Mai 12- Alain Villaret - Université Bordeaux Montaigne

Les dieux augustes dans l'Occident romain. Un phénomène d'acculturation

Doctorant: Alain Villaret

 

Date: 12 mai 2016 à 14h30
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de l'archéologie- Salle Pierre Paris
Esplanade des Antilles
33600 Pessac

 

Résumé:


Les dieux augustes, avec 2722 occurrences épigraphiques, constituent une
expression religieuse importante du « culte impérial » romain en Occident.
L’ « augustalisation » consiste à attribuer aux dieux une épithète tirée d’un titre impérial essentiel, celui d’ « Auguste ». L’augustalisation, dans laquelle s’exprime selon nous la médiation de l’empereur entre les dieux et les hommes, témoigne d’une triple acculturation
politique, religieuse et sociale à travers laquelle se produit une intégration volontariste des Occidentaux à l’Empire. L’épigraphie représente notre principale source pour cerner ce phénomène.
La dimension politique de l’augustalisation n’est pas aisée à déterminer.
Nombreuses sont les hypothèses émises à ce sujet. Le titre d’Augustus ne serait qu’un synonyme de sanctus, sans rapport avec l’empereur ou marquerait seulement le caractère majestueux du dieu à l’imitation du Prince. En réalité, le plus souvent, l’épithète indique un rapport étroit avec le souverain. Dans ce cas l’empereur serait-il l’incarnation des dieux puisque nombre d’images théomorphes, associées à l’augustalisation suggèrent
l’identification iconographique du prince aux dieux? Les dieux augustes seraient-ils des Lares de la famille impériale, des protecteurs particuliers de la dynastie au pouvoir, comme le suggèrent des formules d’accompagnement telle « pro salute imperatoris » ? Faut-il ne voir en eux qu’une expression banale, machinale d’hommage, de loyalisme ? Plusieurs obstacles nous empêchent d’adhérer à ces explications. Nous préférons voir dans l’augustalisation une synergie entre l’empereur et les dieux, la reconnaissance d’une médiation du prince entre les
dieux et les hommes, le prince étant à l’interface des deux mondes. Certes nous n’apporterons pas une preuve formelle de cette thèse car l’épigraphie, avec ses formulations brèves et
stéréotypées, est souvent avare de renseignements à ce sujet mais divers indices convergent fortement vers cette conception.
Il apparaît que l’augustalisation associe clairement les dieux – eux-mêmes seuls
destinataires du don – et l’empereur. Des textes, des données archéologiques le confirment : l’imago imperatoris, représentation du Numen Augusti et substitut du prince absent, est honorée en compagnie des dieux augustes et c’est donc la puissance divine du prince et celle des dieux qui agissent de concert, entrant en synergie. Dans cette association l’exclusivité de
l’emploi de l’épithète Augustus/a, qui met l’accent sur la fonction impériale plutôt que sur l’individu qui la détient, nous amène à voir dans ce titre une clé pour comprendre l’augustalisation. Augustus renvoie à Romulus, fondateur de Rome, et aux auspices souverains, ceux du premier roi comme de tous les porteurs de l’imperium. Une inscription de Lepcis Magna rapporte une victoire à Mars Auguste lié dans le texte aux auspices d’Auguste.
Or ces auspices expriment l’assentiment de Jupiter et l’accroissement de pouvoir pour celui qui reçoit le nom d’Augustus, signe de son auctoritas supérieure, en qui l’on peut voir l’agent, le médiateur des dieux auprès des hommes.
La portée religieuse de l’augustalisation balance entre une foi réelle dans les effets de la médiation impériale, une simple affirmation de loyalisme et un emploi routinier du terme
sans grande signification. Néanmoins l’expression d’un message idéologique est maintes fois attestée. Cette expression est propre à l’Occident, avec une présence forte en Afrique, modérée ou même faible dans les provinces européennes, et une plus grande intensité dans les
régions les plus romanisées. L’Orient, qui ne l’ignore pas, se tourne vers d’autres formes d’association de l’empereur aux dieux héritées des monarchies hellénistiques. La différence
d’approche est qu’en Occident c’est la sacralité de la fonction qui est reconnue alors qu’en Orient c’est la personne du prince qui reçoit des isotheoï timaï. L’augustalisation apparue à
Rome sous Auguste se diffuse aussitôt dans toutes les provinces occidentales jusqu’au début du IVè siècle avec un maximum d’intensité entre les Flaviens et les Sévères à une époque
d’essor des promotions juridiques des cités et de forte urbanisation. Le déclin est sensible dès le milieu du IIIè siècle, en raison des mutations de la cité et avant même le triomphe du
christianisme.
L’augustalisation est donc un concept bien romain et ceux qui y adhèrent font preuve d’acculturation politique, en acceptant le système impérial et la nature de son pouvoir.
Les dieux choisis pour recevoir le titre impérial sont d’une extrême diversité.
Parmi les divinités romaines et orientales, introduites par Rome dans les provinces
occidentales, on rencontre certes les dieux proches du pouvoir. Plus que la triade capitoline et
en particulier Jupiter, dieu de la souveraineté, si proche du prince qu’il est inutile de le qualifier d’Auguste, ce sont les dieux dynastiques, les vertus augustes qui rencontrent une
certaine audience. Pourtant nombre de divinités retenues ne sont pas celles de l’Etat romain
ou de la dynastie régnante. Il s’agit plutôt de dieux dont la protection s’exerce localement et individuellement : divinités poliades, dieux de la nature, de l’agriculture, des échanges, divinité salutaires. Certes ces dieux n’ont pas de rapport direct avec la souveraineté mais c’est
grâce à la médiation de l’empereur et à son pouvoir terrestre que les bienfaits divins –
protection, prospértité – de réalisent dans l’empire.
Si les dieux à noms latins sont majoritaires, une part d’entre eux est le résultat d’une
interpretatio romana qui conserve la trace de fortes racines locales. L’intégration à l’Empire a entrainé une réinterprétation des dieux traditionnels, les dii patrii, qui contribue à forger des
identités romano-provinciales multiples : le Mercure ou le Mars Gaulois, le Silvain dalmate, le Saturne africain ne sont pas exactement les Mercure, Mars, Silvain et Saturne romains.
Dieux interprétés et dieux purement indigènes sont des divinités à forte identité locale ; ils représentent une part non négligeable des dieux augustes (autour de 50 %) car ils étaient proches des préoccupations des Provinciaux. Cette diversité montre la souplesse du titre
Auguste capable de s’appliquer à des dieux aux identités si différentes et de jouer un rôle important dans l’intégration à l’Empire des cités, ces multiples communautés autonomes qui
se sentaient à la fois romaines et locales.
Les dieux augustes participent ainsi à l’acculturation religieuse de l’Occident romain.
L’augustalisation est le propre des villes romaines ou romanisées. Elle
s’épanouit dans les cités de statut romain ou latin, beaucoup moins dans les cités pérégrines sauf en Afrique où celles-ci sont néanmoins très romanisées. L’onomastique des fidèles confirme cette implantation dans des milieux très acculturés: romaine pour les dévôts  d’origine italienne dont l’influence sur le reste de la population est certaine, romaine et mixte pour les dévôts d’origine indigène qui sont les plus nombreux et qui tiennent à garder des traces de leurs racines tout en s’affirmant romains.
Hauts fonctionnaires civils et militaires ne sont pas les plus nombreux à recourir à
l’augustalisation malgré leur proximité du pouvoir. En revanche les cités et leurs élites, peutêtre conseillées par les gouverneurs, y ont largement adhéré : communautés civiques – surtout en Afrique – et avant tout prêtres, magistrats et autres notables multiplient les dons
évergétiques plus ou moins somptueux, édifices, statues, aux dieux augustes (41 % des dédicants). Autoreprésentation personnelle ou gentilice, manifestation de civisme, affichage d’un message idéologique, affirmation de loyalisme sont au rendez-vous afin de créer un consensus autour de la médiation impériale. La légitimité des élites ne pouvait qu’être renforcée par cette affirmation de loyalisme, par cette fonction de relais du prince auprès du peuple. Ce sont en effet ces élites qui diffusent largement les dieux augustes dans l’espace
rural où elles ont des propriétés et dans les couches moyennes et inférieures urbaines auxquelles elles sont reliées par leurs réseaux de clientèle et leurs intérêts. Dans les catégories moyennes, si l’on excepte les militaires plus en retrait, les plus dynamiques, les augustales et
les riches affranchis sont promts à imiter les notables et jouent certainement les intermédiaires en direction de la plèbe, peut-être par le biais des collèges. Ainsi les dieux augustes ont-ils gagné toute la société dans des proportions diverses.
Si on les rencontre dans les grands sanctuaires publics du territoire ou dans les petits lieux de culte privés des fundi, malgré tout ils n’ont pas trouvé dans l’espace rural une aire privilégiée d’implantation. En revanche ils ont envahi tout l’espace urbain, surtout celui des capitales provinciales et des chefs-lieux de cités. Le centre civique et les autres loci celeberrimi, lieux d’affichage du pouvoir de l’Etat et des élites les ont particulièrement attirés.
Mais l’augustalisation s’est diffusée aussi dans les quartiers, leurs temples, leurs édifices de
loisir, parfois dans les demeures privées, dans le suburbium et même, avec moins de succès, dans les camps militaires. L’espace urbain est en effet le lieu idéal d’expression du consensus autour des empereurs agents des dieux. Une véritable scénographie des espaces et des
monuments, des fêtes comprenant des processions et des banquets publics magnifient cette sacralisation du pouvoir à laquelle adhère toute la communauté civique.
L’acculturation de toute une société provinciale est donc perceptible dans le culte des dieux augustes.
Idéologie de la médiation impériale, identités diverses des dieux, identités multiples des dévôts, telles sont les trois facettes politique, religieuse, sociale d’un même phénomène d’acculturation révélé par le culte des dieux augustes. Fondée sur des principes romains, mais adaptable à toutes les identités, l’augustalisation, forme de sacralisation et de légitimation du pouvoir, a certainement contribué à intégrer les cités provinciales avec leurs particularités à
l’empire universel de Rome.

 

 

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