À la croisée des disciplines, Aurélia Gaillard étudie le rose rococo - Université Bordeaux Montaigne

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À la croisée des disciplines, Aurélia Gaillard étudie le rose rococo

Aurélia Gaillard est chercheuse en études littéraires. Sa particularité : elle travaille de façon pluridisciplinaire et transversale en croisant l’art, l'esthétique, les sciences, la philosophie et l’histoire. « Mes objets de recherche ne sont pas du tout littéraires au sens strict du terme ». Son sujet de recherche actuel est le courant rococo et plus particulièrement la « couleur de rose ».

Qu’est-ce que le rococo ?

Le rococo est un mouvement de pensée de la première moitié du 18e siècle qui est encore souvent perçu du seul point de vue des arts comme un style décoratif. Son nom, quant à lui, est apparu assez récemment au cours du 19e siècle et plus nettement du 20e siècle, et donne au courant une connotation péjorative. En effet la plupart des gens ont une vision très négative du courant entre surcharge ornementale, superficialité de la pensée et érotisme gratuit. « Évidemment, ce sont des traits qui existent, cette vision ne part pas de rien ». Certain·e·s spécialistes essayent de débarrasser le rococo de ces préjugés, en préférant utiliser le terme de « rocaille » en référence à l’ornementation rocaille, mêlant rochers, coquillages et arabesques, qui était très appréciée à l’époque.

« Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tellement la forme mais plutôt la vision du monde qui correspond à cette forme : comprendre ce que peut être une pensée rococo ».

L’époque rococo est une période de l’entre-deux. Elle se situe entre une époque dominée par le christianisme et le siècle des Lumières,  au cours duquel la société commence à se séculariser. « Pour autant, elle n’est pas du tout une période de transition. C’est une façon de la considérer qui est rétrospective et n’a pas de sens ». Elle a une vraie autonomie de pensée, qu’on peut caractériser comme une pensée du « possible ». Le maître mot qui revient, dans la bouche de Fontenelle particulièrement, est : « pourquoi non ? ». Ce qui prime alors, ce n’est pas la raison mais ce sont les sensations. Selon cette pensée, l’expérimentation des sens et le plaisir, y compris érotique, qu’ils procurent sont un mode d’accès à la connaissance et à la vérité. « Tout cela n’a pas grand chose à voir avec les traits caricaturaux qu’on prête au rococo. En fait c’est une pensée très contemporaine qui met fin aux idéologies sans en instaurer de nouvelles. En effet, il n’y a pas de théorie « rococo » à l’époque et personne ne s’en revendique, contrairement à ce qui se passe à la période Classique ou à celle des Lumières. D’où la difficulté de le théoriser ».

  

La couleur de rose


Sérigraphie de Niki de Saint Phalle datant de 1969

Aurélia Gaillard travaille depuis plusieurs années sur le mouvement rococo caractérisé aussi par une valorisation du coloris. Ce qui l’a conduite à explorer aujourd’hui un champ connexe, nouveau pour elle : celui des couleurs.

Au 18e siècle, beaucoup de domaines témoignent d’un intérêt scientifique ou culturel pour les couleurs, de Newton et ses recherches sur l’optique au Traité des couleurs de Goethe, en passant par les teinturiers ou les peintres : on l’appelle d’ailleurs une « oasis colorée ». Cette histoire des couleurs à l’époque est très étudiée en histoire de l’art mais presque pas en littérature.
« Il faudrait réaliser des enquêtes statistiques, mais il semblerait qu’avant le 18e siècle, les œuvres littéraires ne fassent que très peu mention des couleurs. Évidemment, les descriptions présentes dans les textes suscitent des images colorées mais c’est le mot « couleur » ou des notations de lumière comme « pâle, clair, sombre, obscur » qui sont employés, pas des noms précis de couleur ».


En croisant ces différentes disciplines, la chercheuse souhaite comprendre comment se constitue un concept de couleur. Pour cela, le rose est exemplaire car c’est une couleur émergente qui n’existe pas en tant qu’idée avant le 18e siècle, période au cours de laquelle l’adjectif et le substantif français « rose » apparaissent. « À l’époque, c’est le syntagme “couleur de rose ” que l’on retrouve absolument partout. C’est cette expression intermédiaire qui va mener à la création de la couleur rose ». Mais, dans la nature ou, plus discrètement, dans l’art et la teinture, le rose existait déjà, même s’il se diffuse au 18e siècle avec l’importation d’un nouveau pigment « bois de brésil » : alors pourquoi est-il nécessaire tout à coup de le désigner, de le penser comme une couleur différente ? Aurélia Gaillard a une hypothèse.

 

L’importance de désigner cette couleur serait liée à la naissance de l’individualité, à une nouvelle façon de considérer le rapport au monde et à soi. L’émergence du rose qui est d’abord la couleur de la chair, témoigne d’une nouvelle relation au corps.

Aurélia Gaillard enseigne la littérature et l’esthétique au sein du département des Lettres. La chercheuse est membre de l’unité de recherche SPH et a obtenu un Congé pour Recherches ou Conversions Thématiques (CRCT) du 1er septembre 2017 au 28 février 2018, période au cours de laquelle elle s’est consacrée à son projet de recherche.

Article rédigé par Bérangère Subervie, étudiante Master 1 Médiation des sciences et stagiaire à la direction de la communication de l’Université Bordeaux Montaigne.

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