Mai 18- Claire d'Hennezel Nakache - Université Bordeaux Montaigne

Analyse communicationnelle des stratégies d'intelligence économique et des pratiques de veille dans le cadre de l'innovation. Le cas des petites entreprises de l'industrie aéronautiques, en Nouvelle Aquitaine

Doctorante: Claire d'Hennezel Nakache

 

Date: 15 mai 2017 à 14h
Université Bordeaux Montaigne
Lieu:Maison de la Recherche
Salle des thèses

 

 

Résumé:

L’intelligence économique (IE) et la veille sont des stratégies d’entreprise qui sont bien implantées dans les grandes entreprises et les grandes PME. Depuis le rapport Carayon en 2003, l’intelligence économique est devenue une politique publique.
Ces concepts ont intéressé assez tôt plusieurs disciplines scientifiques, ce qui leur confère un caractère interdisciplinaire. Ce sont des objets empiriques et hybrides car ils sont issus des pratiques des entreprises. Les principales disciplines à s’y être intéressées sont les sciences de l’information et de la communication (SIC) et les sciences de gestion, pour les principales, mais aussi les sciences économiques. Aujourd’hui, il semble que le cœur de la recherche sur ces concepts se situe en SIC.
Le sujet a fait l’objet de nombreuses études et recherches, surtout dans les grandes entreprises, notamment par les sciences de gestion car l’intelligence économique et la veille sont principalement des stratégies d’aide à la décision. Aujourd’hui, en SIC, ces objet sont étudiés notamment d’un point de vue informationnel, car l’information se situe au cœur des processus examinés.
Cette recherche s’inscrit dans le courant compréhensif. En effet, les théories constructivistes apportent un cadre d’analyse pour étudier le rôle, les intentions, les logiques de ces acteurs, finalement pour examiner le caractère actioniste et téléologique de l’IE. Ainsi plusieurs théories nous permettrons de centrer notre étude sur les acteurs et leurs rôles : l’analyse stratégique (l’analyse stratégique de l’acteur, pour se distinguer de l’analyse stratégique en sciences économiques ou sciences de gestion) en sociologie des organisations ; mais aussi la théorie de l’acteur de Michel Crozier et Erhard Friedberg qui étudie « le comportement des acteurs insérés dans un système de relations sociales » ; ou encore la théorie de la traduction de Michel Callon qui met en évidence le rôle de l’interaction entre les acteurs d’un projet comme source d’innovation. Nous nous intéresserons également à la théorie du « sensemaking » de Karl Weick qui a pour vocation de comprendre les logiques et intentions d’action des acteurs dans leur relation avec les autres acteurs d’une organisation. Le processus de création de sens est au cœur de l’intelligence économique. Son observation, dans le but de démontrer son caractère communicationnel, est une approche fortement constructiviste. Nous mettrons en évidence le fait que les stratégies de veille et d’IE, en tant qu’objet, n’existent et ne prennent sens que par rapport aux intentions des acteurs insérés dans un système global. Reprenant les propos d’Edgar Morin (1977), nous analyserons l’action des acteurs mettant en œuvre une démarche d’intelligence économique comme s’inscrivant dans un environnement. Nous montrerons que ces acteurs, en interaction avec des techniques (de veille) et des outils (TIC), se regroupent et agissent de concert pour atteindre un même objectif : l’innovation. Ainsi cette démarche d’interaction acquiert une identité propre du fait que l’association d’un certain nombre d’éléments fait naître un tout dont les propriétés inconnues au niveau des parties se manifestent au niveau du tout .
La réalité de l’IE est donc une co-construction d’actions voulues par des acteurs.

Il existe des problématiques récurrentes dans l’analyse de ces concepts assez jeunes, qui tournent d’une part, autour de la sémantique car des confusions subsistent au sujet des termes et de la sémantique, d’autre part autour des difficultés d’implémentation de ces stratégies dans les entreprises et enfin au sujet des obstacles à l’établissement de la politique publique française d’intelligence économique.
L’observation des pratiques d’intelligence économique et de veille dans les entreprises d’un point de vue stratégique, mais aussi du point de vue de la politique publique, livre un certain nombre de paradoxes. En effet, les petites entreprises et notamment les TPE ont été très peu étudiées par les diverses disciplines scientifiques qui s’y intéressent ce qui parait surprenant au regard de l’importance de ce type de structure dans l’économie nationale. Par ailleurs, les politiques publiques, assez bien perçues par les grandes entreprises et grandes PME, échouent à percer auprès des petites entreprises.
Cela nous amène à nous interroger sur les raisons des obstacles constatés au sujet de ces stratégies et politiques publiques auprès des petites entreprises.
Cette recherche propose une analyse de l’intelligence économique et de la veille dans les petites entreprises en secteur innovant sous un angle communicationnel. Elle viendra ainsi alimenter le trop faible nombre d’études sur les petites entreprises dans ce domaine et tenter de contribuer à un meilleur éclairage des problématiques. A travers une analyse communicationnelle des pratiques de veille et d’intelligence économique, ce travail s’efforcera de mettre en évidence des processus communicationnels que nous révèlerons et tenterons de caractériser. En effet, ces démarches sont constituées d’interactions, d’interrelations entre les acteurs impliqués dans un espace interorganisationnel d’innovation. Ces processus jouent un rôle fondamental dans la conception de leurs stratégies, dans le développement de structures organisationnelles adhocratiques fondées sur la communication, dans l’acquisition des savoirs et des connaissances nécessaires aux entreprises pour innover et finalement dans la diffusion de la politique publique d’IE au niveau de la nation. En effet, ces éléments communicationnels, bien qu’absents dans les multiples définitions de l’IE recensées, sont en réalité les supports d’une mise en œuvre réussie de ces stratégies et en constituent le caractère original, notamment dans les petites entreprises. À ce titre, il s’agit de renouveler les paradigmes de cette stratégie en partant de l’analyse de ces structures organisationnelles, peu étudiées et pourtant pleines de ressources, qui développent de manière pragmatique des modèles innovants et disruptifs.
Le choix de notre terrain d’étude, celui des petites entreprises de l’aéronautique, du spatial et de la défense (ASD) en Nouvelle Aquitaine permet d’observer des entreprises qui sont regroupées dans un secteur innovant. Leurs activités sont la plupart du temps à haute valeur ajoutée, ce qui signifie qu’elles sont fondées sur la maîtrise de savoirs hautement spécialisés, la détention de brevets, la maîtrise de technologies, c'est-à-dire des éléments immatériels, intangibles. Finalement, c’est dans la nature même de l’activité que naît la nécessité de constituer une stratégie d’intelligence économique. Le secteur de l’aéronautique, spatial, défense est également pertinent pour notre recherche car il fait l’objet de mesures de soutien de la part des institutions économiques nationales et locales. Autour de quelques grands donneurs d’ordres, gravite une très importante ramification de sous-traitants et d’institutions dédiées à l’ASD, publiques ou semi-publiques dont l’objet est de venir en appui aux entreprises, de les aider à se développer, de soutenir, in fine, l’activité et la performance des donneurs d’ordres, de la nation. Il est nettement concerné par la politique publique d’intelligence économique française.

Les postulats de cette recherche considèrent que dans le contexte économique actuel, les petites entreprises qui réussissent ont développé des pratiques d’intelligence économique et de veille originales, à dominante relationnelles et communicationnelles, qui se situent à contrecourant de la doxa professionnelle et scientifique. Ces pratiques ont généré des structures organisationnelles d’un nouveau genre, dont la communication forge la colonne vertébrale. Elles se sont développées au sein et grâce à des espaces socio-économiques inédits dont les caractéristiques vont servir d’environnement dynamisant et créatif.
Les résultats de nos enquêtes nous amènent à proposer quelques éléments rassembleurs ayant pour dessein de comprendre et d’appréhender une démarche d’intelligence économique appropriée à la petite entreprise en secteur innovant que nous désignons sous le nom d’intelligence cognitive. En effet, la petite entreprise en secteur innovant ne peut adhérer aux modèles prévalant d’IE car ceux-ci ne sont destinés qu’aux structures dépassant un certain seuil organisationnel, plus de 50 à 100 salariés, c'est-à-dire au moins la moyenne et la grande entreprise. Ces dernières ont des structures, des moyens humains et financiers, des normes de fonctionnement qui sont adaptés à ces modèles dominants et aux procédures et schèmes qu’ils préconisent et qui partent tous d’une détermination d’un besoin d’information immédiatement suivi par un processus de collecte et de traitement de cette information. Un processus essentiellement à caractère informationnel. Les petites entreprises en général, et plus spécifiquement celles en secteur innovant, ne sont concernées que marginalement par ces modélisations qui ont peu à voir avec les problèmes spécifiques des petits établissements. Afin de délimiter le cadre du modèle que nous proposons à la réflexion, nous présenterons dans un premier temps le contexte de la petite entreprise en secteur innovant qui révèle un certain nombre de spécificités. Ces spécificités sont intrinsèquement liées à la définition d’un modèle d’IE ad hoc.
Dans un second temps, nous soumettrons un modèle organisationnel émergent, qui sert de cadre à la démarche d’intelligence cognitive de la petite entreprise en secteur innovant, la quasi-organisation qui s’insère dans une sphère socio économique stimulante, que nous appelons la biocénose économique.
Dans un troisième temps, nous tenterons de spécifier cette biocénose économique pour montrer qu’elle constitue une sphère de médiation lieu de création de l’intelligence cognitive de la petite entreprise en secteur innovant.





 

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