Nov 28 - Valérie Soulet - Université Bordeaux Montaigne

Les énoncés adverbaux en français et anglais: conditions d'occurence, interprétations, traductions et recherche d'un invariant

Doctorante: Valérie SOULET

Date: 28 Novembre 2016 à 14h00
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de la Recherche. salle 001
33600 Pessac

Résumé


L’intérêt des linguistes pour les énoncés averbaux (EA) en tant qu’énoncés autonomes est relativement récent. Leur usage a longtemps été décrié, en raison de leur forme qui s’écarte du modèle canonique S-V-O.

La première partie de notre travail trace le cadre théorique dans lequel nous avons effectué nos recherches, qui est celui de la TOE (Théorie des Opérations Enonciatives). Le choix est fait de parler d’énoncés averbaux plutôt que de phrases averbales, non sans avoir défini ce que les termes de phrase, proposition et énoncé ont pu signifier à travers les siècles et non sans avoir étudié le contenu des travaux fondateurs de Meillet, de Hjelmslev et de Benveniste sur la question.
Les énoncés averbaux tels que nous les étudions ici désignent des énoncés qui ne se définissent pas par rapport au modèle canonique de la phrase, ni par le manque, contrairement à l’ellipse. Ce sont des énoncés qui ont une portée pragmatique qui leur est propre. Ils ont également une valeur prédicative. Ils sont complets et autonomes, si bien qu’ils ne relèvent pas de l’épexégèse, ni des énoncés en appui, ni de la prédication seconde. Ce ne sont donc pas des occurrences incidentes à un constituant d’une relation prédicative principale, sauf dans le cas où un EA a une valeur métalinguistique incidente à l’énoncé précédent.

Le but de cette thèse était de dégager un invariant commun à tous les EA. Nous avons donc délibérément inclus dans notre corpus des EA employés dans toutes les conditions d’occurrence possibles : discours littéraire et journalistique, discours muséal, contexte de signalisation, discours publicitaire. Il en découle dans un premier temps des différences.

- La première différence se situe au niveau de la valeur temporelle des EA : les EA peuvent être employés en récit (donc en rupture avec To) ou en discours, auquel cas l’extralinguistique, la prise en compte de la situation d’énonciation et la dimension intersubjective sont des paramètres essentiels de leur analyse. Les EA employés en discours peuvent en effet renvoyer à des objets présents dans l’extralinguistique (ce qui est aussi le cas des titres de tableau) et donc dépendre de hic et nunc pour leur interprétation. Il n’en est pas de même pour les EA qui expriment une vérité générale et relèvent du gnomique, comme les proverbes et les EA employés dans les slogans publicitaires et en contexte de signalisation : ils prennent alors une validité permanente.

- La deuxième différence concerne la présence de l’énonciateur. Nous établissons deux sous-groupes d’EA: ceux dans lesquels l’énonciateur est identifié et ceux dans lesquels l’énonciateur n’est pas identifiable. Nous mettons dans la catégorie des EA dont l’énonciateur est identifié les EA attributifs, les EA à valeur de visée et les EA existentiels employés en récit et en discours, mais aussi les titres de presse et les titres de tableaux. Nous y incluons également les énoncés exclamatifs, alors que l’on ne peut identifier clairement l’énonciateur des EA qui apparaissent en contexte de signalisation, dans les proverbes et les slogans publicitaires.

Nous établissons également que les EA de notre corpus ont les mêmes valeurs assertives que les énoncés canoniques : ils peuvent exprimer l’assertion stricte, l’exclamation, l’interrogation, l’hypothèse et l’injonction.

Notre deuxième partie porte sur l’interprétation des EA en contexte. La terminologie utilisée au début de notre étude (terminologie empruntée à Lefeuvre (1999) : EA existentiels et EA attributifs) s’avère insatisfaisante. Le fait de parler d’EA attributif et d’EA existentiel a ses limites puisque dans certains cas mentionnés précédemment, il est difficile de choisir l’une ou l’autre des interprétations, vu qu’aucune des deux ne permet d’exclure l’autre avec certitude.

Nous avons également proposé la valeur de visée. Mais il s’avère que celle valeur peut entrer en concurrence avec les interprétations existentielles et attributives. D’où la nécessité d’avoir recours à un continuum interprétatif. Dans la mesure où les interprétations attributive, existentielle et de visée ne fonctionnent pas comme des catégories étanches, nous estimons nécessaire de chercher à les dépasser et nous proposons comme invariant des EA le fait que ce type dénoncé permet de prendre en compte l’environnement extralinguistique des co-énonciateurs.

L’idée de continuum permet de dépasser le fait que les interprétations sémantiques des EA en contexte de signalisation ont leurs limites et invite à trouver un autre moyen de qualifier les EA concernés. Nous proposons de définir les EA en utilisant leur valeur pragmatique. Nous pensons qu’il est plus pertinent de leur attribuer le rôle suivant : l’énonciateur choisit l’EA car ce qui prime dans ce type d’énoncé est l’apport d’une information à la connaissance du co-énonciateur (ou au moins à un destinataire). L’EA permet donc une prise en compte la sphère énonciative des co-énonciateurs. C’est également sur cette prise en compte que reposent les EA employés en discours muséal et en discours publicitaire. Nous choisissons le terme de « sphère énonciative » pour désigner l’univers commun aux co-énonciateurs que les EA intègrent implicitement.

Cette prise en compte du co-énonciateur se manifeste aussi lors de l’emploi d’EA dont la dimension dialogique est manifeste, dans les slogans publicitaires, les titres de presse averbaux, en discours littéraire et en discours journalistique. Toutes les situations d’occurrences des EA que nous avons étudiées reposent sur une prise en compte de cette sphère énonciative en établissant une proximité entre d’un coté, l’énonciateur et son discours, et de l’autre entre le discours et le co-énonciateur-lecteur.
La troisième partie de notre travail est consacrée au lien qu’entretiennent les EA avec le présent. Notre thèse est que l’inclusion dans la sphère énonciative du couple énonciateur – co-énonciateur, que nous avons mise en évidence dans les chapitres précédents, repose en partie sur le lien EA-présent, qu’il s’agisse du présent étroit en lien avec Sit o ou du présent large. Les EA qui constituent des slogans publicitaires, des proverbes, des titres de presse et des didascalies ont en commun une valeur aoristique. Nous parlons donc d’effacement énonciatif dans la mesure où l’interprétation de ces EA ne dépend pas des paramètres de Sit o.

Au final, le dénominateur commun qui permet de rassembler tous les EA est leur appartenance ou encore leur intégration à la sphère énonciative. Cette intégration peut avoir une tonalité relativement neutre et impersonnelle (dans le discours muséal ou en contexte de signalisation) mais aussi un impact pragmatique décisif (comme par exemple avec les adjectifs difficile et impossible dont l’utilisation a des implications différentes selon que ces adjectifs sont employés en EA ou dans la structure canonique). Par intégration à la sphère énonciative, nous voulons dire également que la finalité des EA est de porter une information à la connaissance d’un destinataire. C’est ce qui se produit de façon plus évidente lorsque les EA sont employés en étant ancrés dans Sit o, comme c’est le cas pour les insultes, les EA exclamatifs, les EA attributifs ayant le contexte comme sujet implicite, mais aussi les EA à valeur injonctive (qu’ils soient employés en situation d’interlocution ou en contexte de signalisation).

Ce travail contrastif anglais / français sur les EA permet non seulement de mettre au jour les caractéristiques majeures de leur emploi, mais aussi de mettre en évidence un ensemble de restrictions quant à leur usage.

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