;
2) comment leur enseignement a réussi à se développer pour atteindre le niveau de
structuration et d’organisation qui est le sien aujourd’hui ;
3) les enjeux auxquels l’enseignement du basque et du breton est confronté à l’heure
actuelle dans les filières publiques bilingues du premier degré.
On a choisi volontairement de restreindre le champ de recherche au cadre éducatif public car,
étant directement sous la délégation de l’État, l’analyse des rapports entre le basque, le breton
et l’école publique renvoie directement ou indirectement aux rapports entretenus par l’État
avec ces deux langues ainsi qu’aux contradictions pouvant exister entre la définition d’une
politique linguistique et son application sur le terrain.
L’approche scientifique du sujet se veut transdisciplinaire puisque pour appréhender
de manière pertinente des faits sociaux1 comme une langue ou encore l’école, il est nécessaire
d’avoir recours à plusieurs disciplines comme l’histoire, la sociolinguistique, les sciences
politiques, les sciences de l’éducation, la sociologie, la géopolitique, l’économie … Cette
transdisciplinarité est d’autant plus vraie que les interactions entre ces faits sociaux sont
importantes dans un sens comme dans un autre. Pour Sébastien Quenot2, la mise en place de
l’enseignement bilingue en Corse a favorisé rapidement trois types de rupture :
« En Corse, l’émergence de l’enseignement bilingue marque une triple
rupture : d’abord pédagogique avec la dualisation des cursus primaires,
ensuite épistémologique avec la valorisation du bilinguisme qui
apparaissait autrefois comme dangereux, et enfin politique non seulement
dans le cadre culturel des politiques du patrimoine mais plus encore avec la
mobilisation de la langue corse en faveur de l’intégration et de la cohésion
1 Le fait social est un objet d’étude de la sociologie selon Émile Durkheim. « Est fait social toute manière de
2 Sébastien Quenot est docteur langues et cultures régionales. Depuis décembre 2015, il est le directeur de
cabinet du président de l’Assemblée Corse, Jean-Guy Talamoni.
sociale. Ce renversement de perspective ne sera pas sans conséquences sur
le système éducatif, les représentations, pratiques et institutionnalisations
linguistiques, ainsi que sur le vivre ensemble3 ».
La triple rupture constatée par l’auteur est un bon exemple de ce que la rencontre entre la
langue corse et l’école, autrement dit la rencontre entre deux faits sociaux, peut avoir comme
conséquence immédiate dans un contexte politique précis. Cette perspective corse laisse
entrevoir une partie des réalités ayant également accompagner l’émergence puis le
développement de l’enseignement du basque et du breton au sein de l’école publique. Ce
travail de recherche approfondit les tenants et les aboutissants des différentes interactions
existant entre les deux langues étudiées et l’institution scolaire sur plus de deux siècles
histoire.
Dans un souci d’efficacité et de pertinence, seule une problématique a été retenue
comme vecteur transversal et commun aux trois grandes parties développées dans cette thèse.
Elle se définit de la manière suivante :
è Comment s’est organisée la politisation de la question linguistique à l’école primaire
publique à partir de la Révolution française jusqu’à nos jours (2015) ?
Cette problématique permet de placer la relation entre les langues et l’école au centre de
l’ensemble des réflexions menées tout au long de cette étude. De plus, l’approche
comparative choisie pour analyser les différentes situations au cours de la période étudiée
permet de mettre en évidence les points communs et les points divergents existants entre le
cas basque et le cas breton. Pour cela, cette thèse se réfère à la définition du terme
« politisation » donnée par Philippe Blanchet4 dans un article intitulé La politisation des
langues régionales de France :
« Le terme « politisation » signifie « donner un caractère politique » et
politique implique deux valeurs sémantiques liées, qu’il convient de
distinguer. La première, en effet, est chargée d’une connotation plutôt
3 S. QUENOT, « Structuration de l’Ecole bilingue en Corse Processus et stratégies scolaires d’intégration et de
différenciation dans l’enseignement primaire », Thèse de Doctorat en Cultures et langues régionales à
l’Université de Corse, soutenue le 13 décembre 2010, p. 11.
4 Philippe Blanchet est professeur de sociolinguistique et didactique des langues à l’Université Rennes 2 Haute-
Bretagne. Il y a fondé le laboratoire PREFICS, ex-ERELLIF (créé en 2000 avec Marc Gontard). Il est spécialiste
du provençal, des variétés du français et du plurilinguisme dans les espaces francophones. Il collabore
régulièrement avec Henriette Walter, Louis-Jean Calvet et de nombreux linguistes. Il est expert pour plusieurs
organismes internationaux et dirige plusieurs programmes de recherche à l'international. Philippe Blanchet est
aussi poète et écrivain en provençal (collaborations aux revues L'Astrado, Les Cahiers de Garlaban, La France
latine, …). Il a reçu le Grand Prix Littéraire de Provence 2001 pour l'ensemble de son oeuvre littéraire.
positive, alors que la seconde, qui en dérive, en signale des aspects
généralement perçus de façon négative. Est politique ce qui concerne la
« vie dans la société » (c’est le sens originel et « noble » du mot). Dans ce
cas, on a affaire à la question, à la fois éthique et juridique, des droits et
des devoirs des citoyens comme des instances d’organisation et de
régulation de la vie en société. Est politique ce qui concerne la « vie des
milieux politiques », c’est-à-dire la vie « politicienne » (au sens souvent
péjoratif du mot), celle des personnes, des groupes et des instances qui
pratiquent – ou cherchent à pratiquer – le pouvoir politique. Dans ce cas,
on a plutôt affaire à des phénomènes d’affiliation (à des partis, des groupes
d’opinion, etc.), de stratégie – voire de manoeuvre – (pour prendre,
conserver ou utiliser le pouvoir)5 ».
Cette définition au sens double (positif et négatif) explicitée par Philippe Blanchet est
intéressante car elle permet de comprendre que la politisation de la question linguistique
induit forcément des prises de positions éthiques, idéologiques et politiques qui peuvent
s’inscrire à la fois dans le vivre ensemble et/ou dans la pratique politique du pouvoir. Il sera
question de ces prises de position tout au long de l’analyse proposée.
Cette thèse s’inscrit dans la complémentarité des travaux effectués ces dernières
années tant au sein des Études basques (« L’enseignement de la langue basque en France.
Essai d’évaluation de son impact dans la société » (2012) par B. COYOS, « Le
développement du langage oral chez l'enfant bilingue basque-français en contexte
d'acquisition simultanée vs. successive des langues » (2013) par I. DUGUINE, « Le
développement des compétences linguistiques chez les élèves de l'école primaire dans le
cadre d'une scolarité bilingue (basque-français) » (2016) par B. LASCANO, par exemple)
qu’au sein du Centre de recherche bretonne et celtique (« Pédagogie, créativité et
revitalisation linguistique dans les écoles en immersion : l'exemple de Diwan. Approche
critique des rapports entre créativité, pédagogie et revalorisation de la langue bretonne »
(2015) par F. CHAUFFIN par exemple). Par contre, la démarche scientifique choisie ne prend
pas en compte les contenus des apprentissages, la pédagogie à adopter pour transmettre
efficacement la langue ou encore les acquis langagiers des élèves comme les préoccupations
centrales de cette thèse. Elle souhaite davantage explorer les conditions sociopolitiques ayant
permis à la langue basque et à la langue bretonne d’intégrer le système scolaire au cours de la
deuxième moitié du XXème siècle, de comprendre les facteurs politiques ayant permis aux
filières publiques bilingues étudiées de se développer, de mettre en perspective l’évolution du
rapport existant entre le français et les autres langues au travers de l’école, de montrer que
5 P. BLANCHET, « La politisation des langues régionales de France », dans Hérodote (n°105), 2/2002, p. 85.
l’enseignement des langues régionales peut servir de variable d’ajustement lorsque les
tensions linguistiques, culturelles, politiques et identitaires se cristallisent avec l’État …
Autrement dit, notre approche se veut complémentaire aux différents travaux cités
précédemment afin de participer à la construction du sens dont l’entité « enseignement des
langues régionales » a de plus en plus besoin aujourd’hui. Les évolutions rapides et parfois
récentes enregistrées tant dans la sphère éducative que dans la sphère politique nous
conduisent à étudier l’enseignement des langues basque et bretonne à l’école dans une
perspective contemporaine et relativement actualisée. En effet, il faut désormais appréhender
l’enseignement des langues régionales, non plus seulement comme un projet sociétal mais
également comme un processus social contribuant à faire évoluer le rôle politique conféré à
l’école depuis la Révolution française.
Dans le cas du Pays Basque et de la Bretagne, les réflexions autour de la langue
s’inscrivent dans des cadres géopolitiques plus complexes que les apparences ne laissent à
penser. La territorialité et l’identité sont des thématiques indissociables de la question basque
ou bretonne. En effet, en abordant le contexte basque, il est nécessaire de prendre en compte
les évolutions sociopolitiques du Pays Basque sud car la langue, la culture et l’identité basque
y ont une réalité. La question basque doit s’appréhender comme un tout car la frontière
franco-espagnole est à considérer comme une zone d’interaction entre deux territoires
pouvant s’influencer dans un sens comme dans un autre en fonction de l’intensité du contexte
historique et politique. Par exemple, le nationalisme basque, la lutte armée ou encore
l’obtention d’un statut d’autonomie par la Communauté Autonome Basque (CAB) et par la
Communauté Forale de Navarre (CFN) sont représentatifs des éléments de complexification
du sujet. De la même manière, en abordant le contexte breton, il faut composer entre la
Bretagne administrative composée de quatre départements (Côtes-d'Armor, Finistère, Ille-et-
Vilaine et Morbihan) et les réalités politiques d’une Bretagne à cinq départements où la
langue, la culture et l’identité bretonnes sont vecteurs de sens pour certaines représentations
politiques comme le nationalisme breton, l’autonomie de la Bretagne, les mouvances prônant
la lutte armée. Pour autant, les thématiques territoriale ou identitaire n’influencent pas
directement l’évolution de l’enseignement des langues régionales dans les écoles primaires
publiques. Elles font plutôt partie d’un contexte global qui sera déterminant à plusieurs
reprises pour obtenir des concessions ou des avancées dans le domaine scolaire, faisant de
l’école, aujourd’hui, une variable d’ajustement et d’apaisement politique. Ainsi, dans
l’analyse proposée dans cette thèse, la territorialité et l’identité ne se posent pas comme des
axes principaux de notre réflexion. Elles seront uniquement abordées lorsque que la
compréhension du contexte culturel ou scolaire le nécessitera.

 

 

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