Mars 09- Irene Balza - Université Bordeaux Montaigne

Structure syntaxique et interprétation modale : le cas modal de nécessité behar du basque

Doctorante: Mme Irène Balza

 

Date: vendredi 09 Mars 2018 à 10h30
Lieu: Université du Pays Basque Vitoria-salle des Actes

 Résumé: 

 

Les prédicats modaux ont été l’objet d’une grande attention dans les travaux de théorie grammaticale ces trois dernières décennies, et ils ont été abordés depuis plusieurs perspectives et cadres théoriques. Une des questions traitées de manière récurrente concerne la relation entre interprétation modale et choix lexical, c’est à dire le fait qu’il existe une tendance largement partagée parmi les langues du monde à utiliser le même verbe modal pour transmettre plusieurs lectures modales. Les phrases modales en (1) et (2) qui contiennent le verbe modal must en anglais, et behar en basque, constituent une illustration de ce fait :

(1) John must be at home
a. Jean est probablement chez lui.
b. Il est exigé à Jean d’être chez lui.

(2) Ordu honetarako, Jonek bulegoan egon behar du
heure cette.pour Jean bureau.au être doit auxiliaire
a. À cette heure-ci, Jean est probablement au bureau.
b. Il est exigé à Jean d’être chez lui à cette heure-ci.

Les phrases modales en (1) et (2) sont ambiguës entre deux interprétations. (1a) et (2a) expriment la modalité épistémique (du terme Grec episteme « connaissance »). Ce type de modalité est lié à ce qui est possible ou nécessaire selon ce qui est connu par l’agent épistémique (le locuteur). En revanche, (1b) et (2b) expriment la modalité racine ou basique (root modality). Ce type de modalité vise des notions comme l’obligation, la permission, la capacité ou la volonté, et il exploite les relations causales qui s’établissent entre le sujet et l’événement ciblé par le prédicat modal. Le chapitre 2 offre une introduction aux différentes interprétations modales.

Cette thèse se propose d’examiner en détail le prédicat modal de nécessité behar en basque, les contextes syntaxiques dans lesquels il paraît, et les interprétations auxquelles il donne lieu. Elle apporte une explication cohérente de la manière de laquelle les structures syntaxiques et les interprétations modales s’associent en basque, en abordant un ensemble de constructions qui n’ont jamais été l’objet d’une recherche approfondie, et en comparant le basque avec d’autres langues qui ont été étudiées rigoureusement.

La thèse aborde tout d’abord le débat concernant le statut fonctionnel ou lexical des verbes modaux. Elle soutient l’idée que les prédicats modaux peuvent être représentés par des catégories aussi bien lexicales que fonctionnelles. Cette hypothèse est nécessaire pour expliquer les propriétés mixtes présentées par le prédicat modal behar en basque ainsi que d’autres prédicats dénominaux qui ont la même signification, comme le verbe need en anglais (chapitre 3).

Ensuite, la thèse analyse en détail les propriétés syntaxiques des constructions modales avec behar en basque et leur complément non-fléchi (chapitres 4 et 5). Je conclue que les constructions avec behar plus infinitif en basque correspondent à trois différentes structures sous-jacentes : un type I, que j’appelle restructuration fonctionnelle ; un type II, qui correspond à la restructuration lexicale ; et un type III, qui ne présente pas de restructuration syntaxique. Le type I est transparent aux relations de cas, d’accord et de sélection d’auxiliaire qui s’établissent avec le verbe fléchi principal. Les types II et III, en revanche, présentent des restrictions dans ce domaine : ils fonctionnent comme des verbes transitifs avec un auxiliaire edun qui correspond aux verbes transitifs en basque. Ces trois types diffèrent aussi dans la complexité structurelle de leur complément d’infinitif, qui est plus riche dans les types II et III que dans le type I : les infinitifs complément du type I projettent une structure fonctionnelle de niveau vP, les infinitifs de type II peuvent aller jusqu’à projeter des structures de niveau TP, et les infinitifs de type III projettent au niveau d’une phrase de polarité ou d’une phrase à complémenteur (CP).

Une fois que ces trois types ont été définis, j’examine dans le chapitre 6 l’ensemble des propriétés syntaxiques et sémantiques qui ont été considérées comme étant déterminantes pour l’interprétation des constructions modales.

D’abord j’examine, sur la base des conclusions dérivées de l’analyse syntaxique des constructions modales du basque, l’idée que la différence entre modalité racine et modalité épistémique est liée à la distinction entre construction de montée et construction de contrôle. Je montre, à l’encontre de ce qui a été proposé à plusieurs reprises (Ross, 1969, Jackendoff, 1972, Huddleston, 1976, 1984, Zubizarreta, 1982, Roberts, 1985), que les interprétations modales ne découlent pas de cette distinction basée sur la notion d’assignation de rôle thématique.

Puis j’examine les interactions de portée du verbe modal avec d’autres opérateurs logiques de la phrase, comme les indéfinis et les sujets quantifiés, ainsi que la négation. Je montre que les différences de portée relative entre les prédicats modaux et ces opérateurs ne sont pas à l’origine des différences d’interprétation des prédicats modaux, contre l’idée développée par plusieurs auteurs, selon laquelle il y aurait une relation systématique entre portée relative et interprétation modale (Brennan 1993, Butler 2003, 2004, Hacquard 2006, Lee, 2006).

Les propriétés syntaxiques et sémantiques qui ressortent de l’analyse détaillée des prédicats modaux du basque et de leur comparaison typologique avec d’autres prédicats dénominaux m’amènent à proposer une théorie de la conspiration pour l’interprétation de la modalité, dans lequel les diverses interprétations découlent d’un effet de type cumulatif. Je montre en même temps que l’interface syntaxe-sémantique exige une définition plus fine des catégories modales, qui comprend au moins les catégories de modalité épistémique, modalité déontique non-dirigée, modalité déontique dirigée et modalité dispositionelle ou dynamique, comme cela a été proposé pour la première fois par Barbiers (1995).

Le tableau suivant montre la relation entre les facteurs syntaxiques et les interprétations modales qui ressort de cette thèse.

 

 

 

(3) Une approche conspirationnelle des interprétations modales

FACTEURS CONTRAIGNANTS TYPE D’INTERPRÉTATION MODALE POSSIBLE
Epistémique Déontique non-dirigé Déontique dirigé Dispositionelle
Existence d’une relation thématique avec le sujet NON OUI OUI OUI
Présence de sujets inanimés OUI OUI NON NON
Reconstruction de portée de sujets indéfinis et quantificationnels dans le complément du verbe modal OUI OUI NON NON
Portée large du verbe modal par rapport à la négation NON OUI OUI NON

 

 

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