Sept 29 - Magdalena Lange Henszke - Université Bordeaux Montaigne

Littérature contemporaine féminine française à destination d'étudiants en FLE: l'exemple de Claire Castillon. Etude critique et didactique

Doctorante: Magdalena Lange Henszke

Date: 29 septembre 2016 à 09h00
Lieu:  Université de Szczecin (Pologne)

Résumé:

La présente étude vise à écouter la voix des femmes s’exprimant à travers leurs œuvres, à comprendre leurs motivations, leurs buts et leur place dans le discours littéraire et social ; on cherchera aussi à analyser la réception par les étudiants de la littérature française féminine contemporaine, considérée comme une proposition de lecture digne d’attention en raison de son caractère socialement engagé. Le fait de se demander de quelle façon la littérature française créée par les femmes observe les problèmes auxquels est confrontée la société contemporaine et de quelle manière elle entreprend un dialogue sur ces sujets, montrant par là un intérêt pour l’ordre social et politique, semble élargir avec profit non seulement les perspectives de l’analyse littéraire, mais également l’horizon de la didactique de la littérature.
En se penchant sur la création littéraire contemporaine des femmes, on cherche à proposer un tour d’horizon des formes d’engagement et du degré d’intensité avec lequel sont traitées les questions de société dont la problématique influence la situation de l’individu et les communautés qu’il forme, à commencer par la plus petite d’entre elles : la famille. À travers l’œuvre de Claire Castillon, qui puise dans les modèles créés par les femmes écrivains des générations précédentes, nous pouvons observer la façon dont celles-ci entreprennent une réflexion critique sur leur place et leur rôle dans le tissu social, mais aussi sur l’état général de la société dans laquelle elles évoluent. De même, nous voyons quels problèmes de société apparaissent comme les plus sensibles de leur point de vue. Afin de suivre l’évolution de l’écriture féminine et de mieux comprendre sa place actuelle, il est essentiel d’analyser les motifs pour lesquels les femmes ont saisi la plume, notamment depuis la Révolution française, lorsque ces questions de société ont pris une importance particulière dans le discours public, également dans le champ littéraire.
La problématique posée par la littérature féminine fournit par ailleurs une perspective souhaitable à la lumière des mutations « nommées imprécisément », comme le constate Ryszard Nycz, à savoir une tournure anthropologico-culturelle qui, sans conteste, trouve son reflet dans le débat sur la didactique de la littérature. L’un des aspects importants de cette tournure qui rend visible « les implications culturelles de l’expérience humaine », est qu’elle ne concerne pas seulement des domaines tels que l’anthropologie, la sociologie ou la psychologie, mais aussi l’historiographie.
Il n’est pas nouveau de se demander quelle littérature enseigner à l’Université contemporaine ni comment le faire, mais cette question reste sans aucun doute utile. L’enseignement universitaire de la littérature concerne surtout la théorie et l’histoire de la littérature, il néglige en revanche la pratique-même de l’écriture et de la lecture qui devrait pourtant gagner en importance, étant donné que la conception de la littérature – de ses effets et de son fonctionnement dans des sphères dépassant largement les limites définies sur les couvertures de manuels et la liste de lecture canonique – se trouve sans cesse redéfinie.
L’une des idées pour revitaliser l’enseignement universitaire de la littérature est d’accorder un poids plus important à la subjectivation des pratiques de lecture visant à engager activement les étudiants dans l’acte de lecture et d’écriture littéraires subjectives, par exemple pendant des ateliers de lecture. Ceux-ci peuvent constituer une méthode efficace et attrayante pour donner un nouveau sens et une nouvelle dynamique à l’enseignement littéraire à l’Université. L’objectif principal des ateliers de lecture menés dans le cadre de la présente étude à partir du recueil de nouvelles Insecte de Claire Castillon, consistait à attirer l’attention des étudiants de Philologie des langues romanes sur le précieux matériau que fournissent les récits féminins français contemporains pour représenter les problèmes et les mutations socioculturelles dont l’influence s’exerce sur l’identité non seulement individuelle, mais également collective. Je puis affirmer avec conviction que le projet des ateliers de lecture a entièrement répondu aux attentes initiales. L’engagement des étudiants, leur curiosité à l’égard des lectures proposées ainsi que le thème en lui-même et la problématique formulée se sont révélés étonnamment positifs. L’étude de la prose féminine a été reconnue par les participants aux ateliers comme une façon d’élargir l’éventail des réponses possibles aux questions concernant les changements dans la culture, les mentalités, la société, mais aussi ceux touchant le vécu individuel et l’expérience de la réalité dans laquelle nous fonctionnons en tant qu’individus et en tant que communauté. La lecture, à part fournir des stimulations esthétiques, s’est ainsi révélée être un acte créatif et libérateur, car il permet de dépasser les limites de son propre univers mental et va à la rencontre de l’univers mental de l’Autre. Comme le constate Vincent Jouve « lire est donc un voyage, une entrée insolite dans une dimension autre qui, le plus souvent, enrichit l'expérience : le lecteur qui, dans un premier temps, quitte la réalité pour l'univers fictif fait, dans un second temps, retour dans le réel, nourri de la fiction ».
Les programmes d’enseignement littéraire, pour remplir leur fonction d’appui à la formation d’individus autonomes, réflexifs et critiques en particulier à une époque où le livre n’occupe plus la position la plus élevée dans le palmarès des offres culturelles, exigent d’être complétés par l’ajout de thèmes proches de l’étudiant contemporain. Une telle actualisation permettrait de soutenir le combat contre les menaces qui guettent l’enseignement littéraire à l’époque contemporaine. Nous pouvons affirmer que la sociocritique et la critique féministe fournissent des outils de recherche efficaces ; elles sont à l’écoute des voix émises par différents discours et permettent ainsi de percevoir dans la littérature un message particulier concernant la place et le rôle de la femme dans le monde contemporain. Par la prise en compte d’éléments tels que le contexte social et la socialisation, les différences socioculturelles ainsi que les différences sexuelles, elles créent de nouvelles possibilités de réception des textes littéraires et constituent ainsi une proposition intéressante, quoique peu exploitée jusqu’à présent dans l’enseignement littéraire, pour favoriser le contact avec la littérature et la culture. Quels autres avantages découlent du fait d’ajouter aux listes de lecture proposées aux étudiants des textes de la prose contemporaine, en particulier féminine ? La confrontation avec un texte inconnu, pas encore étudié ni légitimé par la critique et les universitaires peut constituer une expérience aussi formatrice que la rencontre avec un texte classique. Elle permet non seulement de développer l’aptitude à valoriser les textes de culture et à y distinguer de nouvelles perspectives dans le regard sur le monde, la vie et les gens, mais crée aussi la possibilité de revoir l’échelle des valeurs attribuées à l’héritage reçu, d’apprécier son influence ou bien, si nous en ressentons le besoin, de réfléchir à la façon d’établir une hiérarchie alternative ou, tout au moins, de s’interroger sur l’état actuel des valeurs.
La littérature nous apprend à ressentir, elle construit nos émotions, elle fait prendre forme à l’inconscient et nous permet de penser ce que nous ressentons. Comme l’affirme Ryszard Koziołek dans une interview, « la littérature nous enseigne le désir de l’altérité, de quelque chose que nous n’avons pas en nous ». Et bien que l’acte de lecture soit un acte intime, un moment pendant lequel nous nous détournons du monde quand bien même nous lisons avec d’autres, il fait naître une communauté d’intimité entre ceux pour qui un même texte devient significatif. La littérature est un moyen de réflexion, une forme hospitalière de participation à la culture, comme le soutenait Derrida ; avec son aide, on peut discuter avec l’Autre de tout, car elle est un discours dans lequel on peut tout dire.

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