Avril 03- CLEBERT AGENOR NJIMENI NJIOTANG - Université Bordeaux Montaigne

Le discours de Paul BIYA à l'ère du multipartisme au Cameroun : mises en scène argumentatives et relation au pouvoir

Doctorant: M. CLEBERT AGENOR NJIMENI NJIOTANG

 

Date et lieu: le 03 avril 2018 à 14h
MSHA- salle Jean Borde
Université Bordeaux Montaigne
Esplanade des Antilles
33607 Pessac cedex

 

Résumé: 


La parole politique est l'instrument principal d’exercice du pouvoir au Cameroun, dirigé par Paul Biya depuis trente-cinq ans. Confrontée aux postures du sujet politique, cette parole trahit à l’arrière-plan discursif, les pensées profondes de l’homme politique. Apporter un éclairage sur cette situation particulière est la tâche principale que nous nous sommes assigné dans cette thèse de Doctorat qui s'intéresse à la relation entre le pouvoir et la mise en scène argumentative dans le discours de Paul Biya à l'ère du multipartisme au Cameroun (1990 – 2015). Nous analysons donc les outils linguistiques et les formes rhétoriques que met en œuvre Paul Biya pour conférer à son discours le pouvoir d’influencer les citoyens camerounais. Notre travail consiste aussi à établir un lien entre le contexte social de production et de réception en vue de statuer sur la manière dont le cadre extralinguistique contraint les caractéristiques formelles du discours de Paul Biya.
Ainsi, le cadre principal de notre analyse se focalise sur un ensemble d’objectifs majeurs dont ceux qui portent essentiellement sur : la compréhension du mode de fonctionnement de l’art oratoire chez Paul Biya dans un contexte de compétition électorale et en situation d’exercice du pouvoir. La détermination de ce but principal nous a amené à en expliquer les implications sur les événements saillants de la vie sociopolitique Camerounaise, en vue de saisir les réalités, les représentations et appréhension du pouvoir en contexte camerounais que peut révéler l'analyse des habitudes oratoires de Paul Biya. Partant de toutes ces considérations, l’un des aspects de ce travail de recherche vise aussi à sonder les secrets de la longévité du Président camerounais, voire de sa "fossilisation" à la tête du pouvoir.
Ce travail permet d'observer que dans sa communication, Paul Biya recourt à la fois aux stratégies affectives et logiques de la rhétorique argumentative.
Un élément capital de la mise en scène argumentative chez Paul Biya est la sémiotisation de l'affectivité qui a pour effet de renforcer l'adhésion et la soumission de l'auditoire au pouvoir en vue de l’engager dans l’action. Nous constatons qu'en combinant différents modes d’activation des émotions, cette sémiotisation de l'affect participe également de la sacralisation du pouvoir. Cette sacralisation du pouvoir repose avant tout sur le caractère liturgique des situations de communication des discours de compétition, sur la religiosité marquée des différents niveaux de la disposition des discours, enfin sur les multiples sacro-saints cérémonials de mystification de la personne du Président de la République évoqués dans ces discours. Ces rituels mis en œuvre par les autorités traditionnelles des différentes régions du Cameroun, visent aussi à intensifier le caractère sacré du rapport des Camerounais au pouvoir et à la personne qui l'incarne, Paul Biya qui, après trente-cinq ans de pouvoir, demeure pour beaucoup de ses compatriotes, une véritable attraction, un mythe diront d’aucuns.
Nous remarquons que l'auditoire est une pièce maîtresse de la mise en scène argumentative de Paul Biya. Chez cet orateur, nous avons discriminé l'auditoire militant RDPC, l'auditoire local et l'auditoire national. Il s'agit d'une construction de l’auditoire qui passe par son éloge reposant principalement sur une forte caractérisation méliorative. On a ainsi noté une interaction entre l'ethnicité et la politique au Cameroun qui révèle un pouvoir davantage fondé sur un système de rente que sur les performances des individus dont l'ascension au sein de l'élite administrative est principalement tributaire de l'origine tribale voire régionale.
Nous montrons également que Paul Biya via le phénomène de l’illusion énonciative manipule l’auditoire, en lui donnant l'impression de participer au pouvoir, engage la responsabilité de cet énonciateur source en procédant par une auto-désignation institutionnelle et pronominale. Paul Biya, comme l'a révélé le carré du dédoublement scénographique que nous avons conçu, entremêle volontairement et subrepticement ses deux identités partisane et républicaine. On peut y ajouter un passage de la sphère de la locution à celle de la délocution qui est très récurrent dans son discours. Tout ceci crée un brouillage, voire une collusion entre le parti RDPC et l'État dont l’une des principales conséquences est l’extrême politisation de l’administration camerounaise caractéristique du système de rente.
Décrivant les ethè que Paul Biya se forge, nous avons observé la construction discursive de son identité de sujet politique qui constitue le socle de son pouvoir. Nous avons noté aussi que le discours de l’homme politique travaille à créer, asseoir et renforcer des légitimités partisane, républicaine et même traditionnelle qui ne sont pas toujours déjà inscrites dans sa position institutionnelle.
L'analyse a ainsi révélé que l’implication de Paul Biya dans son discours revêt une incidence pragmatique : son capital symbolique de Chef d' État, s’accompagne d’une figure discursive d'abord de père cajolant, ensuite de père fouettard. Toutes ces figures exercent à coup sûr un impact sur les comportements des acteurs politico-administratifs au sujet de la corruption et du détournement des deniers publics. Ces travers ont toujours été fustigés par Paul Biya, mais pas avec la même vigueur, ni la même posture. Cette situation découle aussi d’une confusion entre le parti et l'État.
L’espace du discours étant ainsi le lieu d'un jeu de correspondance entre mécanismes langagiers et postures politiques, cette lecture de l'ethos nous permet également de cerner derrière le masque discursif, les changements d'attitudes politiques de Paul Biya qui trahissent sa pensée profonde au sujet de la démocratie en contexte camerounais. C'est, comme nous l'avons appelée, une démocratie pyramide à relent de conservatisme : unicité de la pluralité ; diversité d'opinions, mais toutes unies pour la Nation et par conséquent derrière la personne qui la symbolise, Paul Biya.
Sans doute faut-il faire remarquer qu’en scrutant l’univers dualiste que Paul Biya édifie dans son discours, le Bien est évidemment incarné par la politique du Renouveau qu'il présente comme la voie pour le salut du Cameroun au regard de ses réalisations et de ses projets.
À la suite de cet étiolement de l'opposition, nous avons remarqué que l'axe du Mal s'est progressivement déplacé. Si l'ennemi du régime revêt aujourd'hui de nouveaux visages via les médias, particulièrement les réseaux sociaux considérés comme un outil de déstabilisation, on constate à travers le discours de Paul Biya que ce Mal s’est davantage installé dans le camp même du pouvoir, au sein de l'appareil politico-administratif du régime dont certaines « créatures » s’illustrent par des comportements répréhensifs. En mettant à mal le progrès social, ils constituent une menace pour la paix sociale et donc pour le pouvoir lui-même. Notre analyse a révélé également que le procédé d'impersonnalisation du locuteur et de l'allocutaire, caractéristique prégnante des habitudes oratoires de Paul Biya, dilue fortement les responsabilités et tend à annihiler la portée perlocutoire de son discours.
Ceci est symptomatique, pensons-nous, d'un système sociopolitique où ce ne sont pas ceux qui ont une légitimité populaire qui participent toujours à la gestion des ressources ; d'un système qui n'est pas favorable à la capitalisation additionnelle de la légitimité populaire et la gestion des ressources du pouvoir : ceci devant être l'apanage de Paul Biya seul. Ce qui participe de lui assurer une aura nationale exclusive.
S'intéressant au rôle a priori subordonnant du logos dans le discours de Paul Biya, nous remarquons que différents procédés argumentatifs sont tous mobilisés dans un objectif : attester de l'efficacité de son pouvoir et justifier sa pérennité, tout en écartant l'idée d'une alternative crédible.
À partir du dictionnaire hiérarchique des hautes fréquences du logiciel d’analyse statistique Hyperbase, nous avons établi des isotopies thématiques et noté que les thèmes phares du discours de Paul Biya sont relatifs à la politique, la gouvernance, le développement, la paix et l'unité. De la dialogisation intérieure des discours, il transparait que « le libéralisme communautaire » est l'idéologie socle de son action avec pour principes de base : la liberté d'entreprendre, la fonction régulatrice d'un État démocratique, le devoir de solidarité.
Sur la base d’une méthodologie intégrative, cette analyse des discours de Paul Biya a souligné certaines des contradictions du pouvoir de Yaoundé. On peut citer, entre autres : la libéralisation de l'exercice de la liberté d'expression, mais avec une limitation extrême de la liberté de manifestation. Dans le même ordre, on observe aussi l’encouragement de l'intérêt porté par les Camerounais sur la question de l'avenir des institutions de leur pays, mais avec dans la même foulée une interdiction de rencontres sur la question de l'alternance au pouvoir. On remarque également que l’approbation de la dénonciation de la gabegie, est souvent suivie d’une disqualification des dénonciateurs. On constate en outre une condamnation de l'inertie qui va de paires avec une tiède application des mesures pour la combattre. Enfin, la condamnation de la confusion État-parti, s’accompagne d’un investissement des lieux républicains par des regroupements partisans. Ces contradictions, on l'a remarqué, escortent ce pouvoir dans sa quête de pérennité.

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