Nov 10- Marietta Dromain - Université Bordeaux Montaigne

La fenêtre et l'éclairage dans l'architecture grecque antique

Doctorante : Marietta Dromain

 

Date: 10 novembre 2016 à 14h30
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de la Recherche salle des soutenances 001
Esplanade des Antilles
33600 Pessac

Résumé:

« Je ne dissimule point, en effet, qu’il règne une parfaite concordance entre tous les écrivains modernes, tant antiquaires que voyageurs, sur l’opinion que les temples des anciens ou ne recevoient point de lumière, ou n’en recevoient que par l’ouverture de leur porte ». C’est ainsi que commence la démonstration d’A. C. Quatremère de Quincy sur l’éclairage des temples grecs et romains. Ce chercheur, très moderne dans certaines de ses interprétations, réfuta en effet le premier les affirmations de ses prédécesseurs et contemporains, notamment J. J. Winckelmann, selon lequel « la semi-obscurité convenait aux pratiques religieuses », l’éclairage se faisant alors uniquement par la porte. Cette théorie reposait sur le texte de Vitruve, De Architectura, ou plutôt sur une lacune de celui-ci concernant les baies des temples. Les très vagues évocations de l’auteur latin ne permettaient en effet pas de se faire une idée précise de leur existence, ce qui conduisit à la supposition de leur absence.
Cette question de l’éclairage ne doit pas se circonscrire aux temples. Ces monuments, qui fascinaient les chercheurs du XIXe siècle, ont quelque peu occulté les autres bâtiments, pour lesquels les problématiques étaient identiques : comment éclairait-on ces bâtiments dans l’Antiquité ? C’est cette interrogation et l’observation de l’absence de synthèse complète sur le sujet qui a donné naissance à cette étude, avec la fenêtre comme point de départ, rapidement élargie à toutes les baies et dispositifs permettant l’éclairage.
Si la lumière est revenue au centre des préoccupations au XXIe siècle, elle est toujours considérée avec le regard moderne, comme le montrent les nombreuses restitutions des monuments antiques. Il est en effet facile d’imaginer des fenêtres sur tous les murs, à tous les niveaux, comme il était auparavant facile de croire que les Grecs se moquaient de l’éclairage naturel et ne le prenaient pas en compte lors d’une réflexion architecturale. La difficulté est donc d’étudier des baies que l’on retrouve peu ou prou, afin de comprendre quel rapport les Grecs entretenaient avec la lumière naturelle et comment la considéraient-il – du point de vue esthétique, symbolique voire mystique ou simplement pratique – mais aussi et surtout si les baies avaient un lien avec la forme et la fonction des édifices qu’elles ornaient. Il importe de se demander si l’éclairage a pu primer sur l’architecture ou si les différents dispositifs ont dû s’adapter aux formes architecturales créées ou utilisées par les Grecs. À cela s’ajoutent d’autres interrogations, sur la possibilité de particularités régionales et d’une évolution de ces ouvertures et éléments d’éclairage. Malgré le faible nombre de baies clairement attestées, peut-on en établir une typologie ?

Notre sujet a donc pour titre « La fenêtre et l’éclairage dans l’architecture grecque antique. Monuments publics et religieux de la Grèce égéenne ». Il est indispensable dès à présent de définir les termes et les limites de notre sujet, car notre intitulé présente une dualité. Il est en effet question de la fenêtre et de l’éclairage. Qu’entendons-nous par cette apposition de ces deux mots ?
Nous comptons étudier la fenêtre, c’est-à-dire une baie circonscrite dans un mur et disposant normalement d’un chambranle mouluré, éventuellement peint. Cette baie pouvait être fermée par des dispositifs fixes et/ou mobiles. Il faut tenir compte du fait que la fenêtre ne fournit pas nécessairement de l’éclairage. En effet, elle peut être aveugle ou disposée de telle manière qu’elle ne permet pas un apport de lumière conséquent ou du moins suffisant par rapport à ce que l’on attendrait d’une fenêtre à notre époque. Elle peut aussi avoir d’autres usages pratiques, symboliques, esthétiques ou religieux. C’est donc l’ensemble de ses fonctions et de ses utilisations qu’il nous faut analyser.
Nous allons aussi porter une attention particulière à l’éclairage. Comme le sous-entends la fenêtre, c’est l’éclairage naturel qui sera soumis à investigation. L’éclairage naturel peut être fourni par la fenêtre mais aussi par d’autres types de baies ainsi que des dispositifs qui ne sont pas des baies, comme la baie en négatif et la tuile translucide. Il s’agit donc d’étudier toutes les ouvertures architecturales et les moyens permettant un apport de lumière naturelle ou qui le paraissent au premier abord. Car là aussi, d’autres données entre en jeu. Il est intéressant aussi de se demander si des baies peuvent, fait contradictoire, empêcher – par leur forme, leur position et leurs dispositifs de fermeture – la lumière de pénétrer dans un espace.
Il s’agit donc, pour résumer, de se pencher sur tous les éléments architecturaux qui contribuent ou interfèrent dans l’éclairage naturel d’une salle, d’un édifice. Pour cela, il convient non seulement d’étudier ces éléments architecturaux mais aussi l’édifice qu’ils ornent afin de comprendre s’il y a un lien entre un type particulier et un type architectural et/ou fonctionnel d’édifice. Ceci nous conduira à établir des comparaisons et nous permettra de tenter une typologie des baies et autres moyens d’éclairage.
L’éclairage naturel est donc au cœur de nos préoccupations, car il reste l’élément le plus méconnu de l’éclairage des édifices. L’éclairage artificiel, quant à lui, a été plutôt bien étudié grâce aux nombreuses découvertes de lampes dans les fouilles d’habitat autant que de sanctuaires. Il est étonnant, cependant, de constater que peu de rapport ont été établis entre éclairage naturel et artificiel. Or, tout comme à notre époque, les deux devaient certainement être complémentaires, il ne faut donc pas le négliger dans notre étude.
L’éclairage sera étudié par le biais de l’architecture, cependant il ne s’agit pas d’une thèse d’architecture mais d’archéologie du bâti. Le but n’est pas uniquement d’analyser les éléments formels des baies et autres dispositifs d’éclairage afin de les restituer dans l’édifice mais aussi et surtout de comprendre leur rôle, les besoins à l’origine de leur mise en place, l’évolution de leur utilisation et les réaménagements, le tout dans le contexte globale de la construction et utilisation d’un édifice. Il faut donc prendre aussi en considération la fonction et l’évolution du bâtiment, afin de restituer une histoire à ces aménagements architecturaux. L’étude du monument dans son entièreté est donc primordiale pour mieux appréhender la place que tenait l’éclairage dans l’architecture grecque. Aussi, nous devons nous intéresser à plusieurs domaines de recherche que sont bien sûr l’archéologie et l’architecture mais aussi l’art – la décoration architecturale et les représentations artistiques de baies –, la littérature, l’épigraphie et la numismatique. Il s’agit de dépouiller toutes les sources disponibles qui ont trait aux baies, toujours dans notre idée de vision globale de leur utilisation.
Quant aux édifices concernés, nous avons dû faire un choix. Le grand nombre de monuments que l’on restituait pourvu de fenêtres et la quantité de types d’édifices différents nous ont obligé à restreindre notre étude à deux catégories, les édifices publics et religieux. L’étude des édifices militaires nous paraissait moins pertinente, bien qu’elle soit intéressante. Les édifices privés, quant à eux, ont été le sujet de très nombreuses recherches et les fenêtres des habitations de Délos, particulièrement, sont très bien connues. Elles nous ont donc permis des études comparatives. Quant aux monuments à consonance plus civico-politique, il restait trop peu d’éléments concrets à analyser, nous avons préféré privilégier des types d’édifices avec plus de cas attestés. Nous plaçons parmi les édifices publics ceux qui appartiennent à la cité, majoritairement des stoai, ainsi que des édifices à usage commerciale et des entrepôts. Les édifices religieux sont des bâtiments directement liée à une divinité, qu’il s’agisse d’un temple ou d’un lieu de culte, ainsi que ceux servant à la pratique de ces cultes et de rituels divers. Ces deux grands ensembles de monuments nous permettent à la fois de voir l’utilisation faite par une cité ou un sanctuaire des baies, mais également d’appréhender les notions d’ostentation, de représentation du pouvoir ou d’évergétisme, car nombre de ces édifices sont ordonnés par des commanditaires privés pour cette cité ou sanctuaire.
La limite chronologique est commandée par les données archéologiques. Nous n’avons pas d’attestation formelle de baies ou autre aménagement avant l’époque archaïque, celle-ci constitue donc notre limite haute. Quant à la limite basse, elle se situe à la fin de l’époque hellénistique et au début de l’Empire romain, avec parfois un débordement, car certains édifices sont plus malaisés à dater et ont subi des réaménagements très rapprochés dans le temps. Il arrive que des reconstructions reproduisent les formes précédentes. En revanche, toute nouvelle construction diffère dès lors que les Romains assoient leur emprise sur le monde grec.
Nous nous sommes limités pour l’ère géographique à la Grèce égéenne, c’est-à-dire la Grèce continentale, les îles de la mer Égée ainsi que les villes grecques d’Asie mineure, principalement sur les côtes ouest et sud. La Grèce continentale et cycladique constitue une entité distincte de l’Asie mineure, principalement en raison de l’histoire politique mouvementée de cette dernière, ce qui nous permet d’avoir deux visions différentes et en même temps très proches sur certains points de l’architecture. En effet, nombre de ces cités ont été fondées par des Grecs continentaux, les interactions sont donc nombreuses. L’urbanisme et la construction est souvent issue d’une évolution des types grecs mêlés avec les cultures indigènes, il est donc intéressant de comparer les deux.

 

 

 

 

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