Juin 15 - Corinne Dehoux Dutilleux - Université Bordeaux Montaigne

Les Hautes Etudes Industrielles et Commerciales de Tianjin, 1923-1951 : un exemple de l'action éducative des Jésuites en Chine

Doctorante: Madame Corinne Dehoux Dutilleux 

 

 

Lieu et date : le 15 juin 2018 à 14h00
Maison de La Recherche - salle des thèses (001) - Esplanade des Antilles - Pessac

Résumé:

 

L’Institut des Hautes Études Industrielles et Commerciales de Tianjin 天津工商学院 [Tianjin Gongshang xueyuan], qui constitue l'objet de cette thèse, est un établissement d'enseignement supérieur, crée par les jésuites de la Province de Champagne. Cette grande école technique et professionnelle est l’œuvre des missionnaires jésuites français, qui dans un contexte historique et politique très hostile, ouvre en 1923 sous la République de Chine pour fermer en 1951 sous le régime communiste.
A l’instar de la célèbre université jésuite « l’Aurore » 震旦大学 [Zhendan daxue], créée à Shanghai en 1903 par le P. Joseph Ma Xiangbo sj (1840-1939), est fondé en 1923 à Tianjin, dans la province du Zhili, actuel Hebei, l’Institut des Hautes Études Industrielles et Commerciales, sous le nom d’Institut du Sacré-Cœur. Cet institut qui changera de nom pour Gongshang college 工商 puis université Jingu 津沽大学 [Jingu daxue], est, pour la Chine du Nord, le seul établissement d’enseignement supérieur catholique. Moins de deux ans après, une université catholique sera créée à Pékin, l’université Fu Ren 辅仁大学[Fu Rendaxue].
Au moment où l’on assiste à la prolifération étonnante d’écoles secondaires et d’universités tant nationales qu’anglaises ou américaines (protestantes), fonder une école technique supérieure en Chine du Nord est, aussi bien pour les autorités françaises et chinoises que pour l’Église catholique, une nécessité afin de répondre, pour les premières, aux besoins du développement industriel de la région, et pour la seconde à la concurrence des protestants.
En effet, au milieu du XIXe siècle, les occidentaux ouvrent les portes de la Chine à coups de canons et de traités inégaux et s’octroient ainsi des quartiers entiers et des ports ouverts au commerce international, permettant aux différentes missions étrangères de créer des écoles et de participer à l’effort de modernisation amorcé par les réformateurs de la dynastie Qing. Mais prise en étau entre la nécessité de se moderniser (mais n'en ayant pas les moyens) et l’acceptation de la présence des occidentaux sur son territoire, la Chine ne va pas toujours voir d’un bon oeil le développement de ces établissements supérieurs sur son sol et va faire des missionnaires le symbole de l’hégémonie des puissances étrangères.
La Compagnie est sollicitée pour relever le défi. En tant qu’héritiers de Matteo Ricci dont le nom résonne favorablement auprès des élites et des intellectuels chinois, les pères jésuites fondateurs des « Hautes Études » se lancent dans la création de cette école catholique française, sur le modèle de l’ICAM (Institut catholique des Arts et Métiers) de Lille, dans un contexte politique et économique plutôt compliqué.
C’est donc dans cette ville influente de Chine du nord qu’est Tianjin, capitale diplomatique, que va voir le jour cet Institut des Hautes Études Industrielles et Commerciales qui, du fait de sa courte vie, n’atteindra pas le prestige des plus grandes mais qui s’impose malgré tout dans le paysage de Tianjin, à l’image de son impressionnant bâtiment principal qui trône encore sur Machang dao.

Problématique de la thèse

Nous voudrions, au travers de l’entreprise de création des Hautes Études, mettre en exergue le particularisme jésuite dans la manière dont ces missionnaires atypiques ont mené à bien ce projet en terre de mission chinoise. Beaucoup d’ouvrages, très critiques parfois, sont consacrés aux jésuites : tour à tour admirés, méprisés voir haïs ; ce qui est certain c’est qu’ils ne laissent pas indifférents. L’étude de ces ouvrages, montre comment, depuis Ignace de Loyola, le fondateur, cet ordre ne cesse de perpétrer une tradition singulière dont la devise originale « Aller, rencontrer, servir » semble faire écho aux besoins d’éducation de cette Chine du début du XXe siècle.
Ainsi, depuis les origines de son action missionnaire en Chine avec Matteo Ricci, les jésuites mènent une action apostolique particulière, propre à cet ordre enseignant qui cherche à atteindre les élites en leur apportant leur savoir. Ce particularisme jésuite de savoir-faire et de savoir-être marque de façon significative les actions de ses missionnaires malgré les objections et les difficultés ; la création des Hautes Études de Tianjin ne déroge pas à ce principe.
À cette époque, l’Ordre jésuite renaît de ses cendres dans une société post-révolutionnaire en partie déchristianisée_. La congrégation tolérée en France depuis 1814 et les « hommes noirs », comme on les appelle, se font discrets. Chassés de France sous la troisième République, ils demeurent néanmoins un ordre enseignant très convoité que l’on sollicite pour fonder ou reprendre des écoles.

Le sujet de la présente thèse s’inscrit dans le prolongement de notre mémoire de Master Recherche_, lequel était consacré aux derniers jours de l’Institut des Hautes Études et aux circonstances dramatiques dans lesquelles il dut fermer ses portes en 1951.
Au début des recherches, il paraissait évident de consacrer le travail à l’élaboration d’une monographie retraçant l’histoire des Hautes Études dans sa globalité car seuls alors les travaux de Richard Madsen_ étaient consacrés à l’établissement. Or, en janvier 2016, nous tombons, à notre grand étonnement, sur la thèse de doctorat soutenue en juillet 2014 par Tian Weishuai_, sur les Hautes Études et l’influence de cette école missionnaire sur la société chinoise. Il nous parut donc opportun de changer notre problématique, la contribution des jésuites de Tianjin dans la formation des élites chinoises, et de définir une nouvelle approche. Pour donner un éclairage nouveau, nous avons abordé la création des Hautes Études, expérience de l'action éducative des jésuites en Chine, en se focalisant sur leur manière originale d’aborder une création, de la faire perdurer dans des circonstances inédites.
Nous proposons donc une monographie sur l’ensemble de l’histoire des Hautes Études dont la vie s’intègre dans un contexte historique et politique complexe qu’il nous semble indispensable de raconter : les interactions entre l’histoire de la Chine, celles de la mission catholique et la vie de cette école sont telles qu’il est impossible d’en faire l’impasse.
Cet établissement, sans doute parce qu’il est moins prestigieux que les deux autres établissements catholiques en Chine, a été très peu étudié. Pourtant, cette école au destin singulier, école supérieure technique à l’origine devenue université, a connu parmi ses formateurs des personnalités jésuites émérites, intellectuelles et scientifiques. Ces figures, pierres d’angle de la réussite et du rayonnement de l’école se sont, pour certaines, illustrées dans le débat intellectuel par la suite. En plus de l’étude des principaux protagonistes de cette aventure éducative et humaine, nous nous attarderons donc sur quelques uns de ces personnages jésuites marquants.
Nous allons tout d’abord poser le décor dans lequel vont évoluer les premiers pères jésuites de la Mission de Champagne à l’heure où ils se mettent à l’œuvre pour créer une école supérieure catholique en Chine du nord. La nouvelle vague de missionnaires qui arrivent en Chine en ce début de XXe siècle va avoir l’opportunité de développer ses œuvres mais dans un contexte socio politico économique beaucoup plus agité. Ensuite, nous aborderons la vie de cette école depuis sa création jusqu’à sa fermeture en 1951 en s’appuyant très largement sur les sources primaires des archives jésuites de Vanves et celles trouvées sur place à Tianjin.
L’objectif de ce travail est de relater, sur le plan historique, l’évolution de l’Institut des Hautes Études Industrielles et Commerciales de Tianjin sous sa triple nature : sa nature d’école catholique nous amènera à évoquer les relations avec les autorités religieuses ; sa nature d’école française mettra en relief les notions de diplomatie et d’interdépendance avec ce pays qui la protège ; et enfin, sa nature d’école missionnaire et jésuite avant tout, nous permettra d’apprécier la manière dont les pères régentent leur établissement, sur fond de politique intérieure très fluctuante : le passage entre un système impérial moribond et un système républicain puis communiste, imposera au système éducatif chinois des changements conséquents auxquels les jésuites des Hautes Études devront s’adapter.

 

 

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