Mars 09- Daria Kuntsevich - Université Bordeaux Montaigne

L’Œuvre de Nikolas Minsky dans le contexte du symbolisme français

Doctorante: Daria KUNTSEVICH

 

 

Date: vendredi 09 mars 2018 à 14h00
Lieu: Maison de la Recherche- salle de soutenances
Esplanade des Antilles
33600 PESSAC

 

 

Résumé:

Les changements, plus fréquents qu’aux époques précédentes, des paradigmes politiques et économiques en France autant qu’en Russie pendant le XIXème siècle ont eu des répercussions dans tous les domaines, y compris au niveau de la conscience de l’art. Dans ce contexte, cette thèse étudie la richesse de la poésie française et son reflet dans l’art de Nicolas Minsky – poète, dramaturge, philosophe, publiciste – ainsi que les raisons du renouveau de la pensée poétique.
Les liens entre le symbolisme russe et le symbolisme français ont été mentionnés par plusieurs chercheurs connus : Georges Nivat, Gueorguiï Kossikov, Dmitriï Oblomievskiï, Lidia Guinzbourg, etc. Cependant, le nom de Nikolas Maksimovitch Minsky (de son vrai nom Nikolaï Maksimovitch Vilenkine) apparaît rarement dans les travaux des chercheurs. Même sa date de naissance, le 22 janvier (le 3 février selon le calendrier grégorien) 1856 reste contestable. La personnalité de cet auteur est passablement méconnue dans le circuit intellectuel de la slavistique en Russie autant qu’en France. Contrairement à ce qui a été dit au tournant du XXème siècle, aucun nouveau recueil poétique de Minsky n’a paru après 1922. Il n’existe toujours pas d’édition critique de son œuvre. Sa bibliographie est pleine de lacunes. Minsky n’a laissé aucun journal intime, il n’avait pas d’enfants. Son nom est vite tombé dans l’oubli.
En même temps, il est possible de considérer Minsky comme étant à la base du nouveau mouvement littéraire russe pour l’élévation de ses raisonnements philosophiques qui ont poussé ses contemporains à la création d’une nouvelle poésie. Tandis que la plupart des chercheurs affirment que c’est Valéry Brioussov qui est le créateur du symbolisme russe (Georges Nivat, Victor Berdinskikh, etc.) d’autres soulignent que les œuvres de Minsky anticipent certaines des idées du symbolisme russe (Vladimir Alfonsov, Marina Voskresenskaia, etc.).
Nous avons étudié dans la présente thèse la manière dont la réception de Minsky évolue avec le temps. Puis nous avons pris en considération le fait que Minsky écrivait non seulement dans le contexte de la poésie russe da la fin de XIXème et du début de XXème siècle (Sémion Nadson, Dimitri Merejkovski, Alexandre Dobrolioubov, Ivan Konevskoï, Fiodor Sologoub, etc.), mais aussi dans celui du symbolisme français. Remarquons qu’il a beaucoup vécu en France (il est mort en émigration, à Paris). En outre, il a beaucoup traduit : par exemple, il a fait paraître, en collaboration avec sa femme Lioudmila Vilkina (1873 – 1920), Les Œuvres complètes de M. Maeterlinck (1915) en russe.
L’intérêt de Minsky pour la littérature française (francophone) devient évident à la lecture de ses œuvres, de même que des commentaires de ses contemporains (Alexandre Blok, Nikolaï Mikhaïlovski, Gueorgui Tchoulkov et d’autres). En revanche, les chercheurs d’aujourd’hui ne lient presque pas le nom de Minsky avec les symbolistes français. Il nous semble donc raisonnable de chercher à comprendre dans quelle mesure cet auteur russe a été en rapport avec l’œuvre des poètes français. La présente étude est la première tentative d’étude approfondie de l’œuvre de cet écrivain non seulement dans le contexte de la littérature russe, mais aussi française ; elle est motivée par la nécessité d’élargir l’image existante de l’œuvre de Minsky dans le contexte littéraire contemporain de son époque. Il nous faut préciser que le but du présent travail n’est naturellement pas l’analyse de la totalité du symbolisme français et russe, mais celle du contexte des deux courants et de leur influence sur l’œuvre de Minsky. Notons que l’analyse comparée est conduite du point de vue des aspects qui relient Minsky aux symbolistes.
En effet, Minsky souhaitait de diverses façons figurer sur les pages des revues et journaux contemporains russes ainsi qu’étrangers. Ses premières œuvres sont apparues dans le champ littéraire en 1877 (la revue Vestnik Evropy [Le Messager de l’Europe]). Dans les années 1880, la poétique de Minsky se caractérise par une tonalité libérale-populiste, à la fois en réaction aux évènements historiques et comme une tentative de suivre des tendances littéraires déjà existantes. L’étape suivante de la voie littéraire de Minsky (vers 1886 – 1890) est caractérisée par des changements brusques du contenu de sa poésie. À la place de la « voix du peuple » apparaît la « voix du moi de l’auteur ». Le poète est l’un des premiers en Russie à « lever le drapeau rebelle » de l’individualisme. Les motifs de la solitude, de la douleur, de la peur, de l’unité de la vie et la mort sont la conséquence de l’indifférence envers tout, sauf envers « soi-même ». En même temps, l’auteur russe élabore sa propre conception philosophique du méonisme basé sur le rejet des autres « moi ». Puis, avant 1905, il reconsidère sa théorie méonique, en la liant avec la religion.
Pendant toute sa période créatrice, Minsky a été un esprit puissamment novateur. Sa nouveauté consistait à faire la synthèse d’idées contemporaines et de sa propre vision des choses. À ses hymnes à l’Inconnu il ajoutait un hymne à la révolution, tout en jouant également un rôle d’historien de la littérature ; il essaya – modestement – d’en tirer des principes généraux. Néanmoins, en 1906 il est forcé de partir à l’étranger (Paris, Berlin, Londres) où il affronte plusieurs problèmes. Précisons que nos recherches s’arrêtent en 1905 (sauf le recueil poétique et l’article autobiographique publiés en 1922) car les drames et les articles de cette période n’ont pas de points en commun avec le symbolisme.
Comme un grand nombre de ses contemporains, il s’avère difficile de considérer Minsky comme uniquement un poète symboliste ou décadent. Il est difficile de réunir ses œuvres autour d’un seul axe littéraire. Conjuguant des éléments de différentes pratiques poétiques, il est à l’origine du symbolisme russe de la fin du XIXème siècle. Néanmoins, Minsky a été présenté comme : « un néoromantique » (Semione Venguerov), « un présymboliste » (Zara Mints, Aage Hansen-Löve), « un décadent » (Akim Volynski), « un symboliste » (Sergueï Sapojkov). Pour le monde russe ses œuvres restent « décadentes », remplies de tristesse et de mélancolie. Les motifs mortifères (pessimisme, scepticisme, individualisme extrême, etc.) provoquent le dégoût chez la majorité des lecteurs. Naturellement, il se heurte à une critique cruelle et parfois injuste, basée sur les normes de la morale. Ses différentes tentatives pour créer une nouvelle langue poétique ont parfois été vues comme une originalité superflue. En outre, le surhumain, auquel aspire le poète, et qui exige l’isolement dans une tour d’ivoire, provoque l’aversion du public bien-pensant.
Dans la thèse nous avons présenté la poétique de Minsky, sa philosophie et le mécanisme de réflexion, de réfraction et de transformation des idées des fondateurs du symbolisme français. En conclusion nous affirmons que l’œuvre de Minsky est éclectique, plus précisément elle présente une synthèse artistique entre les nouvelles recherches en littérature européenne et la tradition poétique nationale. Minsky est l’un des premiers à initier la voie symboliste en Russie. C’est pourquoi il est difficile de le séparer de la tradition romantique. Il aspire encore consciemment au syncrétisme, unissant la poésie, la musique et la peinture dans ses poèmes. Nous observons les tentatives hésitantes de la réalisation du principe symboliste où les buts d’un art sont atteints par les moyens d’un autre. Minsky ne peut pas entièrement se séparer du descriptivisme du monde concret et réel. Sa vie et son œuvre constituent une histoire des recherches, faites de succès et de défaites, qui l’ont amené à l’éradication des prédilections symbolistes.

 

 

 

 

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