Nov 4 - Antoine Dumas - Université Bordeaux Montaigne

Le premier âge du Fer en vallée de Garonne et sur ses marges. Dynamiques chrono-culturelles et territoriales

Doctorant: Antoine Dumas

 

Date: 04 novembre 2016 à 09h00
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de l'Archéologie-salle de conférences
Esplanade des Antilles
33600 Pessac

Résumé: 


L’interrogation qui sous-tend notre travail de thèse est classique en archéologie : il s’agit de comprendre comment les communautés humaines protohistoriques étaient organisées. La très forte augmentation du volume d’informations disponibles depuis les dernières décennies permet de la poser à nouveau, à partir d’un corpus renouvelé. Cet accroissement très important permet non seulement de réfléchir à partir d’éléments inédits et inattendus, mais aussi de réexaminer l’intégralité des données connues dans une perspective nouvelle. Ce travail a été effectué en privilégiant une thématique particulière : l’organisation spatiale, véritablement transfigurée par les nombreuses découvertes effectuées notamment dans le cadre de l’archéologie préventive. Le but était de parvenir, par l’analyse des modalités apparentes d’organisation spatiale des sites connus, à une meilleure perception des formes de structuration territoriale en vigueur dans la région choisie pour mener l’étude. La structuration territoriale entretenant des liens étroits avec la structuration politique, cette analyse avait donc également pour objectif de dépasser le simple registre matériel pour déboucher sur des réflexions concernant l’organisation des sociétés, en termes de hiérarchisation, de relation au pouvoir, de maîtrise des processus de production ou de distribution des richesses. Apporter des réponses à ces questions a impliqué de rassembler et d’organiser un grand nombre de données, puis de leur appliquer des méthodes d’analyse variées.

I - Un corpus renouvelé
La zone d’étude sélectionnée se trouve dans le sud-ouest de la France et correspond à neuf départements actuels (Charente, Charente-Maritime, Dordogne, Gironde, Lot, Lot-et-Garonne, Gers, Tarn-et-Garonne, Haute-Garonne). Dans les limites de cet espace, l’inventaire des sites du premier âge du Fer a mené au catalogage de 431 sites. Une première phase du travail a consisté à mettre en relation la localisation des sites recensés avec les différentes entités géologiques et paysagères constituant la région, afin de savoir dans quelle mesure la nature du terrain, des cultures et plus généralement de l’occupation du sol actuelle influent sur la quantité de données connues et sur les disparités constatées. Dans un second temps, un historique des recherches et des cadres conceptuels a cherché à retracer la manière dont ces données ont été acquises. Cette tâche a notamment permis de souligner l’importance de l’archéologie préventive, qui a joué et joue encore un rôle très important tant dans l’accroissement documentaire que dans le renouvellement des problématiques. C’est au terme de ces deux phases préliminaires qu’ont pu être clairement dégagé les deux axes principaux constituant notre problématique. La résolution des questions relatives aux modalités d’organisation spatiale des communautés humaines se nécessitait en effet d’acquérir une vision dynamique, et non statique, des configurations territoriales. Ceci appelait donc, outre un travail d’analyse spatiale à proprement parler, une remise à plat de la chronologie régionale du premier âge du Fer et donc la constitution préalable d’un cadre chronologique.

II - Typo-chronologie
Pour apporter des réponses aux deux branches de la problématique (la chronologie et l’analyse spatiale), un panel de méthodes variées a été utilisé. La résolution des questions de chronologie a demandé plusieurs étapes. La première a consisté à élaborer un outil de description des objets archéologiques. Concernant le mobilier métallique ou en matières précieuses ou semi-précieuses (ambre, lignite, verre…), nous avons pu réutiliser, moyennant quelques amendements parfois, des systèmes descriptifs préexistants. En revanche, il a fallu construire entièrement un outil de description de la céramique. En effet, cette catégorie d’objets, qui représente la grande majorité des pièces recensées, posait un certain nombre de problèmes dont une fragmentation très importante et une absence de standardisation de la production (donc de grandes variations d’un objet à l’autre). Nous proposons donc, dans le cadre de ce travail, une nouvelle méthode de classement typologique de la céramique protohistorique, spécifiquement adaptée à l’intégration de documents fragmentés issus d’habitats tout en étant en mesure de décrire également les objets moins dégradés provenant de contextes plus favorables, notamment des tombes.
Le classement de plusieurs milliers d’objets issus de contextes funéraires comme domestiques nous a donc permis d’aborder le problème de la chronologie. La documentation a été traitée au moyen d’une succession de sériations, d’abord effectuées sur des groupes de tombes, puis sur le corpus des ensembles issus d’habitats. La corrélation des résultats de ces deux volets de l’analyse a débouché sur la constitution d’un nouveau cadre chronologique régional, intégrant neuf horizons successifs entre 800 et 375/350 a.C. environ et couvrant tout le premier âge du Fer et le début du second. Bien que bâti indépendamment des systèmes chronologiques préexistants (locaux comme continentaux), ce cadre chronologique est en mesure de dialoguer avec les principaux d’entre eux, puisque nous avons pu identifier des moments de rupture similaires à ceux reconnus par ailleurs (par exemple le passage du Ha C au Ha D).

III - Analyse spatiale
L’attribution d’une datation précise aux ensembles archéologiques recensés a donné accès au champ des analyses spatiales. Dans un premier temps, nous avons cherché à mettre en évidence des faciès mobiliers infra-régionaux, à les caractériser et à décrire leur évolution dans le temps. Ceci a été mené à bien au moyen d’une série d’analyses factorielles des correspondances (AFC), chacune portant sur une période donnée. Il a ainsi été possible de mettre en évidence deux domaines — ou ambiances — typologiques différent(e)s, séparant la zone d’étude en deux ensembles : l’un au nord/nord-ouest, l’autre au sud/sud-est. Ces ensembles sont perceptibles dès le Ha C puis, quoique de manière moins nette, tout au long du premier âge du Fer. Les AFC ont aussi montré que le début du Ha D est un moment au cours duquel se produit une forme de fragmentation culturelle, débouchant sur des faciès micro-régionaux plus nombreux qui se sont maintenus jusqu’à la fin du premier âge du Fer et au début du second.
L’analyse s’est ensuite concentrée sur les dynamiques d’occupation du sol à proprement parler. L’attribution d’une datation plus précise aux différents sites archéologiques recensés a d’abord donné l’opportunité d’observer ces dynamiques à l’échelle de la zone d’étude entière, et de raisonner en termes de longueurs d’occupation, de créations et d’abandons des sites au fil du temps. Ceci a mis en exergue la singularité du Ha C par rapport aux périodes ultérieures, en matière de couverture du territoire autant que de modalités générales d’implantation.
Nous nous sommes également attaché à la description fine de l’évolution des systèmes de peuplement en menant une série d’analyses cartographiques. Le dossier des sites de hauteur a été abordé en premier afin d’éprouver l’idée, souvent formulée, selon laquelle ils constituent une catégorie d’habitat particulièrement structurante au cours de la protohistoire. Au delà de certaines tendances de fond (par exemple dans les choix d’implantation de ce type de site, souvent le long d’axes fluviaux), nos observations ont mis en évidence différentes configurations selon les secteurs envisagés, suggérant que les sites de hauteur ne résument pas à eux seuls les logiques de peuplement.
Nous avons donc procédé à plusieurs études de cas concernant quelques secteurs particuliers. La projection de la totalité des données bien datées dans les limites de ces secteurs, habitats de plaine, de hauteur, nécropoles, tombes isolées, dépôts non funéraires et autres indices d’occupation, ainsi que leur hiérarchisation au moyen d’un système de points a débouché sur des résultats riches et complexes. D’une part, il est apparu que, entre le Ha C et LT A ancienne, les communautés humaines occupant les différentes fenêtres ont suivi des trajectoires diverses. Dans certains secteurs (essentiellement le sud de la zone d’étude), on assiste, parfois dès le Ha D1, plus souvent à partir du Ha D2 ou 3, à l’apparition de petites formations territoriales à deux niveaux d’intégration, composées d’un site central et d’habitats périphériques. Les habitats de plaine à la base de ces formations territoriales sont, par rapport aux sites domestiques du Ha C, à la fois plus gros, plus pérennes et moins nombreux, raison pour laquelle on peut identifier ici un processus de réduction (en termes de densité de sites) et de consolidation du système de peuplement. Dans d’autres secteurs (notamment les plaines charentaises), la forme dominante de l’habitat ne connaît pas de changement majeur pendant le premier âge du Fer et au début du second : un semis mouvant de petits habitats à vocation agro-pastorale et à courte durée de vie constitue la base du système de peuplement. C’est seulement à la fin de la période que s’engage, de manière incomplète, le processus de réduction/consolidation amorcé plus tôt ailleurs et que des formations similaires, centrées sur des sites de hauteur, peuvent être reconnues. Aux abords de l’estuaire, une situation hybride est identifiable, dans laquelle certains habitats de plaine semblent faire jeu égal avec les sites de hauteur et concentrer autour d’eux les indices de peuplement. Au delà de cette variété cependant, une tendance de fond menant partout à la formation d’entités territoriales à deux niveaux d’intégration de forme sensiblement égale reste perceptible.
Une ultime phase d’analyse a eu pour objectif d’analyser le lien entre la forme des semis de sites et les problématiques liées à la mobilité. Elle a montré qu’il existe un lien très fort entre le réseau hydrographique principal (fleuves et grandes rivières) et le semis de sites dans son ensemble, mais que ce lien a tendance à s’amoindrir au fil du temps, signe d’une meilleure couverture du territoire. La permanence de ce lien fait par définition du réseau hydrographique un réseau de circulation. Il a également été possible d’identifier des seuils de distances récurrents unissant les sites composant les entités territoriales centrées sur des habitats de hauteur, ainsi que, dans certains cas particuliers, de probables axes de circulation terrestre jalonnés d’habitats et de tombes.

La reprise de toutes les conclusions issues des analyses chronologiques ou spatiales dans une perspective élargie temporellement (en partant de l’âge du Bronze), spatialement (en se référant à l’Europe moyenne) et conceptuellement (en mettant à contribution les travaux de l’anthropologie sociale sur la classification des sociétés) nous a conduit, en dernier lieu, à proposer un scénario évolutif permettant de replacer les communautés humaines du premier âge du Fer du sud-ouest de la France dans un contexte plus vaste. C’est dans ce cadre que nous avons pu proposer, comme ultime développement, une réflexion sur les modalités de passage de l’âge du Bronze à l’âge du Fer, puis du premier âge du Fer au second, qui se fonde sur (et défend l’idée d’) une lecture unifiée de la totalité du registre archéologique, seule à même de rendre compte des importants changements qui ont eu lieu pendant ces quatre siècles.

 

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