Mai 28 - JM Cazauran - Université Bordeaux Montaigne

Trajectoires des acteurs et des structures dans l'organisation d'un système de santé en Dordogne de 1803 à 1939

Doctorant: Jean-Marie CAZAURAN

 

Date et lieu: Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine - salle J. Borde - Esplanade des Antilles - Pessac 
14h30

Résumé: 


Partant de la constatation que nous partageons avec Olivier Faure, « maladie et santé deviennent des composantes essentielles de l’existence et de la vie sociale », nous avons essayé d’analyser le passage, souvent dénommé médicalisation, d’un système de santé dit d’Ancien Régime à un système actuel. Ce dernier est né de la rencontre des demandes en santé et bien-être de populations de plus en plus larges et des offres de soins d’intervenants se professionnalisant. Les progrès médicaux n’ont qu’une part infime dans le processus et l’idée de dirigisme n’a été que partiellement retenue. L’échelle d’étude se limite à un cadre départemental, la Dordogne, un département rural, isolé et considéré comme arriéré. La date de 1803, établissement des monopoles pour les médecins et pharmaciens, n’est que symbolique et la date de 1939 marque la fin de la « préhistoire » de l’organisation du système de santé actuel. Dans une première partie nous avons suivi la mise en place au XIXe siècle du système en n’oubliant pas ce qu’il devait aux idées et réalisations du siècle précédent. En deuxième partie, au XXe siècle, nous avons un système oscillant entre le libéralisme de la majorité des acteurs et le dirigisme étatique cherchant à assurer une prise en charge de la majorité de la population. La troisième partie analyse les moyens financiers mis en œuvre pour accompagner le nouveau système, de la charité privée et son corolaire l’assistance publique à la prévoyance sous forme des Sociétés de Secours Mutuels et à la solidarité incarnée par les Assurances Sociales.

L’organisation du corps médical se fait autour des diplômés, les docteurs en médecine, des trois facultés issues de la période révolutionnaire, mais il a fallu intégrer les praticiens d’Ancien Régime » et les intervenants médicaux de la période révolutionnaire. Le corps des officiers de santé regroupe ces derniers et des diplômés d’abord par des jurys locaux puis par les écoles préparatoires de médecine. Tout cela aboutit à une pléthore médicale dans la première moitié du siècle. Ensuite la Dordogne est plutôt sous médicalisée sauf les deux villes principales, Périgueux et Bergerac. Les docteurs en médecine défendent leur monopole contre les charlatans, les médecins forains ne payant pas la patente, les médecins cantonaux et les officiers de santé moins bien formés et dévalorisant la profession. Pour acquérir le pouvoir qui est le leur à la fin du siècle les médecins se sont impliqués dans la gestion des épidémies, dans l’hygiène publique et privée et dans la vie de la société, de la politique à la réponse à tous les problèmes sociétaux.
Les pharmaciens dont le nombre croit fortement durant le XIXe siècle, passent de la vente de médicaments simples qu’ils fabriquent dans leurs officines à la vente de produits issus de l’industrie pharmaceutique. Le caractère marchand du métier de pharmacien est accentué par la vente en officine de produits divers en rapport avec la santé et le bien-être le plus souvent. Les sages-femmes qui quadrillent le département et assurent une obstétrique de meilleure qualité et les sœurs congréganistes qui tiennent les hôpitaux et diverses structures de prise en charge peuvent être présentées comme des concurrentes des médecins ou des auxiliaires.
Il est difficile de connaitre les désirs des demandeurs de santé mais à travers la diversification de leurs professions, l’étendue des pathologies de recours aux soins et l’augmentation de la fréquentation des hôpitaux nous pouvons en avoir une première idée.
Pour les indigents, nous avons les bureaux de bienfaisance permettant le maintien à domicile et des structures comme le dépôt de mendicité et surtout les hôpitaux-hospices. Au XIXe siècle sont créées des structures, le plus souvent petites, par des dons soit à la commune soit à des congrégations. Les reconstructions hospitalières intéressent Eymet et Ribérac et surtout Bergerac à la fin du siècle qui représente le modèle pour le début du XXe siècle. Les autres établissements évoluent sur place, certains semblent sans avenir, d’autres s’orientent vers l’accueil de type hospices et d’autres envisagent une évolution vers l’accueil des malades médicaux, essentiellement dans les sous-préfectures et à Périgueux qui rêve d’un hôpital neuf digne d’une préfecture.

Au XXe siècle, les acteurs du système de santé sont en place. Les docteurs en médecine ne sont pas très nombreux et s’inscrivent dans un système libéral défendu par des syndicats. Le corps médical perd son homogénéité avec l’apparition des spécialistes et au premier rang les chirurgiens mais aussi avec l’embauche de médecins fonctionnaires pour la médecine communautaire. Les pharmaciens tout en confirmant leur rôle de marchand se veulent des experts du médicament et des auxiliaires médicaux. Les dentistes apparaissent progressivement, les sages-femmes, moins nombreuses assurent les accouchements à domicile et les sœurs congréganistes dans les structures d’hospitalisation partagent les taches avec des infirmières civiles.
Parmi les structures d’accueil certaines disparaissent ou presque avant 1939. La distinction entre hôpital et hospice est bien actée et nombre de structures s’orientent vers l’accueil des vieillards et des invalides alors que d’autres, sans renier l’accueil gérontologique, essaient de s’orienter vers la médecine et parfois la chirurgie (mouvement des hôpitaux cantonaux). Avec des succès divers, les hôpitaux des sous-préfectures et de la préfecture s’orientent vers un accueil médico-obstétrico-chirurgical. Dans le domaine public, les créations sont essentiellement représentées par un grand hospice, l’Asile Jay de Beaufort à Périgueux, et un asile d’aliénés à Vauclaire. Dans le domaine privé, l’ouverture de cliniques chirurgicales privées à Périgueux et à Bergerac est l’innovation essentielle du début du XXe siècle.
Avec la loi de santé publique de 1902, l’organisation de l’hygiène devient départementale, dispensaires d’arrondissement, services préfectoraux d’hygiène publique, bureau d’hygiène municipal à Périgueux. La lutte contre les fléaux sociaux relève aussi d’une organisation descendante qui accentue la séparation entre le curatif pour les médecins libéraux et le préventif géré par l’administration et des médecins fonctionnaires.
La pression de populations demandant un accès aux soins, associée aux désirs de l’Etat d’assurer la paix sociale et aux préoccupations natalistes et de dégénérescence de la race amènent à la promulgation de lois, à l’harmonisation des actions sociales publiques et privées et à la constatation de l’inadaptation des bureaux de bienfaisance.
En 1939, le système est en place avec, d’un côté, des acteurs, pour la majorité d’entre eux, défendant le principe libéral et d’un autre côté des autorités organisant l’hygiène et assurant l’accès aux soins de catégories de populations de plus en plus nombreuses. La médecine d’individuelle et libérale est devenue contractuelle.

Si l’accès aux soins de santé est une nécessité pour la majorité des individus le problème du financement ne manque pas de se poser. La charité, aussi bien la charité individuelle que la charité organisée, vient en aide à l’indigents mais aussi finance des structures d’accueil et des actions médico-sociales. L’assistance publique par les lois de la fin du XIXe siècle répond aux mêmes besoins et peut-être après des velléités de remplacer la charité trop confessionnelle, elle envisage une collaboration devant l’ampleur des besoins.

A côté de l’assistance publique et privée il est possible d’envisager un système assurantiel. L’assurance volontaire correspond à la prévoyance et dans le domaine de la santé et de la correction des aléas de la vie nous mettrons les Sociétés de Secours Mutuels ; Elles apparaissent au milieu du XIXe siècle en Dordogne d’abord au niveau communal puis nous avons des sociétés de métiers, des sociétés patronales ou d’entreprises puis des sociétés d’appartenance et des sociétés maternelles sans oublier les sociétés scolaires. L’apogée de la Mutualité se situe en Dordogne avant 1914. Après la Première Guerre avec les projets d’Assurance Sociale la Mutualité en Dordogne se regroupe et se prépare à la fonction de Caisse Primaire.
L’autre versant de l’assurance est l’assurance obligatoire qui permet d’intéresser la masse des salariés dans les années qui suivent la Première Guerre. Les lois d’Assurance Sociale sont votées en 1928 et 1930, les directives d’application sont descendantes et l’organisation échappe en grande partie aux autorités locales. L’opposition aux Assurances Sociales est particulièrement virulente, la mise en place est laborieuse mais les jalons sont plantés pour le développement de la Sécurité Sociale après la Seconde Guerre.

Les trois modes de financement, charité-assistance publique, prévoyance mutualiste et Assurance Sociale se sont opposés mais aucun n’a disparu, ils se sont adaptés et ont appris à coopérer pour créer le système de santé français et assurer la souplesse de l’ensemble.

 

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