Janv 16- Marie Renoue - Université Bordeaux Montaigne

Habilitation à diriger des recherches

Mme Marie Renoue

 

Date: 16 janvier 2017 à 14h00
Lieu: Université Bordeaux Montaigne
Maison de la Recherche salle des thèses
33600 Pessac

Résumé:


1. Pour rendre compte de la cohérence de mon parcours et de mes productions universitaires relativement polyvalents, il convient de commencer par évoquer une formation initiale pluridisciplinaire, les savoirs et les méthodes afférents, qui ont été convoqués pour les réaliser.
Il y eut tout d’abord des études de lettres classiques, de philologie à l’Université Lille III où officiait alors Jean Bollack, le fondateur de l’École lilloise de philologie, avec des chercheurs comme Pierre Judet de la Combe, Philippe Rousseau, Mayotte Bollack, Heinz Wismann… Mes objets de prédilection étaient alors l’étude des langues anciennes (grec, latin, sanskrit et égyptien), de la linguistique (chez Platon, Lucrèce) et de la critique textuelle (les hypothèses d’interpolation des textes homériques). L’influence de cette École est assurément déterminante pour son exigence de rigueur dans la constitution des textes et des analyses, pour son herméneutique et le développement d’une démarche, au besoin interdisciplinaire, toujours réflexive et critique.
Des études d’histoire de l’art et en sciences du langage à Toulouse II ont complété ce parcours et orienté mes futures recherches doctorales sous la direction de Joseph Courtés. Le projet de développer alors une sémiotique de la perception et du sensible a été motivé par le désir de compléter la démarche de l’histoire de l’art, en abordant les oeuvres contemporaines pour elles-mêmes, et par la démonstration courtésienne des capacités qu’avait la sémiotique de s’adapter à des manifestations fort diverses pour en analyser la forme et le sens. Le choix d’un objet particulier, les 100 vitraux de Soulages conçus pour l’abbatiale romane de Conques, a été guidé par l’apparence énigmatique et formellement ténue de ces objets qui interrogeaient de fait leur observateur et mettaient à l’épreuve la démarche sémiotique. D’où la problématique précisément explorée par ma thèse : la sémiotique permet-elle de rendre compte de la perception et de l’esthétique d’objets d’art contemporain ? et, si elle le fait, quels sont les présupposés théoriques et méthodologiques qui assurent son efficacité ?
La forme de ces objets doctoraux incitait à l’expansion, à la prise en compte de la lumière, de leur contexte et modalité d’expression et de réception ; c’est ce qui a motivé mon intérêt précoce pour la médiation culturelle et ma demande en 2011 d’un congé de formation auprès de l’équipe Culture & Communication dirigée alors par Jean Davallon à l’Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse.
2. Les travaux de recherche qui ont été développés depuis ce doctorat exploitent et développent les compétences acquises durant ces études, et ajoutent également au champ ainsi dessiné un nouvel objet de recherche – un objet influencé par un compagnonnage de longue durée avec un éthologue et par mon attrait pour les mondes animaux.
Ressortissant à la linguistique textuelle, parfois à l’histoire de l’art, à la médiation, à la sémiotique du sensible ou à l’éthosémiotique, ces travaux profitent évidemment d’un bagage de références scientifiques fort différents, mais tous se réclament plus ou moins explicitement de la thèse phénoménologique qui présuppose la relation et la complexité, l’interdéfinition des instances relationnelles au sein des praxis énonciatives et des comportements, le devenir énonciatif et l’importance du syntagmatique, la dimension multimodale, corporelle, sensible et cognitive, de notre appréhension et de notre relation au monde et à l’autre. La variété, le caractère parfois ténu et énigmatique des sémiotiques-objets privilégiées demandent par ailleurs de prendre position en faveur du sémiotique ou de l’objet : l’option choisie est celle, à première vue naïve et de fait risquée, de la prévalence accordée à l’objet sur la méthodologie. Et celui-ci est justement choisi pour sa capacité à contrarier la démarche et la méthode de la sémiotique, à l’inciter à redéfinir ses termes et leur impact sur les analyses. D’où l’importance accordée dans certains travaux à la cohérence, le présupposé des analyses sémiotiques qui oriente la description des sémiotiques-objets et des sémioses, l’analyse des significations. D’où également les analyses énonciatives du rythme, l’invitation à introduire la densité comme fondamentale pour décrire, avec l’intensité et l’extensité de la sémiotique tensive, notre relation au monde et de fait l’émergence d’un sensible et du sémiotique. D’où peut-être aussi l’ouverture disciplinaire – ou pluridisciplinaire – de la démarche présentée ici.
Tous les travaux retenus par accompagner cette demande d’H.D.R. ont été rassemblés sous un terme fédérateur, l’altérité, qui, au-delà de l’intérêt que peut présenter l’ampleur de son extension – de son étendue logique – pour englober divers objets, indique l’orientation des interrogations qui président à leur analyse. Avec « l’altérité », il s’agit bien d’interroger les modalités de la relation avec un autre qui modalise une relation et l’autre instance qui en retour le modalisent également. Il s’agit aussi d’interroger la différence, cette relation qui détermine l’identité et l’altérité – et la sémiotique de l’expression développée depuis une vingtaine d’années propose une lecture dynamique et tensive de ces différences, des effets de contraste. Enfin, l’altérité a aussi à faire avec le paradigmatique, avec la nouveauté, l’incongru ou la création, l’inconnu – ce sont des points que j’ai abordés en traitant des modalités de la création artistique, des mondes animaux.
Plus précisément, mes travaux ont été ici répartis en quatre sections. La première interroge l’altérité de l’extérieur, et elle le fait à partir de la notion de référence, le renvoi à un « quelque chose en rapport ». Intratextuelle, la référence est vue comme ce qui assure la cohésion ; elle serait alors une forme de dynamique qui, affirmant l’unité contre la dispersion, dessine la texture du texte. Extratextuelle, elle évite l’éclatement vers la dispersion d’un ailleurs réaliste ou imaginaire par la visée isotopique – une notion-clé proposée par Greimas qui affirme la fonction fondamentale et à plusieurs niveaux sémiotiques de la différence et du même. Si la référence a à voir avec le texte et ses frontières, avec l’altérité, le renvoi à un autre d’un certain point de vue identique, elle est aussi essentielle pour rendre compte des significations textuelles, du sémantique – comme également une autre notion, la cohérence, qui préforme les structures identitaires, les relations et dynamiques transformationnelles. Reste à étudier jusqu’à quel point, cette notion « logique » contraint le sémiotique.
La deuxième et la troisième parties proposent d’approcher au plus près de l’altérité, de l’autre. Tout d’abord avec l’étude de la médiation, il s’agit d’interroger les motifs et les dispositifs qui préforment la visée et la réception d’objets exposés dans les musées ou expositions d’art. La complexité et la variété des dispositifs mis en oeuvre invitent à multiplier les études des expressions graphiques, linguistiques et aussi topologiques de la médiatisation, à interroger les valeurs symboliques ou d’autorité affichées ou attribuées aux espaces et aux auteurs. Ma contribution concerne plus particulièrement l’étude sémantique, perceptive et esthétique de la mise en espace des expôts, de leur distribution syntagmatique et de leur disposition, compte tenu d’espaces englobants plus ou moins saillants, intégrés ou en continuité avec les « oeuvres ». Si ce prélude tente d’éclaircir les modes – modalités – et les aspects – aspectualisations – de nos relations sémiotiques avec l’autre, la suivante se veut au plus près de l’altérité et l’aborde comme expression visible et sensible, convoquant des visées et saisies variées et variables, une discrétisation et narrativisation affinées des formes et de la matière de l’expression. Parallèlement, l’autre pôle de la relation, l’instance subjectale abordée comme sujet linguistique auparavant, comme sujet « collectif » construit par les chercheurs, est ici un espace de compétences, où visées et saisies sont imbriquées et dynamisées par leur écart, un sujet sensible, participant et sémiotique – en somme « un délégué » du sémioticien qui n’est pas singulier et particulier, mais sujet d’une communauté de valeurs et de savoirs.
La dernière approche de l’altérité présentée ici est plus originale, puisqu’elle reprend la proposition que nous avons faite depuis 2003, Pascal Carlier (éthologue, MCF à l’Université d’Aix-Marseille) et moi-même, de développer une éthosémiotique qui, tentant de rendre
compte d’un point de vue animal ou pour le moins refusant de le réduire, pose plus directement la question de l’accès à cette altérité ou plutôt à ces altérités variées que sont les animaux. Diverses approches éthologiques sont ainsi évoquées et analysées, ainsi que des études précises des mondes animaux (Umwelten husserliens) et de comportements jugés parfois comme aberrants du point de vue de leur efficacité ou de leur finalité. Tout en interrogeant les possibilités et formes d’une rencontre pluridisciplinaire, nous avons développé une réflexion sur les modalités variées d’une relation homme-animal, d’une communication « réussie », et proposé une approche tensive de la coloration de la pieuvre – une étude qui a retenu l’attention de spécialistes des céphalopodes comme Andrew Packard qui nous a proposé sa collaboration.
3. Mon expérience professionnelle peut à la fois paraître longue – elle a commencé en 1985, dès l’obtention de ma licence de lettres classiques –, et limitée – puisque je suis professeur agrégé de lettres classiques dans le secondaire où j’ai enseigné le grec, le latin, le français et le cinéma. Cette activité principale a été stoppée à deux occasions : pour une période de deux ans lors de mon détachement au CNRS en qualité de CR2 dans deux laboratoires et durant une année pour un congé de formation en médiation culturelle. Qualifiée par le CNU en 7e, 18e et 71e sections, j’ai exercé des vacations dans les universités de Toulouse, de Montpellier ou plus récemment de Marseille où j’ai enseigné les sciences du langage (niveau deug), les arts du spectacle-cinéma (L.1, 2 et 3) et actuellement la communication scientifique (cursus master ingénierie).
Mon expérience professionnelle en encadrement de recherches est de fait limitée : j’ai inauguré des séminaires pour docteurs et doctorants en sémantique et sémiotique à Toulouse II en 1996 et j’organise pour mes étudiants actuels des colloques où ils peuvent forger leurs premières armes de chercheur. L’essentiel de mes compétences résident dans la diffusion de connaissances universitaires, dans l’édition sur différents supports d’un colloque ou de revues collectives sur la lumière ou l’image numérique, ou dans la vulgarisation de mes travaux de sémiotique dans un ouvrage d’art ou lors de communications et d’interviews.
Si les travaux présentés ici peuvent paraître diversifiés, il y a encore matière à réflexions et à analyses. Outre les sémiotiques-objets que j’aurais aimé développer, il y a le projet complexe et chronophage évoqué supra de traiter plus avant de la question des formes de cohérence ou d’incohérence qui affleurent parfois dans nos discours.

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