Juin 07 - Mathieu Servanton - Université Bordeaux Montaigne

Factions et robes rouges. Parlements et politique provinciale de Richelieu à la Fronde (1624-1654)

Doctorant: Mathieu Servanton

 

Date: 07 Juin 2017 à 14h
Université Bordeaux Montaigne
Lieu:Maison des Sciences de l'Homme
Salle Jean Borde

Résumé:

Au travers de cette étude, nous avons cherché à comprendre la politique gouvernementale menée par Richelieu vis-à-vis des parlements méridionaux, ainsi que ses conséquences politiques jusqu’aux guerres civiles de la Fronde. Cependant, nous n’avons pas limité notre champ d’investigation au seul point de vue gouvernemental. Nous avons veillé à reconstruire les dynamiques politiques provinciales afin de comprendre au mieux les prises de position au sein des parlements. Pour cela, nous avons mis les factions et le factionnalisme au cœur de notre analyse en tentant de produire une véritable « histoire-cabales » des parlements méridionaux durant les années cardinales. Cette démarche a de cette façon nécessité l’adoption d’une méthode, la reconstruction minutieuse des actions – comme méthode de repérage des factions en mouvement.
Nous avons défini les factions parlementaires comme des coalitions temporaires, nébuleuses de magistrats ou de familles de magistrats, dont on pouvait distinguer un noyau dur d’adhérents fortement impliqués dans les confrontations et des marges plus ou moins actives en fonction des enjeux et des recompositions d’alliances. Leurs interactions et leurs affrontements caractérisaient le factionnalisme. Plusieurs types de réseaux, de liens, pouvaient réunir les magistrats au sein de même faction. Des liens que nous avons tenté de reconstruire. Les parentèles étaient ainsi un élément central pour la formation de l’armature des factions. Nous avons pu reconstituer les principaux clans des parlements méridionaux de la première moitié du XVIIe siècle, bâtis sur des stratégies matrimoniales et de patrimonialisation des charges. Quatorze parentèles pouvaient ainsi constituer l'ossature des factions qui s’affrontaient dans les parlements méridionaux. Les clientèles pouvaient être un second type de réseaux sur lesquels pouvaient se bâtir des factions en raison de puissants intérêts communs. Plusieurs clientèles qui innervaient les compagnies ont été analysées. Les clientèles ministérielles tout d’abord (celles du chancelier Pierre Séguier et celles des cardinaux Richelieu et Mazarin), mais aussi celles des gouverneurs militaires des provinces méridionales. Ces différents réseaux dans les parlements pouvaient être à l’origine de la constitution de factions en réunissant des magistrats poursuivant des objectifs similaires au service de leur patron. Enfin, les effets de générations ont été envisagés comme un autre élément de formation des factions, réunissant des magistrats ayant été confrontés aux mêmes expériences politiques. Nous avons ainsi montrer la constitution d’une génération Richelieu – confrontée au premier ministériat comme temps fort de leur socialisation politique – qui se trouve par la suite aux avant-postes durant la Fronde. Parentèles, clientèles et générations constituent le soubassement de la structure en factions des compagnies de magistrats.
Cependant, si l’existence de ces réseaux et liens permettent d’expliquer en partie comment se constituer des factions parlementaires, ils ne peuvent pas rendre compte à eux seuls de pourquoi le factionnalisme se développait. Pour cela, certaines conditions politiques extérieures étaient nécessaires à l’agitation factionnelle. Les situations de crise politique et d’affrontement au sommet de l’État y furent particulièrement favorables. Nous avons montré comment l’instauration du ministériat et ses tensions furent propices à attiser le factionnalisme parlementaire. La constitution d’une alliance politique au sommet de l’État entre Richelieu et le clan des Condé, puis sa désagrégation après la mort du cardinal et l’émergence des clans réunis autour de Mazarin et du duc d'Orléans, marquèrent profondément la vie politique provinciale. Ces luttes de pouvoir violentes au sommet de l’État favorisèrent les divisions locales. Cette contextualisation politique – attentive aux luttes de pouvoir au sommet de l’État et à leurs conséquences dans les provinces – explique en partie le factionnalisme parlementaire, bien plus que ne le font les théories fondant l’analyse historique en terme de résistance et d’opposition à une intégration par l’État de provinces périphériques. Les magistrats étaient partie prenante de ces luttes de pouvoir et les conflits factionnels en étaient en partie leurs conséquences.
De plus, parallèlement à ce contexte politique général brutal, des configurations politiques propres à chacune des provinces conduisirent à un factionnalisme caractéristique à chaque parlement. Nous n’avons pas cherché de cette manière à effacer la singularité de chaque compagnie et des luttes de factions qui s’y déroulèrent. Leur chronologie et leurs spécificités sont centrales pour comprendre la composition des factions qui s’affrontèrent et leurs dynamiques. À Toulouse, les années 1629-1647 sont marquées par un factionnalisme ayant pour principal moteur la contestation de l’autorité du premier président Jean de Bertier. À Bordeaux, de 1626 à 1647, l’attitude des gouverneurs militaires, les ducs d'Épernon, fut le principal carburant du factionnalisme parlementaire. À Aix, entre 1629 et 1647, les affrontements entre factions eurent pour principal ressort les luttes de pouvoir entre magistrats et l’attitude du gouverneur militaire, le comte d'Alais. Cette historicisation du factionnalisme parlementaire est un élément central pour la compréhension des prises de position des compagnies et de leurs actions. Le cardinal de Richelieu et ses hommes furent confrontés à ces luttes locales entre factions et firent ainsi usage de ces divisions comme technique de gouvernement. En croisant ainsi les dynamiques factionnelles locales, émergent les principaux motifs à l’agitation des factions parlementaires : les conflits entre magistrats, les luttes de pouvoir avec les gouverneurs et l’attitude gouvernementale.
Le contrôle des factions et du factionnalisme parlementaire devint un enjeu politique central à partir de 1636. Cette année constitua un tournant dans la politique gouvernementale vis-à-vis des parlements. La guerre et son financement imposèrent leurs impératifs, se muant en une attaque inédite contre les intérêts financiers des magistrats. Mais tous les magistrats ne furent pas frappés de la même manière, attisant de nouveau le factionnalisme. Une agitation face à laquelle le gouvernement Richelieu répondit par des méthodes autoritaires et des techniques visant à diviser les magistrats. Ces méthodes – résumées par le cardinal de Retz avec la formule « abaisser les corps sans oublier de ménager les particuliers » – ne firent qu’augmenter le ressentiment dans les compagnies en divisant gagnants et perdants de la politique gouvernementale, favorisant d’autant le factionnalisme. Les opinions politiques sur la nature du régime furent un autre facteur de mobilisation pour les factions parlementaires. La reconstitution des luttes factionnelles explique ainsi avec finesse les dynamiques politiques locales.
Le gouvernement de Richelieu légua de cette manière à la régence une situation extrêmement conflictuelle dans les parlements méridionaux. Mais, si les objectifs fiscaux et militaires et les méthodes autoritaires furent maintenus, le régime ne jouissait plus de la même stabilité, du moins du même équilibre, que les dernières années du règne de Louis XIII. Dès les premiers mois de la régence, une opposition se fortifia dans les trois compagnies contre le maintien des pratiques inaugurées par le premier cardinal-ministre. Or la structure polycratique du régime empêcha toute répression efficace de ces mouvements. L’immixtion du triumvirat de la régence – Condé, Mazarin, Orléans – dans les affaires parlementaires, en donnant accès à des canaux puissants et concurrents de protection aux factions, empêcha toute reprise en main efficace. Cette situation favorisa ainsi la fabrique d’une contestation dans chacun des parlements méridionaux, distincte en fonction des enjeux locaux, mais partageant un même mécontentement face au régime. La division qui régnait au sommet de l’État entre 1643 et 1647 favorisa alors le factionnalisme dans les parlements méridionaux.
La crise politique qui s’ouvrit à Paris en 1648 eut des échos retentissants dans les provinces méridionales, du fait de ces situations politiques déjà particulièrement déstabilisées. La dynamique des troubles provinciaux épousa alors les logiques factionnelles et contestataires qui y étaient à l’œuvre localement. Des factions minoritaires, mais très remuantes, et favorables à la protestation mobilisèrent ainsi leurs compagnies. Les troubles s’inscrivaient donc dans des dynamiques propres à chaque compagnie, conférant un caractère unique à chacune des frondes parlementaires. Cependant, celles-ci se transformèrent en guerres civiles provinciales en 1649 en Guyenne et Provence du fait de la punition militaire orchestrée par les gouverneurs de ces provinces, suivant ainsi le modèle gouvernemental. Toulouse se distingua moins par une commune agitation contestataire que par une absence de sanction militaire. La répression favorisa la diffusion des troubles et la guerre civile imposa sa logique, sans se substituer à celle des factions. À des frondes parlementaires multiples se substituèrent des guerres civiles provinciales multiples. La dynamique des troubles trouve alors son explication dans le croisement entre les logiques factionnelles locales et les luttes de pouvoir au sommet de l’État. La supposée irrationalité de la Fronde trouve son éclaircissement dans ces configurations politiques complexes. La Fronde princière modifia considérablement la géographie des troubles ainsi que leurs dynamiques factionnelles. Ceci s’explique par la stratégie adoptée par le parti condéen d’exploiter les conflictualités locales. Bordeaux et son Parlement acquirent ainsi une nouvelle centralité, tandis que Toulouse et Aix furent politiquement plus périphériques, mais non moins des enjeux de pouvoir. Entre 1650 et 1654, les factions se recomposèrent au gré des stratégies condéennes, mazarinistes et orléanistes et des évolutions des situations politiques locales et curiales. Cependant, elles restèrent au centre du jeu politique, ne pouvant être jamais complètement sous contrôle d’aucun parti. Durant la longue période de la Fronde, la politique des factions fut donc un des éléments moteurs des troubles. Plusieurs éléments dictèrent leurs configurations : les luttes de pouvoir et les divisions entre magistrats pour la domination locale, l’action des gouverneurs militaires des provinces, l’attitude du triumvirat Condé, Mazarin et Orléans et l’opinion politique des magistrats vis-à-vis du régime.
En temps de paix comme de guerre civile, la structure en factions des parlements est donc un élément clé de la compréhension de la vie politique provinciale. Seule leur contextualisation fine – au travers d’une « histoire-cabales » – permet de comprendre prises de position et action des compagnies et en leur sein. Factions et factionnalisme étaient au cœur de la vie politique parlementaire et l’un des principaux problèmes posés au gouvernement d’Ancien Régime.


 

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