Juin 26 - Charline Coupeau - Université Bordeaux Montaigne

La métaphysique du bijou. Objets d'histoire, parure du corps et matériau de l'oeuvre d'art au XIXème siècle

Doctorante: Madame Charline COUPEAU

 

Lieu et date:
Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine - salle Jean Borde - Esplanade des Antilles, Pessac
Le 26 juin 2018 à 14h00

Résumé:

Au commencement, il y a cet écrin familial, ce petit coffret de bois recouvert de maroquin brun à cornières ajourées en laiton argenté dont l’intérieur est capitonné d’un joli tissu de satin bleu. Que renferme-t-il ? Un plastron d’inspiration berbère en argent, une petite bourse type aumônière en cotte de maille, un bracelet jonc émaillé, de grosses boucles d’oreilles croissant de lune en métal argenté parsemé de strass rouge de cristaux de Swarovski, une broche en or et faux brillants, des pendants de style art déco pavés de fausses turquoises, une petite croix en or jaune à la jeannette, un bracelet en or jaune en maille milanaise et fermoir à cliquet, un sautoir de perles de verre. Il y a ces nombreux après-midis à les sortir de leur précieuse cassette pour les essayer. Ces après-midis où objets de prêts, ces bijoux sont les compagnons de moult aventures de princesses. De ce coffret est née une curiosité, une fascination qui a été le leitmotiv de nos études. C’est cette petite « madeleine de Proust » qui nous a poussé à entamer une recherche sur la bijouterie. Réouvrons donc ce vieil écrin et découvrons ensemble les mots du bijou, son vocabulaire foisonnant, et ses expressions les plus brillantes.
Pierres et métaux précieux, foyers de tous les désirs et de tous les mystères forment des spécimens singuliers, énigmatiques et emblématiques d’une époque, d’un temps donné. Objet d’une vive émulation dans la sphère muséale, le bijou abonde aujourd’hui dans de nombreux ouvrages. L’engouement actuel qui l’impose comme un terrain artistique reconnu nous amène à repenser son intrigue, son lexique et sa poétique Cette thèse se propose donc d’étudier les pièces de bijouterie-joaillerie du XIXème siècle en France en y apportant un nouvel éclairage. En effet, le bijou de cette période, fortement connoté, possède une signification esthétique, sociale, géographique, politique, économique et culturelle qui lui semble propre. On a souvent pensé que le bijou était un objet vain, que sa fonction n’est autre qu’agrémenter la personne qui le porte, d’embellir de façon factice son apparence, voire marquer son appartenance sociale. Mais c’est une illusion superficielle car le bijou comme le souligne si bien l’historien de l’art Gustave Soulier (1872-1937) dans la préface de René Beauclair relève d’un « tour d’imagination spécial ». Si le mot « bijou » dont les origines sont multiples, éveille en nous, l’idée première d’une chose précieuse autant pour sa finesse et la recherche du travail que pour la valeur des matières employées, il est dès à présent juste de noter que le bijou s’exprime, qu’il signifie le temps. Pour aller plus loin, le joyau à l’origine forme naturelle, est transformé en artefact culturel et à ce juste titre, il donne une vue d’une époque : « Montrez-moi les bijoux d’une nation et je vous dirai ce qu’elle est ! ». Il existe donc entre le Bijou et le monde qui l’entoure et le crée, une interaction. C’est cette interaction créatrice qui est au centre de notre réflexion.
Élément essentiel de notre culture matérielle, véritable phénomène d’esthétique social, fait d’embellissement, de contemplation et de joie sensuelle, Le bijou tout comme son compère le vêtement, appartient à un regroupement interdisciplinaire. Nous le verrons, la bijouterie est un art complexe qu’il ne faut pas penser comme une entité cloisonnée. C’est pourquoi nous envisageons, d’établir un lien avec les autres arts. Dans ce dialogue entre différentes disciplines, dans ce « paragone » comparable à celui développé il y a six siècles de cela par Giorgio Vasari, le bijou est conçu comme un message et interroge la notion d’un langage de l’art, un langage du bijou. Parlez-vous bijoux ? Que nous disent-ils ? Face à cet aveu, de nouvelles possibilités d’exploitation s’offrent à nous. Certes la conception de la bijouterie en tant que langage ne paraît pas forcément aller de soi. Pourtant la voir sous cet angle permet, nous le pensons de sortir des problèmes dû à son propre domaine. Penser le bijou comme une langue en accord avec les recherches de Ferdinand de Saussure permet d’ouvrir le discours sur l’expression d’un signifiant et d’un signifié qui au sein de notre étude sont indissociables. À l’instar de la démarche proposée par Boris de Schloezer, ne peut-on pas décider puisque le contenu est immanent à la forme de souligner que la bijouterie n’a pas un sens mais est un sens ?
Si on s’obstine à penser le bijou dans cette optique, comme langue, ce dernier doit toutefois être pensé au sens large du terme, c’est-à-dire comme une sorte de condensé du concept de culture… comme une ontologie. Les écrits associés et la somme de sources iconographiques mettent justement en scène une vision et parfois même des tensions qui nous semblent extrêmement pertinentes pour aborder l’ontologie du bijou. Il s’agira de ne pas nous cantonner à notre discipline qu’est l’histoire de l’art même si le sujet abordé ici y puise sa principale source. Nous nous allierons donc à des méthodes de comparaison visibles en anthropologie, ethnologie et psychologie de l’art. Ce croisement méthodologique nourrit une aventure intellectuelle où l’histoire de l’art et les autres disciplines doivent s’associer dans une démarche conjointe. Il permet également d’accéder à une meilleure lecture des œuvres d’art et des modes de figuration. Tout en répondant aux nouvelles interrogations essentielles qui inspirent le XIXème siècle, qui le problématisent et le métamorphosent dans son discours scientifique, nous attirerons donc le regard de notre lecteur sur une amorce ontologique de la bijouterie. Avec cette méthodologie, qui n’est certes pas la plus habituelle mais qui reste cependant inédite, nous chercherons à nous inscrire dans la même démarche que celle développée par Michel Pastoureau pour la couleur, Alfred Gell pour l’objet d’art et récemment Philippe Descola. Le but de ce travail de recherche est donc de percevoir les bijoux du XIXème siècle comme des signes indiciels dotés d’une capacité à agir, d’une agence, une façon de donner du sens, un indice pour découvrir le monde.
Une ontologie au sens où l’on voudrait l’aborder, est une façon d’être au monde, permettant une meilleure compréhension de celui-ci. Elle nous éclaire sur la perception et la conception du monde, des images et des objets qui nous entourent. Mais outre la notion d’ontologie qui encore aujourd’hui fait couler beaucoup d’encre dans les milieux philosophiques, c’est la question de l’art et de l’œuvre d’art qui est étroitement soulignée ici. Bien que le concept d’œuvre d’art suscite une polémique, il est certain qu’avec la reconnaissance des arts mineurs et plus précisément des arts décoratifs à la fin du XIXème siècle, les productions bijoutières doivent donc être reconnues comme telles. Plus qu’au discours sur la bijouterie ce sont ici des réflexions sur notre rapport esthétique à l’art, sur les bijoux en tant qu’œuvre d’art, en tant qu’image, en tant que langage qui seront suggérées.
Le bijou, considéré comme une image à part entière, comme une langue est donc un stimulateur. Il active la vue, l’un de nos sens les plus à même de provoquer dans notre esprit des réactions comme l’amour, la peur ou encore la jalousie. Il parle à la pensée. Dans cette même optique, nous pouvons ainsi sonder nos rapports à l’objet, au bijou. Nous parle-t-il ? Est-il une quête d’identité ? En quoi est-il une œuvre d’art ? À ces questionnements s’ajoutent ceux tirés des enseignements de Thomas Golsenne, et de l’anthropologue britannique Alfred Gell. Comment agit le bijou ? Quels pouvoirs attribuons, octroyons-nous à cet objet ? Nous essayons de montrer que le travail de l’historien de l’art peut consister en autre chose qu’un simple décryptage de la signification, que nous pouvons dépasser l’iconologie. Le discours élaboré par plusieurs chercheurs en anthropologie sur l’approche des objets, des images et de leur intentionnalité propose une démarche inédite que nous avons trouvée juste de rapprocher du propos de la bijouterie.
Tout en répondant aux nouvelles interrogations qui animent ce XIXème siècle, nous incitons à percevoir les bijoux comme une clé, une façon d’être au monde, un pôle de compréhension. En véritable archéologue, saisissant notre plume comme une truelle, nous tenterons d’exhumer au cours de ce travail de recherche le labyrinthe technique et idéologique qui gouverne les productions bijoutières du XIXème siècle. Nous souhaitons insister sur la multitude de leurs fonctions et les appréhender comme objet à caractère polysémique et plurifonctionnel. Des articulations et des paramètres qui permettent de définir le bijou par ce que fait l’homme vivant en société. L’homme crée le bijou et le bijou crée l’homme en retour. Si notre approche pourra paraître pour certains, approximative, elle a le mérite de faire vivre le discours sur la bijouterie du XIXème siècle et par prolongement celui des arts décoratifs en apportant donc un renouvellement de la lecture des bijoux, les plaçant comme une étude du monde qui nous entoure. Par l’intermédiaire du bijou, un univers s’éclaire, une nouvelle conception. Grâce à l’éclat scintillant des diamants, une meilleure compréhension d’une époque est mise en lumière.

 

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