Mai 4- Fenghua Jin - Université Bordeaux Montaigne

La pensée religieuse de Maurice Barrès

 

Doctorante : FENGHUA JIN

Date : 04 mai 2016
Université de Wuhan- Chine

 

RÉSUMÉ

Maurice Barrès, en tant qu’un des plus grands maîtres à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle de la France, exerce une grande influence dans la société française. Souvent réduit aujourd’hui par la critique au nationalisme, Barrès est cependant plus riche que ce que l’histoire en a retenu, puisque sa pensée peut elle-même se décrire comme une trilogie, individualisme, nationalisme, catholicisme. À l’âge de 27 ans, il a connu un grand succès littéraire grâce à la publication de sa première trilogie Le Culte du moi. À cette époque, il aborde essentiellement la formation de l’individu. Plus tard, au fur et à mesure de son engagement dans la politique, son « Moi » trouve une voie dans la collectivité et se développe jusqu’au nationalisme. Ainsi, il passe de l’individualisme au nationalisme. Ensuite, la mort de son père en 1898 et puis de sa mère en 1902, mais aussi la rencontre avec des amis religieux tels que l’abbé Bremond et la promulgation des Lois de Séparation en 1905, bouleversent profondément sa spiritualité et le poussent à repenser son rapport au catholicisme. Et son attention se tourne vers le ciel, le destin ultime de l’humanité et les mystères de l’univers.

Ainsi, nous pourrions dire que l’univers de Barrès n’est pas limité par son engagement politique, chacun voit son propre Barrès à travers son œuvre, soit un individualiste sceptique, soit un nationaliste fervent, soit un patriote ambitieux, soit un défenseur de la religion. Beaucoup d’études sur l’œuvre de Maurice Barrès ont déjà été publiées : soit des souvenirs sur le grand maître, soit des biographies, soit une partie de sa pensée, soit l’étude de certains thèmes, ou encore son style, certaines de ses œuvres, ou des études d’ensemble. Parmi celles-ci même si quelques-unes – peu nombreuses – concernent le catholicisme de Maurice Barrès, elles sont plutôt anciennes. Toutefois, la religion occupe une place importante chez cet écrivain. Né dans une famille catholique, il conserve ses racines religieuses et dans son œuvre, la présence de la religion est partout. Nous pourrions même affirmer que l’œuvre de Maurice Barrès est un exercice spirituel pour connaître la vérité : ses œuvres sont comme des expériences qui vont au bout du compte l’amener vers Dieu. Après l’individualisme, après le nationalisme, l’écrivain trouve la voie de son salut dans le catholicisme. Ainsi, la présente étude tente d’éclaircir la pensée religieuse de Maurice Barrès.

Il y a principalement trois parties dans cette étude. La première concerne la pensée religieuse de Maurice Barrès, y compris sa conception, son évolution et ses caractéristiques. Dans son œuvre, Barrès développe sa conception religieuse, tout en discutant du rôle de la religion et des relations entre science et religion, entre individualisme et religion, entre héroïsme et religion. Son esprit religieux change selon ses expériences personnelles et le contexte social, qui est principalement divisé en quatre périodes différentes. Depuis la publication de son premier roman Sous l’œil des barbares en 1888, son sentiment religieux est intégré dans le développement du Moi qui s’incarne dans la première trilogie du Culte du moi. La deuxième période commence en 1906 en raison des Lois de Séparation des Églises et de l’État de 1905 : l’œuvre majeure de cette période est La Grande Pitié des églises de France. La troisième période de sa pensée religieuse se développe pendant la première Guerre mondiale, ce qui est bien présentée dans Les Diverses Familles spirituelles de la France. La dernière période réside dans ses dernières années après la première Guerre mondiale et les œuvres qui synthétisent ses réfexions sont Un jardin sur l’Oronte et Une enquête aux pays du Levant. Ainsi, nous voyons que l’âme religieuse de Maurice Barrès s’affirme de plus en plus au fil du temps. On dégagera trois aspects de la pensée religieuse de Barrès : le mélange de christianisme et de patriotisme, l’attachement à l’âme et l’union du christianisme avec les forces primitives. Chez Barrès, sentiment religieux et sentiment patriotique sont liés, et sa propre parole explique parfaitement son point de vue : « Notre patrie, notre église, c’est notre tout. » (Cahiers, t. XVII, p. 353.) Il s’attache aussi à la force morale et accentue l’importance de l’âme. De plus, l’union du christianisme et des forces primitives s’incarne également dans son œuvre, comme par exemple, le dialogue entre la prairie et la chapelle dans La Colline inspirée, ou l’intention de sauvegarder tous les dieux dans La Grande Pitié des églises en France, ou encore la recherche des cultes indigènes et des visites aux écoles chrétiennes lors de son voyage en Orient dans Une enquête aux pays du Levant. Cependant, même si Barrès essaie de comprendre les diverses formes de divin, il garde toujours une place particulière au catholicisme : il est « enfin un esprit chrétien » (Une enquête aux pays du Levant, p. 126.)

    La deuxième partie de la thèse se concentre sur la présence du catholicisme dans l’œuvre de Maurice Barrès, qui est développé en deux parties : les panthéons des Saints et l’univers barrésien. Dans son œuvre, l’auteur décrit l’image de divers Saints, tels que Jeanne d’Arc, Sainte Bernadette, la Sibylle d’Auxerre, François d’Assise. Jeanne d’Arc, aux yeux de Barrès, est une figure symbolique de la France. La sainte occupe une place tellement importante dans son esprit qu’il lui rend hommage à de nombreuses reprises et de différentes manières, soit par son envie d’écrire un livre sur la sainte, soit par la méditation sur les deux procès de Jeanne, soit par la visite au pays natal de l’héroïne, soit par ses efforts pour promouvoir la fête nationale de Jeanne d’Arc, qu’il réussit à instituer par la loi du 10 juillet 1920, pour le deuxième dimanche de mai, anniversaire de la délivrance d’Orléans. Parallèlement à cela, le deuxième chapitre se consacre à la description de l’univers barrésien par excellence : la terre, la mort, les édifices religieux et le mystère de l’univers. Barrès s’attache à son pays lorrain tout en appréciant l’éternité du désert, la divinité de sa colline de Sion-Vaudémont et le talent des génies d’origine lorraine, tels que Victor Hugo, Frédéric Chopin et Claude Gellée. Quant à la mort, un terme récurrent dans l’œuvre de Barrès, elle fonde même la vision du monde de l’auteur : c’est à partir des morts que Barrès se situe, et qu’il comprend la terre, la tradition, la nation, etc. L’auteur et même les héros de ses romans fréquentent les cimetières où se reposent les ancêtres, parce qu’ils voudraient y trouver un appui spirituel. Les édifices religieux constituent aussi un élément important dans l’univers barrésien. Selon Barrès, les églises s’inscrivent dans le paysage français comme les rivières ou les chants d’oiseaux, mais elles possèdent aussi la puissance d’évangélisation qu’admire Barrès. Dans son univers, il y a aussi l’image des surnaturels. Barrès, surtout dans les dernières années de sa vie, s’intéresse à tous les mystères et médite sur le lien entre les mondes visible et invisible. Selon lui, les deux mondes ne sont pas totalement séparés, ce sont les anges, créatures lumineuses et supérieures, qui apportent les messages et la grâce de Dieu au monde terrestre.

    Dans la dernière partie, nous abordons les influences que Barrès a subies. Celui-ci se présente en effet comme admirateur de Loyola, fidèle de Pascal et disciple indépendant de Renan. Dans l’œuvre de Barrès, surtout dans ses premières œuvres, le nom d’Ignace de Loyola surgit de temps en temps. Les héros d’Un homme libre et Du sang, de la volupté et de la mort pratiquent les Exercices spirituels du Saint, et les jeunes Lorrains dans Les Déracinés essaient de trouver quelque inspiration en Ignace de Loyola. Par ailleurs, l’influence de Pascal sur Barrès est tellement profonde que ce dernier fait son éloge partout dans son œuvre. Aux yeux de Barrès, Pascal représente la pensée de la France, comme Shakespeare l’Angleterre, Gœthe l’Allemagne et Dante l’Italie. Et Barrès a sa propre manière de rendre hommage à son maître : faire le pèlerinage en Auvergne, réfléchir sur l’œuvre de Pascal, lire des livres préférés de Pascal, lire des œuvres sur Pascal, entretenir des discussions sur Pascal avec des contemporains... Quant à Renan, Barrès se qualifie disciple indépendant du maître. D’un côté, il admet l’influence de son maître sur lui, de l’autre côté, il conserve le droit de lui faire des objections. En outre, la pensée religieuse de Barrès est également influencée par d’autres écrivains, tels que Dante, Hugo, Lamartine, Baudelaire, Henri Bremond et Stanislas de Guaita.

Bref, la pensée religieuse occupe une grande place dans l’œuvre de Barrès, et cet aspect ne doit pas être négligé si l’on veut comprendre le grand écrivain. C’est un sujet riche et intéressant, qui mérite d’être exploité et étudié. De plus, sa pensée est tellement particulière que Barrès, lui-même, s’interroge dans un cahier : « Suis-je croyant ? Suis-je athée ? » (Cahiers, t. XV, p. 33.) Alors, cette étude présente tente d’éclaircir la pensée religieuse du grand maître dans une période historique spécifique de la France. Et cette période si riche sur le plan des événements intellectuels permet aussi de comprendre mieux la France contemporaine, qui se saisit aujourd’hui à nouveau de mots comme « terre », « racine », « identité », etc.

 

Mots-clés : pensée religieuse, force primitive, panthéon des Saints, idée de la mort, mystère de l’univers, catholicisme, patriotisme, église, influence. 

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