Oct 20 - Hynde Benachir - Université Bordeaux Montaigne

Le haiku dans la littérature hispanique

Doctorante: Hynde BENACHIR

 

Date: 20 octobre 2016 à 14h00
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine
Salle 2
33600 PESSAC

Résumé:  

Le haiku est une forme poétique japonaise reconnue pour sa brièveté caractéristique. Il est composé de dix-sept syllabes couramment distribuées en un pentasyllabe, un heptasyllabe et un pentasyllabe et ne comporte pas de rime. De nos jours, c'est un poème populaire si bien qu'à l'ère des technologies numériques, les blogs, pages et autres sites internet consacrées au haiku sont innombrables. Certaines sont créées ou dédiées à des auteurs connus. D'autres sont l'affaire de personnes plus anonymes, qui ont voulu s'essayer à cette forme poétique novatrice, d'une simplicité – qui n'est qu'apparente – si désarmante que l'on franchit le pas tandis que l'Internet offre des possibilités de « publication » beaucoup plus libres que le traditionnel recueil en papier. Mais s'il est un constat que l'on peu faire lorsque l'on parcourt ces pages, c'est que le haiku ne connaît pas de frontières, pas plus qu'il n'est arrêté par la barrière de la langue. On trouve des haikus en anglais, français, espagnol, italien, japonais mais parfois aussi dans des langues telles que celles de l'Inde ou la langue khmère. En somme, pour faire un haiku, il faut tout simplement un haijin (personne écrivant des haiku, en japonais).
Cependant, le haiku tel que nous le connaissons aujourd’hui et tel que nous l'avons décrit ici, n'a pas toujours existé sous cette forme. Les premiers exemplaires de cette forme poétique sont dus à la plume de Matsuo Bashô (1644-1694), pionnier et grand maître incontesté du genre, dont on cite souvent le haiku suivant en pour illustrer la définition que l'on en donne :

Vieil étang –
une rainette y plongeant,
chuchotis de l'eau

Le haiku tel que conçu par Bashô est une manière de trancher la querelle qui avait lieu entre les deux grands courants poétiques de son époque, celui des « traditionalistes » qui préconisaient un maintien de la rigueur métrique et thématique dans les compositions poétiques tandis que que courant « réformateur » souhaitait voir évoluer la poésie en faveur d'une plus grande liberté dans le choix des thèmes (thèmes du quotidien servis par un vocabulaire ordinaire sans que l'on tombât pour autant dans le vulgaire), d'une plus grande souplesse du rythme dans l'optique délibérée d'un renouveau poétique. En prenant la première strophe (hokku) des longs poèmes appelés renga pour en faire ce qui deviendra le haikai no ku, Matsuo Bashô donne l'impulsion d'une nouvelle esthétique où le « non-conventionnel » a valeur de norme. Après lui, d'autres illustres poètes continueront de faire évoluer cette nouvelle forme poétique parmi lesquels (1716-1783), Issa Kobayashi (1763-1827) et enfin Shiki Masaoka (1867-1902), le « père » du haiku moderne. Pour ces poètes, il est avant tout question d'empêcher l'élitisme et le maniérisme de la poésie classique provoquer un désintérêt général pour les futures générations d'écrivains et de lecteurs.
Or, ces mutations que connaît le haiku se font tout d'abord sur fond de secret d'alcôve, dans un Japon autarcique dont rien de la culture ou de la société ne filtre à travers les frontières étanches du shogunat des Tokugawa. Lorsqu'en 1868, l'Empereur Meiji reprend un pouvoir jusque là détenu par l'élite guerrière et ouvre enfin l'archipel nippon au monde extérieur, il se passe très peu de temps entre l'avènement de la littérature japonaise sur le plan international et l' « adoption » du haiku dans le monde littéraire hispanique, qui sert de cadre à notre réflexion. Les premières traductions vers l'anglais ou le français voient le jour au début des années 1910, alors même que les premiers recueils de haikus de la main d'auteurs tels que Juan José Tablada, poète mexicain de son état, sont publiés. Il n'y a donc presque pas de temps de latence entre la prise de connaissance et un réinvestissement littéraire. En Espagne, on en trouve de multiples « avatars », parfois intégrés dans des formes classiques de la lyrique espagnole chez des auteurs tels qu'Antonio Machado ou Juan Ramón Giménez. Certains,, par des gloses subtiles ou des renvois intertextuels, « montrent » qu'ils connaissent à tout le moins les haikus les plus célèbres des grands maîtres japonais.
Cependant, la présence d'une forme poétique aussi lointaine, si peu de temps après sa première diffusion dans le monde, a toutes les raisons de surprendre. Il n'est parmi ces auteurs aucun (à notre connaissance) sachant parler suffisamment le japonais pour lire les texte dans leur langue d'origine. La vague orientaliste de l'époque, où l'on s'accordait volontiers à décrire toutes sortes d'Orients parmi lesquels ceux de la Chine et du Japon figuraient, ne suffit décidément pas, à elle seule, à expliquer la connaissance parfois profonde que les auteurs de langue espagnole avaient du haiku et de sa pratique, pas plus qu'elle n'explique la rapidité à laquelle ce phénomène littéraire s'est répandu et l'engouement presque instantané qu'il a suscité.
Les raisons qui peuvent expliquer cette popularité du haiku chez les auteurs hispaniques du début du XXe peuvent être de nature très diverses. Tout d'abord ont-ils eu sans doute une certaine fascination pour l'écriture idéogrammatique et son haut degré d'iconicité, nouveau moteur de signifiance, qui avait déjà conduit des poètes tels que Guillaume Apollinaire à s'interroger sur la puissance de suggestion des langues alphabétiques dans ses Calligrammes tandis que d'autres, tels qu'Arthur Rimbaud ou Stéphane Mallarmé, questionnaient le langage poétique, cherchaient une « pureté » des mots pour laquelle ils échafaudaient des programmes poétiques parfois si complexes que le premier fut qualifié de « visionnaire » tandis que le dernier vit sa poésie décrite comme « hermétique ».
Le haiku offre alors un compromis : sa brièveté nécessite un questionnement du langage poétique ; son origine nippone, et le système graphique complexe du japonais, entraîne l'interrogation de l'écriture ; sa « simplicité ordinaire » prévient de l'échec que peut créer l'incompréhension de l'idée par le lecteur éventuel car il ne s'agit plus là d'une poésie destinée à une élite intellectuelle. C'est cette simplicité, toute apparente, qui, à notre sens, a fait la célébrité et la popularité du haiku. Par ailleurs, n'ayant aucun équivalent potentiel dans la littérature occidentale, il permet une appropriation plus libre par qui le pratique dans la langue qui est la sienne car il n'est aucune autorité, telle que la tradition par exemple, pour remettre en cause une production poétique. De même, la poésie classique occidentale, raidie par des années d'une pratique stricte, devient un carcan de thèmes, de rhétorique et de formes qui n'augurent qu'un dépérissement certain que les poètes modernistes – et leurs successeurs – s'emploient à ralentir sinon à arrêter. Le haiku naît, comme dans la littérature japonaise, d'une volonté de renouveau.
C'est à partir de ces interrogations, faites de similitudes et de contradictions, que nous avons tenté de définir et de caractériser le haiku dans la littérature hispanique, à la fois en tant que forme poétique et en tant que forme brève du discours. Notre approche, si elle était double au départ, s'est toutefois complexifiée au fur et à mesure des analyses que nous avons faites des textes que nous avons réunis. Il s'agissait avant tout de faire le lien entre deux cultures, la japonaise et l'hispanique, que rien ne semble rapprocher et qui pourtant ont toutes deux, dans l'éventail de leurs formes poétiques, un poème bref appelé haiku.
Nous avons donc tenté de retracer l'itinéraire à la fois linguistique (puisque nous n'avons pas établi de rapport direct entre les premiers auteurs de haikus en langue espagnole et les textes en japonais) et littéraire (puisque, rappelons-le, peu de temps a passé entre le moment où les premiers haikus ont été traduits et les premières publications de haikus en langues espagnole). C'est à la lumière de la littéralité comme méthode d'analyse que nous avons conjointement mené des réflexions sur le haiku japonais et le haiku hispanique. Les approches sont mutli-focales : sémiotique, analyse du discours, linguistique et littérature comparée, linguistique de corpus, linguistique diachronique (dans le cadre du haiku japonais) mais notre objectif reste celui de demeurer au plus près du texte enfin d'en comprendre les mécanismes sous-jacents et, parmi ceux-ci, d'établir les liens possibles entre deux sphères culturelles et littéraires que rien ne semblait rapprocher. Partant d'une historiographie du haiku japonais, que nous avons posée comme point de départ à notre réflexion, nous avons tenté de comprendre comment et pourquoi de nombreux auteurs ont publié – et publient encore, toujours plus nombreux – des poèmes qu'ils nommèrent haikus mais auquel parfois ils donnèrent des noms de leur invention, comme si la « plasticité » de cette forme poétique devait garantir leur légitimité sous quelque appellation que ce fût.
Aujourd'hui encore, certains auteurs de haikus en langue espagnole formulent un paradoxe : ils écrivent ce qu'ils nomment des haikus alors qu'ils disent d'eux-même que ce n'en sont pas puisqu'ils n'obéissent pas aux canons de la forme japonaise, pas plus qu'ils ne sont composés dans la langue d'origine de ce poème. Nous avons donc tenté de « définir » cette forme poétique qui n'a cessé ni ne cesse de surprendre et d'intriguer à la fois poètes et lecteurs, et plus encore lorsqu'elle est rapportée à la littérature hispanique.

 

 

 

 

 

 

 

 

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