Oct 21- Amanda Brown - Université Bordeaux Montaigne

La Franc-maçonnerie et la notion de secret dans l'Angleterre du XXème siècle. De la Seconde Guerre Mondiale aux années 2000

Doctorante: Amanda Brown

 

Date: 21 octobre 2016 à 14h00
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison des Suds- Amphithéâtre
33600 PESSAC

Résumé: 

Cette thèse fait suite à un mémoire de Master II soutenu à l'université Michel de Montaigne - Bordeaux III en juin 2011, abordant le thème de l'influence maçonnique dans la police et la justice en Grande-Bretagne, et plus précisément basé sur un rapport de commission parlementaire du Ministère de l'Intérieur ("Freemasonry in the Police and the Judiciary - Home Affairs Select Committee, Third report. Genesis and Reception in today’s Britain").
Les motivations de ce mouvement ont toujours intrigué, voire dérangé, de nombreux observateurs extérieurs, pour des raisons qui allaient de pair avec l’époque : les questions religieuses ont toujours occupé une place prépondérante, au XVIIIème siècle comme de nos jours, bien que le débat se soit déplacé quelque peu. Une certaine incompréhension demeure toujours, alimentée par les francs-maçons eux-mêmes et la nature même de la fraternité, à savoir son aspect secret, ou du moins discret. Une constante qui est partagée à travers les siècles et les pays, et que les francs-maçons de toutes les grandes loges tentent de contrer, niant l’accusation selon laquelle la Franc-maçonnerie serait une « société secrète », admettant seulement le fait qu’elle est une société « avec des secrets ». La distinction étant ténue, elle est souvent perdue aux yeux des « profanes », c'est-à-dire des non-initiés, qui bien souvent portent un regard si ce n’est négatif, du moins prudent, sur cette association qui tait volontairement une partie de ses rites au public.
Le « secret maçonnique » est en effet une composante essentielle du rite, au centre du serment prêté par le nouvel initié. Sur le plan formel, une série de signes, mots et poignées de main constitue le cadre symbolique. Le secret d’appartenance concerne chaque frère, qui est libre de révéler son appartenance à la Franc-maçonnerie, mais ne doit pas révéler celle des autres frères. Ma thèse tente d’étudier, dans le contexte particulier du XXème siècle, l’effet d’un tel précepte sur les membres et sur la fraternité. Mon travail revient entre autres sur la période de la seconde guerre mondiale et ses conséquences sur la Franc-maçonnerie, notamment la persécution qu’a subie l’organisation sous le régime nazi, où la préservation de son caractère secret était plus nécessaire que jamais contre les rapts éventuels et la propagande même si les francs-maçons britanniques ont pu être moins affectés que les francs-maçons français.
D’autre part, on ne peut discuter de la nature secrète de la Franc-maçonnerie sans évoquer la contrepartie négative qu’elle soulève, à savoir "l’anti-maçonnisme" et la théorie du complot, apparu dès la fin du XVIIIème siècle, et régulièrement "ressuscité", notamment au début du XXème siècle avec le document des "Protocoles des Sages de Sion". En effet, nombreux sont ceux qui ont vu derrière la Franc-maçonnerie une organisation dont le but était la domination mondiale, qui s’organise dans l’ombre pour créer un Nouvel Ordre Mondial, employé ici au sens conspirationniste du terme. J’ai pu étudier à travers mes recherches plusieurs affaires soulignant ces accusations conspirationnistes, dont les médias, notamment durant la deuxième moitié du XXème siècle, se sont fait le relai.
D’une manière générale, même si la Franc-maçonnerie britannique se veut apolitique (elle est ouverte aux membres de tous les partis, et interdit le débat politique ou religieux durant ses tenues), l’histoire a prouvé que Franc-maçonnerie et politique sont néanmoins inextricablement liées. Une large partie de cette thèse est donc consacrée à cette relation qui, loin d’être calme, a connu de multiples rebondissements au cours du XXème siècle, et ce jusqu’à aujourd’hui. L’existence d’une loge parlementaire créée à le demande du futur roi d’Angleterre montre bien les différents liens qui unissent politique, franc-maçonnerie, monarchie et « Establishment ». De même, le lien qui unit Franc-maçonnerie et religion est tout aussi fort, là encore dans un contexte britannique. Nous nous pencherons sur différentes affaires qui ont secoué la Grande-Bretagne, notamment la question soulevée par l’archevêque de Canterbury en 1984-85 sur la compatibilité entre l’église anglicane et la Franc-maçonnerie.
Nous verrons que pendant et après la Seconde guerre Mondiale, les francs-maçons de nombreux pays ont décidé de garder leurs activités le plus discrètement possible, ce qui impliquait par exemple de ne pas s’entretenir avec la presse sur des sujets qui, dix ans plus tôt – dans les années 1920-1930, étaient abordés de manière relativement ouverte. Ce repli sur soi de la part de la fraternité lui a valu une bien mauvaise réputation, ce qui a alimenté le débat sur la théorie du complot dont souffrait déjà l’organisation. Cette absence de la scène sociale a permis de faire entendre de nombreuses élucubrations que les maçons ne contredisaient pas. Ainsi l’image de la Franc-maçonnerie a-t-elle été façonnée par les médias et les politiques, mettant en lumière des scandales de corruption, surtout dans les années 1960-70, sans qu’interviennent réellement les principaux intéressés jusque dans les années 1980, où est apparue une littérature maçonnique très partiale. C’est à ce moment là que la Grande Loge Unie d’Angleterre a décidé de sortir de l’ombre pour faire face aux critiques qui se faisaient de plus en plus entendre. De façon à pouvoir nuancer l’image de société secrète dont souffrait la Franc-maçonnerie britannique, une campagne de relations publiques tournée vers l’ouverture a été lancée en 1985 .
Cependant, cela n’a pas suffit à étouffer tous les scandales dont était accusée la fraternité, et en 1997, un rapport de la commission parlementaire du Ministère de l’Intérieur a été ordonné pour vérifier l’étendue de l’influence de cette société dans la police et la justice. Ceci a conduit, au tournant du XXIème siècle, à une mesure impopulaire visant à déclarer de façon obligatoire son appartenance à la Franc-maçonnerie. Dans une société moderne où la transparence dans le jeu politique et dans l’administration en général est primordiale, l’idée que certaines personnes puissent s’entraider sans que d’autres le sachent, voire au détriment d’autres personnes, est tout à fait repoussante pour des politiques épris d’égalité et de démocratie. D’autre part, et de façon assez paradoxale, cette notion de lien secret entre des frères appartenant à une même loge a donné naissance à la fin des années 1990 et dans les années 2000 à une littérature maçonnique de fiction, qui s’avère très populaire (notamment grâce à des auteurs comme Dan Brown).
Cette thèse souhaite donc inscrire la Franc-maçonnerie britannique dans un contexte contemporain, la mettant en parallèle avec les enjeux de son temps, et montrant son interaction avec les instances qui font d’un pays une démocratie. Enfin, il faut souligner que les sources sont disponibles et largement accessibles à la bibliothèque de la Grande Loge Unie d'Angleterre à Londres, qui est l'une des plus grandes bibliothèques maçonniques au monde. De par le caractère contemporain du sujet, les articles de presse sont une source précieuse, qu'il s'agisse de presse maçonnique ou nationale. De plus, l'accès aux documents maçonniques tels les communications qui circulent lors des tenues sont également accessibles. Les documents qui se trouvent dans cette bibliothèque constituent une part importante de mes sources, qu’elles soient primaires ou secondaires. Le fait que les chercheurs puissent accéder sans difficulté aux documents (qui sont d’ailleurs en passe d’être digitalisés), est par ailleurs symptomatique du désir de transparence affiché par les francs-maçons lors des différentes campagnes de relations publiques.
Mon sujet étant axé sur la société contemporaine, il semble parfois difficile de traiter notamment des sources secondaires, parfois sans recul au vue de la période récente. Je privilégie donc les sources primaires. Les évolutions communicationnelles sont nombreuses en ce moment (par exemple un nouveau rapport par un institut indépendant sur le futur de la franc-maçonnerie), et ma période déborde donc sur les années 2010, avec en plus l’étude des stratégies mises en place pour le 300ème anniversaire de la Grande Loge Unie d’Angleterre.

 

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