Mars 14- Vincent Baillet - Université Bordeaux Montaigne

Les décors végétalisés dans l’architecture grecque : le kymation lesbique. Analyse, restitution volumétrique et interprétation par l’imagerie numérique.

 

Doctorant: M. Vincent BAILLET

 

Date et lieu: le mercredi 14 mars 2018 à 14h30
Université Bordeaux Montaigne
Maison de la Recherche- salle des soutenances
Esplanade des Antilles
33600 Pessac

Résumé:

L’architecture grecque brille par l’exécution minutieuse des règles de constructions empiriques de ces ouvrages et également par l’habileté des ouvriers faisant preuve très souvent d’une ingéniosité remarquable. De manière générale, celle-ci constitue toujours une discipline frontière entre l’art et la technique. Ce cadre n’a pas échappé à l’influence, ainsi qu’aux domaines de compétences des ouvriers grecs.
Les progrès et les avancées perpétuelles en sciences archéologiques ont montré que les Anciens ont doté leurs monuments de riches et complexes ornements qui ont pour effet d’embellir assurément la parure décorative de ces derniers. Ce langage visuel en relief ne s’est pas constitué brusquement ni sans passer par des évolutions inhérentes à diverses influences. Par ailleurs, il revêt plusieurs facettes qui fondent toute la richesse du registre ornemental grec. Parmi, ces formes propres à cet art figuratif, l’une d’entre elles nous interpelle tout particulièrement, il s’agit du kymation lesbique.

 

Cette thèse construite autour de ce motif est marquée par la double exigence d’introduire des données inédites, ainsi que de proposer des résultats qui soient profitables à la recherche archéologique. L’archéologie s’est portée très sérieusement au début du XXe siècle à l’étude du kymation lesbique. Depuis, plusieurs recherches ont œuvré pour une amélioration des connaissances liées à ce motif, notamment Lucy Taxis. Shoe dans son ouvrage ‘Profiles of Greek Mouldings’, ou encore Frank Rumscheid avec ‘Untersuchungen Zur Kleinasiatischen Bauornamentik des Hellenismus’. Pourtant, il règne toujours une certaine confusion sur l’origine du décor, son évolution morphologique, ou encore sa portée symbolique dans l’architecture grecque.
Cela étant, il n’est nullement question d’atténuer ou de régler ce qui pourrait apparaître comme des limites à ces recherches. Nous avons la conviction que ces dernières ont davantage ouvert la voie vers un palier qui manque cruellement, à savoir une étude globale et volumique de cette décoration architecturale. Le principal vide scientifique que nous décelons porte sur l’évolution morphologique du motif. En effet, plusieurs auteurs, dont Roland Martin ont esquissé une forme de transition plastique de la feuille d’eau vers le corps cordiforme.
Pour répondre à cette question essentielle notre examen se fonde une vaste aire chronologique et géographique. Les exemplaires ornés retenus couvrent une étendue qui s’ouvre de la Grèce de l’Occident, en passant par la Grèce continentale, l’Asie Mineure jusqu’en actuelle Syrie, entre le IXe siècle a. C et le Ier siècle p. C.
À partir de ce cadre spatio-temporel, nous avons pu mettre au point un catalogue exhaustif qui représente véritablement les fondations de ce projet doctoral. Le nombre de moulures s’élève à 386 exemplaires ; autant de fiches de renseignements sont élaborées, afin de mettre en évidence des données fondamentales telles que : la localisation ; le contexte de découverte ; l’appartenance architecturale du bloc ; la nature du bloc ; la datation ; les dimensions ; l’état de conservation, le lieu de conservation (numéro d’inventaire) ; les publications…etc.

 

L’élaboration de cet outil constitue le socle fondamental de la démarche analytique entreprise sur le kymation lesbique. L’étape préliminaire de cette étude a été d’isoler toutes les informations disponibles aux moulures lesbiques. Ce travail de recherche a nécessité la lecture de plusieurs centaines ouvrages spécialisés, d’articles de revues scientifiques, manuels… etc. Dès lors, l’extraction répétée et systématisée des données a nourri progressivement ce projet et permis d’évaluer ce qu’une nouvelle étude pourrait apporter de singulièrement profitable à la recherche.
Sur le volet de l’étude archéologique, le premier enjeu est d’élaborer une analyse stylistique du motif lesbique, au sein d’une démarche objective. En d’autres termes, nous introduirons des comparaisons factuelles et mesurables qui offriront des résultats objectifs susceptibles de conforter les confrontations plastiques des motifs. De même, il sera question d’opérer à la lumière de ces examens morphologiques de construire un essai généalogique et typologique de cette décoration architecturale. Ces derniers doivent permettre d’expliciter l’origine du motif, déceler les différentes phases de transitions qui ont amené ce dernier à évoluer et à se fixer, tout comme de rendre compte de la variété plastique de ces réalisations sculptées ou peintes propres au registre décoratif grec.
La matière première est essentielle, puisqu’elle est le fondement de ces ornements architecturaux. Dès lors, il convient d’ouvrir une voie nouvelle, à travers la mouluration lesbique. Si le marbre est considéré généralement comme le corps lithique roi dans le domaine de la construction grecque, il est nécessaire d’en vérifier la véracité auprès du décor lesbique. De même, plusieurs spécialistes, comme Roland Martin , ou encore Jim J. Coulton abondent dans le sens, dont les matériaux étrangers (le marbre notamment) à une région et qui y sont acheminés, sont le plus souvent accompagnés par les ouvriers responsables de son extraction. Ces derniers participent également à la mise en œuvre sur le chantier. Par conséquent, il apparaît comme essentiel de porter notre attention sur la provenance des corps lithiques.

Nous observerons si le motif conditionne tel ou tel apport de pierres ou au contraire, s’il est étranger aux circuits économiques et d’approvisionnement des matériaux. La construction d’un catalogue complet nous conduit nécessairement à recourir à un tel approfondissement des matières premières. Celles-ci sont susceptibles d’amener à des éclaircissements nouveaux et complémentaires à l’analyse stylistique globale du kymation lesbique. Enfin, nous sommes frappés de ne pas avoir décelé un précis technique de la réalisation de ces ornements. À nos yeux, si l’on veut saisir les concepts d’une œuvre d’art, il est essentiel de comprendre les moyens et le savoir-faire ayant permis sa réalisation. Par voie de conséquence, une étude matérielle rigoureuse sera menée pour répondre aux problématiques liées à la taille de ces moulurations, que ce soit la morphologie du profil ou du décor. Tout comme, le choix des matériaux utilisés par les Anciens nécessitant des techniques et des savoirs qui diffèrent selon le support pour la conception et la fabrication du motif. L’analyse portera aussi sur les échanges entre les Anciens, notamment sur la diffusion du savoir-faire. Ainsi, il paraît également primordial d’engager une réflexion sur les dispositions prises par les ouvriers, afin de façonner cette décoration sur les édifices antiques. Ces différentes observations tendent à montrer que le kymation lesbique n’a pas totalement délivré toute sa substance et peut nous amener à une meilleure compréhension de la constitution des décors végétalisés dans l’architecture grecque. Par conséquent, le déploiement d’une nouvelle étude sur cet ornement apparaît comme légitime et louable.
La nécessité d’apporter une lisibilité inédite pour le kymation lesbique passe par la compréhension du motif et également par sa restitution morphologique. C’est pourquoi cette thèse introduit des techniques novatrices en matière de restitution 3D, afin de créer une véritable encyclopédie numérique réutilisable et accessible aux chercheurs. Cette technologie est en interdépendance avec la démarche analytique sur le volet archéologique. Autrement dit, nous incluons à notre démarche analytique, l’usage de la modélisation tridimensionnelle et de la photogrammétrie par corrélation dense.


Ces deux techniques liées à la capture et à la restitution numérique sont désormais employées dans les recherches archéologiques depuis plusieurs années. Néanmoins, ces outils ne seront pas uniquement là pour faire office de figuration. Ils sont irrémédiablement inclus à notre projet et également dans la démarche globale qui est la nôtre. L’objectif poursuivi est de favoriser un véritable renouvellement des questions inhérentes à la mouluration lesbique.
Cela étant, la restitution 3D n’est pas une fin en soi, il s’agit d’un outil qui doit servir à la compréhension des sociétés anciennes, en l’occurrence ici, du motif lesbique. Elle doit faciliter les comparaisons stylistiques grâce au pouvoir visuel permettant de restituer le volume morphologique de cette décoration architecturale. Aussi, cette technique révèle des informations et des traces qui ne sont pas forcément disponibles ou visibles traditionnellement au sein des publications.
La première technique fixée dans cette recherche concerne la modélisation 3D s’effectuant à partir de relevés architecturaux et de photographies. Cette méthode consiste par l’acquisition de données sur un plan 2D à détourer le profil et le motif, puis à extruder les formes pour restituer la mouluration lesbique dans son état d’origine.
La seconde méthode permet d’aller encore plus loin, néanmoins elle reste plus difficile à mettre en œuvre pour des raisons qui sont liées à la disponibilité physique des œuvres, l’autorisation des musées, économiques… etc. Il s’agit de l’utilisation de la photogrammétrie par corrélation dense qui repose sur la modélisation rigoureuse de la géométrie des images prises à partir d’un appareil photo numérique et de leur acquisition, afin de reconstituer une copie 3D exacte de la réalité. Ce procédé est très intéressant, car il offre la possibilité de créer finalement un relevé architectural en trois dimensions d’une extrême précision. Ce double numérique permet de s’affranchir d’un relevé absent d’une publication, dès lors cette méthode a le double avantage d’entrer en complémentarité avec la première et également de nous affranchir de la perte ou l’absence de données.

 

L’apport incontestable de cette méthode s’est vérifié dans le cadre de séjours d’étude au sein du British Museum, au Musée du Louvre et Louvre, des musées archéologiques de Thasos, Thessalonique, Delphes, de l’agora antique d’Athènes, du musée épigraphique ou encore de l’acropole d’Athènes.
Ces différents déplacements ont permis l’acquisition de plusieurs dizaines de modèles photogrammétriques utilisés comme source fondamentale, afin de restituer les blocs conservés dans leur état d’origine et également de faciliter les comparaisons morphologiques des kymations lesbiques. La dualité épistémologique introduite dans cette thèse est marquée par une réelle émulation, dont les effets bénéfiques seront visibles également dans la construction du catalogue du kymation lesbique.
Nos objectifs sont multiples et cette étude fait le vœu d’être ambitieuse. Pour cela, cette dernière s’attellera à éviter l’écueil de proposer une approche ayant un cadre trop restrictif. C’est pourquoi nous envisageons de préférence une démarche assoçiant plusieurs groupes d’édifices aux fonctions différentes. De ce fait, en tenant compte d’un maximum de situations et de réalités archéologiques, notre examen gagnera en représentativité. De même, la démarche qui est la notre doit favoriser un renouvellement des questionnements par le développement d’une méthode inédite alliant l’analyse stylistique traditionnelle à l’interprétation par l’imagerie numérique des modèles lesbiques.

 

 

 

 

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