En philosophie, l’ambiance est un concept selon Bruce Begout - Université Bordeaux Montaigne

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En philosophie, l’ambiance est un concept selon Bruce Bégout

Bruce Bégout est philosophe spécialiste de philosophie allemande, de phénoménologie et de philosophie contemporaine. Il travaille depuis 2010 sur la définition du concept d’ambiance.

Selon vous, qu’est-ce qu’une ambiance ?

La plupart des chercheurs qui utilisent la notion d’ambiance dans leurs travaux ont tendance à être assez dubitatif sur la nature même des ambiances. Lorsqu'il s'agit de définir ce qu'est une ambiance cela devient difficile. De l’avis général, l'ambiance n'est pas que purement objective donc, elle n’est pas qu’un environnement qui a des qualités objectives de couleurs, d'odeurs ou de chaleur. Elle n’est pas non plus purement subjective, et n’est pas un sentiment ou un état affectif qui ne vaudrait que pour soi. Très souvent les chercheurs définissent l'ambiance comme un mélange des deux ou une sorte d'oscillation entre un environnement et des humeurs.
Mon travail consiste essentiellement à déconstruire cette logique d’allers-retours entre objectivité et subjectivité. Selon moi, les ambiances sont des phénomènes autonomes qui appartiennent à des situations. Il s'agit donc à la fois de dés-objectiver et de dé-subjectiver l'ambiance, de sortir de ce jeu environnement/humeur pour penser l'ambiance comme une qualité du moment ou de la situation. C'est pour cela que je parle de situations affectives : des situations qui nous affectent en tant que telles et qui sont très changeantes.
Une ambiance est liée à une situation, convergence d’un moment et d’un lieu, mais elle a la capacité de dépasser les limites de cette situation pour s’étendre. C’est ce que j’appelle l’ampleur. L’ambiance peut s'étendre aux dimensions mêmes du monde. « Quand je suis dans un concert ou un stade, au fond, mon monde c'est l'ambiance de ce lieu ».

L’ambiance étant une situation affective, il est difficile de la ressentir en tant que spectateur, n’est-ce pas un problème pour vous qui l’étudiez ?

En effet, il existe un problème méthodologique puisqu’on ne peut pas se positionner en tant que spectateur. Par exemple, si je suis dans une fête puis que, tout d’un coup je prends du recul et me demande ce que je fais là. Cela traduit que je m’ennuie. Alors de fait, je ne suis plus dans l’ambiance. D’une certaine manière, l’approche théorique des ambiances ne défait-elle pas l'ambiance qu'elle veut étudier ? La philosophie avait rencontré les mêmes problèmes en étudiant la vie.

Comment faites-vous pour étudier cette notion d’ambiance ?

J’utilise beaucoup la littérature, car il y a beaucoup de textes qui rendent compte de descriptions d’ambiances chez Rousseau ou Baudelaire. Je ne m’intéresse pas à une fiction qui entend une ambiance dans le sens du « faire comme si » mais plutôt comme une restitution d’expérience. Par exemple À la recherche du temps perdu de Proust est imprégné de descriptions d’ambiances : Venise, les rues de Paris ou encore  les stations balnéaires de Normandie. Je peux faire aussi appel au cinéma ou même à des descriptions d’ambiances concrètes comme celle d’un hôpital. L’idée est d’utiliser différents matériaux mais surtout de toujours revenir à une idée d’expérience. Je décris ces lieux, ces moments pour essayer de comprendre ce qu’est une ambiance et surtout comment elle agit sur nous.

Comment définir un concept à partir d’un mot que chacun utilise avec son propre point de vue ?

Mon travail consiste, non pas à définir le mot mais bien à conceptualiser la notion d’ambiance. C’est à dire, passer de la notion vague, plurielle et relative aux différentes subjectivités à un noyau conceptuel. Pour cela, il n'y a rien de tel que l'analyse historique. Le terme d'ambiance est en fait assez récent : il a à peine un siècle. Avant, d’autres termes sont utilisés comme climat, atmosphère ou milieu, mais le concept, lui, existe déjà chez les grecs. Il peut y avoir des sens différents en fonction des époques mais un noyau dur de sens persiste à travers ces notions différentes. Ce concept a déjà été étudié par les philologues [NDLR : spécialistes de l’étude des textes anciens]. Pour ma part, je développe des thèses propres à la philosophie et plus particulièrement selon une approche phénoménologique.

Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur le concept d’ambiance ?

Au début de l’année 2010 j'avais organisé un séminaire à l’Université Bordeaux Montaigne sur la nuit et l'expérience du nocturne en philosophie. J’ai eu l’occasion d’utiliser le terme d’ambiance qui m’a interpellé. Je l’ai tout de suite noté en me disant que je tenais là un concept intéressant. J’ai ensuite commencé des recherches et je me suis rendu compte que beaucoup de personnes utilisent ce concept depuis une trentaine d’années. Cela m’a incité à poursuivre ma démarche et j’ai alors commencé à approfondir la notion. je souligne d’ailleurs, que ce ce travail philosophique est inédit puisqu’il est question d’interroger ce concept pour la première fois au regard de la philosophie.

Bruce Bégout enseigne la philosophie allemande du 18e au 20e siècle, la phénoménologie ainsi que la philosophie contemporaine qui sont ses spécialités. Il lui arrive aussi d’intervenir dans des cours plus généraux comme la notion de technique. Le chercheur est membre de l’unité de recherche SPH et a obtenu un Congé pour Recherches ou Conversions Thématiques (CRCT) du 1er septembre 2017 au 28 février 2018, période au cours de laquelle il s’est consacré à son projet de recherche en vue d’une Habilitation à Diriger des Recherches (HDR).

Article rédigé par Bérangère Subervie, étudiante Master 1 Médiation des sciences et stagiaire à la direction de la communication de l’Université Bordeaux Montaigne.

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