Sept 08 - Crépin Hilaire Dadjo - Université Bordeaux Montaigne

Pratiques du lobbying des ONGs au Burkina Faso. Une évaluation des stratégies

Doctorant: Crépin Hilaire Dadjo

 

Date: 08 septembre 2016 à 09h15
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de la Recherche- Salle des thèses
Esplanade des Antilles
33600 Pessac

Résumé: 

 

Notre travail porte sur les pratiques du lobbying des ONG au Burkina Faso, une ancienne colonie française située en Afrique de l’Ouest. Ce petit pays de moins de 20 millions d’habitants se présente comme une démocratie de type libéral ; il en présente les caractéristiques au moins formelles depuis un ¼ de siècle, date de l’adoption d’une nouvelle Constitution.

Notre ambition est de décrire et d’analyser comment des organisations non gouvernementales (ONG) mettent sous influence les décideurs publics/politiques locaux par le fait de leurs actions de communication initiées localement. En même temps, nous voudrions proposer, à partir de l’analyse des dispositifs mis en place par ces structures dites de « la société civile » (Rangeon, 1986), une réflexion sur les modèles de stratégies de communication ayant pour finalité d’influencer les décisions publiques/politiques applicables dans des pays partageant les mêmes caractéristiques que le Burkina Faso.

Au cœur de notre thèse se trouvent deux concepts-clés : les « ONG » et le «lobbying». Une revue de la littérature nous a permis d’approfondir notre connaissance de ces deux concepts qui ont fait l’objet de plusieurs approches théoriques, pour le lobbying (Getz, 2002 ; Jaatinen, 1999 ; Carayol, 2004) et pour les ONG (Ryfman, 2009, 2014), Dacheux (1994, 1998), Dillière-Brooks (2008).

Nous avons été obligé de nous construire une approche théorique spécifique pour pouvoir étudier notre sujet de recherche que nous situons dans le champ des Sciences de l’Information et de la Communication, et plus précisément, dans le sous-champ de la Communication organisationnelle (Bernard, 2002 ; D’Alméida et Andonova, 2006 ; D’alméida et Carayol, 2014 ). Ce choix a des implications d’ordre épistémologique et méthodologique, ce qui fait sa particularité. Ainsi, nous voudrions percevoir les ONG non pas comme cela se fait habituellement, c’est-à-dire à travers le prisme des organisations dites « humanitaires » ou de « solidarité internationale », presque toujours analysées dans leurs rapports avec les médias surtout occidentaux, mais plutôt comme des organisations, à part entière. Ces entités ont leur dynamique propre, sont traversées par des flux incessants de communication qui les portent et les transforment en même temps (Carayol, 2004 ; Bouzon et Meyer, 2006 ; Bernard, 2002).

Dans la problématique que nous avons adoptée, nous nous demandons si les pratiques de lobbying des ONG au Burkina Faso ne s’organisent pas autour de crises et ruptures advenant dans la vie socio-politique, et qui mettent au centre de la scène publique et médiatique des évènements disruptifs focalisant l’attention publique. Les médias apparaîtraient comme des acteurs stratégiques à mobiliser et la ressource temps comme un facteur incontournable qui s’impose dans le jeu des interrelations. Dans cette perspective, il était utile de se demander alors quelles pratiques de temporalisation on pouvait observer dans le jeu des acteurs, notamment du point de vue de la focalisation de l’attention publique ; quels types d’événements, fabriqués ou exploités, pouvaient être observés.

Quatre hypothèses ont été posées pour guider notre recherche. Elles ont été construites autour des idées centrales suivantes : les médias sont utilisés comme médiateurs entre Organisations de la société civile – auxquelles les ONG sont rattachées – et groupe des gouvernants ; la maîtrise de l’information est capitale dans l’exercice de l’influence politique et la mise en réseau (ou la construction de relations) avec des alliés joue en faveur des structures engagées ; du fait de la nature politique du pouvoir en place, pas totalement démocratique, des stratégies à la fois de négociation et de confrontation sont à prévoir ; enfin, des crises de type socio-politique peuvent servir d’accélérateurs aux mécanismes de régulation sociale et politique.

Pour cadrer avec ces hypothèses, nous avons dû recourir à un modèle d’analyse inspiré de la crisologie de Morin (1976, 2012), des « événements focalisants » (Birkland, 1994, 1998), du modèle de l’«agenda setting » (McCombs et Shaw, 1972 ; Kwandoo-Aidoo, 2003) et des effets prêtés aux médias de « priming » ou d’amorçage (Iyengar et Kinder, 1987) et de «framing » ou de cadrage (McCombs, 1997, 2005).

La perspective d’analyse est clairement constructiviste (Mucchielli, 2009), l’approche qualitative (Mucchielli, 1984, 2009), la méthode choisie est celle de l’étude de cas (Yin, 1984), l’analyse thématique de contenu (Bardin, 1983) a été adoptée pour analyser le contenu des entretiens.

La phase de terrain nous a permis de collecter des données auprès de 4 groupes d’ONG qui travaillent, chacun en réseau, dans les domaines suivants : accès aux soins de santé ; contrôle de la gouvernance politique ; lutte pour la bonne gouvernance et contre la corruption et enfin promotion de l’hygiène et d’accès à l’eau potable. Un total de 16 interviews a été conduit à l’aide d’un guide d’entretien semi-directif. Le verbatim est disponible, car totalement retranscrit et validé par nos soins.

Les résultats obtenus sont discutés, cas par cas. Le modèle de stratégie de communication d’influence du politique que nous proposons comporte des « stratégies » et des « tactiques », au sens qu’en donne Michel de Certeau (1990). Les éléments-clés de la stratégie comprennent la participation/l’adhésion des populations au projet de l’opérateur de la société civile ; la participation est à comprendre suivant le sens qu’en donne Dacheux (1998). Un deuxième élément stratégique c’est la politisation du singulier (Trom, 1999) qui permet d’obtenir ou d’induire des effets de cadrage (« framing ») ou d’amorçage (« priming ») pour pousser les médias à se « convertir » à la cause des ONG et pour l’opinion publique à interpréter les actions suivant les critères suggérés. Enfin, il y a le patronage, une forme proche du lobbying classique et qui est en fait du marchandage politique. Du côté des tactiques proposées, il y a l’utilisation des événements existants ou leur « fabrication » ; en fait, il s’agit de profiter de la dynamique propre à chaque crise telle que conceptualisée par Morin (1976, 2012) à travers sa « crisologie ». Une deuxième tactique que nous proposons c’est l’utilisation des médias privés ou indépendants, car ceux placés sous la tutelle technique et/ou morale des autorités publiques étant jugés peu crédibles. Enfin, une troisième tactique à utiliser est l’art de la Métis ou la faculté à « jouer sur deux tableaux » comme le dit une de nos sources.

Si certains comme Marie-Soleil Frère (2000) ont pu rendre compte, à travers leur analyse du contenu de presse, des transformations politiques liées à la démocratie ou à la transition démocratique dans deux pays de l’Afrique de l’Ouest, nous pensons que notre travail – en particulier, dans l’analyse du contenu de presse - permet de renseigner également et d’informer sur le comportement des décideurs politiques soumis aux actions de communication initiées par les organisations de la société civile. Celle-ci, singulièrement au Burkina Faso, se distingue par sa capacité d’influence du politique. En fait, l’histoire de ses relations avec le corps politique se confond pratiquement avec les origines de ce jeune Etat africain. On se rappelle ainsi qu’en connexion avec certains éléments de la société burkinabé, elle avait déjà fait tomber le premier régime du Burkina Faso post-indépendance, en 1966 ; elle a fait partir, au cours des événements des 30 et 31 octobre 2014, le régime de Blaise Compaoré, un homme supposé « fort » par beaucoup d’observateurs et d’analystes.

A bien des égards, « une société de la défiance » semble avoir pris place au Burkina et fait entrer le pays entier dans une phase de « contre-démocratie » (Rosanvallon, 2006). Les opérateurs de la société civile dont les ONG semblent être un des acteurs majeurs de ce mouvement, et le lobbying un support privilégié à observer et analyser.

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