Mars 01 - Julie Laffont - Université Bordeaux Montaigne

Représentations de la diversité dans les séries télévisées. Analyse comparative France - Grande Bretagne.

Doctorant : Julie Laffont

 

Date : 01 mars 2016

Horaires : 14h00

MSHA - Salle 2

Esplanade des Antilles - Pessac

 

 Résumé

Cette thèse interroge les représentations de la diversité et des identités collectives au sein de séries télévisées françaises et britanniques. Les problématiques de la construction identitaire, des imaginaires nationaux et médiatiques, ainsi que les différents imaginaires du métissage et de la communauté arabo-musulmane dans l’espace public européen, retiennent particulièrement l’attention ici.

La pluridisciplinarité inhérente à l’approche choisie s’appuie sur la richesse des paradigmes et méthodologies propres aux Sciences de l’Information et de la Communication, ainsi qu’aux études médiatiques dans leur ensemble. Sont ainsi pris en compte les contextes de production (professionnels, techniques, législatifs, esthétiques et socio-politiques), mais aussi les pratiques et usages de réception.

Toutefois, c’est bien l’analyse de contenu (aux niveaux figuratif, narratif et thématique) qui se trouve au centre de cette étude. Ce travail s’appuie principalement sur l’étude du personnage de fiction et une typologie des stéréotypes. Ce travail emprunte également aux théories de l’imaginaire, aux études de réception et à la sémiotique du récit.

L’hypothèse de départ est que les imaginaires nationaux britannique et français, l’un de tradition multiculturaliste, l’autre régit par l’idéal universaliste républicain, influencent les imaginaires collectifs et les constructions identitaires parmi les différentes communautés de citoyens. Les imaginaires médiatiques, en tant que transmetteurs et en tant qu’arènes des discours et opinions, participent selon nous de ce phénomène. Ces imaginaires nationaux laissent des indices parmi les représentations médiatiques, notamment au sein des fictions télévisées, qu’il est possible de repérer et d’analyser.

Il ne s’agit pas ici d’opposer les deux modèles. Les cas français et britannique, s’ils diffèrent sur certains points, connaissent des questionnements et difficultés similaires. Les étudier simultanément permet de brosser un plus large tableau des possibles et de chercher d’éventuelles solutions en s’appuyant sur les expériences menées dans ces deux pays.

 Dans cette recherche, une place importante a été accordée au contexte. L’objectif était en effet d’obtenir une compréhension profonde et précise des représentations de la diversité se jouant dans les séries télévisées. Il a donc été nécessaire de procéder à la fois à une vaste enquête sociohistorique, mais aussi à un premier corpus relativement étendu.

En observant les grands idéaux et principes communs en France et en Grande-Bretagne, il apparait que ces deux nations possèdent tout autant des similitudes que des divergences concernant leurs conceptions d’une identité collective et de la diversité nationale. C’est sur cette base qu’a pu s’opérer une comparaison pertinente des deux imaginaires nationaux de l’identité collective et de la diversité.

Imaginaires médiaculturels et imaginaires nationaux apparaissent en effet comme co-constitutifs l’un de l’autre. Des imaginaires collectifs plus restreints, que l’on pourrait qualifier de communautaires, cohabitent avec un imaginaire national général, dont ils font partis tout en s’y opposant parfois. Ainsi, plusieurs types de discours et régimes de représentations cohabiteraient dans les imaginaires médiaculturels, tantôt complémentaires, tantôt entretenant des rapports hégémoniques et contre-hégémoniques. La nature et l’intensité de ces cohabitations et conflits des imaginaires jouent un rôle décisif dans la construction des identités collectives et des identités individuelles.

L’analyse des représentations de la diversité et des stéréotypes dans les médiacultures se révèle donc être un outil efficace pour étudier la nature et les composantes à la fois des imaginaires nationaux et des identités collectives.

Par-delà les frontières de l’Europe, on peut observer une mondialisation des imaginaires et des flux culturels et médiatiques. Mais loin d’être une uniformisation, ce que l’on voit apparaitre c’est une diversification de l’offre. Bien évidemment ces voix locales peinent parfois à se faire entendre dans un espace public mondialisé et saturé d’images et de sons, mais elles ont également l’opportunité de rencontrer plus de contenus et d’imaginaires d’une part, plus d’oreilles tendues à travers le monde d’autre part.

 Le recensement des communautés imaginaires et des grandes thématiques liées à chacune est particulièrement heuristique. Enfin, la catégorisation des régimes de stéréotypes permet de mieux comprendre la nature, la production et la réception des représentations médiatiques de la diversité. Une analyse de contenu aux niveaux figuratif, narratif et thématique c’est révélée être la plus complète et la plus efficace pour l’examen des imaginaires et des stéréotypes. La nature même du médium télévisuel et de la fiction, font des séries télévisées un lieu privilégié de transmission et d’interrogation des identités et de la diversité.

Il a ainsi été possible d’identifier des figures, des communautés imaginées et des thèmes récurrents, qui témoignent des imaginaires contemporains de la diversité en France et en Grande-Bretagne. La nature des stéréotypes et des représentations de la diversité évoluent dans le temps, en fonction de l’actualité, des bouleversements dans les relations intercommunautaires, des politiques de lutte contre les discriminations, des changements de mentalités, en particulier en ce qui concerne les normes et les valeurs sociales.

Les deux thèmes choisis pour une étude approfondie témoignent particulièrement des représentations contemporaines de la diversité dans les séries télévisées, mais aussi dans les imaginaires collectifs et nationaux. Grâce à l’examen des personnages – de leur caractérisation et parcours – et au décryptage des représentations et stéréotypes – aux niveaux figuratifs, narratifs et thématiques – il apparait clairement que les figures de la jeunesse arabo-musulmane et du métissage sont à la fois complexes, diversifiées et construites au sein des imaginaires collectifs et nationaux, car héritières des imaginaires médiatiques, culturels, fictionnels et artistiques qui les ont précédées.

 Les interactions et interpénétrations entre imaginaires médiaculturels et imaginaires nationaux créent des réinterprétations et des interrogations permanentes, parfois même des remises en cause critiques, des normes, valeurs et représentations sociales. La diffusion large du médium télévisuel, le succès des séries, ainsi que le contact direct avec les imaginaires que permettent la fiction et l’audiovisuel, font de ces récits télévisuels un lieu privilégié de transmission des imaginaireset des identités collectives.

Le temps long figuré par les séries permet, en outre, d’offrir des univers et des personnages plus riches, donc potentiellement plus réalistes, mais permet également d’explorer une plus large gamme de représentation de la diversité et des relations intercommunautaires. La superposition des arches narratives et la feuilletonalisation, c'est-à-dire l’extension des intrigues, amplifient ce phénomène.

Le succès des séries télévisées permet de considérer la sériephilie sous l’angle d’une activité sociale et potentiellement sociabilisante. Ainsi, le personnage, à la fois au centre du processus narratifs et siège des stéréotypes, joue un rôle essentiel, non seulement dans la sériephilie, par attachement du téléspectateur à celui-ci, mais aussi dans les sentiments de reconnaissance et d’appartenance – ou au contraire,de rejet et de discrimination – des publics, face à des citoyens et communautés imaginées dans lesquels ils peuvent ou non se reconnaitre.

 La chercheuse britannique Mukti Jain Campion a pu montrer les limites d’une politique d’embauche multiculturelle dans les médias faite par le biais des quotas. Certains des journalistes Noirs ou Indiens sont recrutés le sont parmi les élites, dans les grandes écoles, et pratiquent l’autocensure, se conforment aux attentes (parfois supposées) des dirigeants « blancs », afin de conserver leurs emplois ou privilèges de Non-blancs ayant réussi à des postes traditionnellement réservés aux Blancs. De tel phénomènes d’autocensure ont également apparaître dans les témoignages de professionnels français, notamment parmi les scénaristes.

Pourtant, l’usage de données chiffrées relatives d’une part à l’apparition de protagonistes « perçus comme », d’autre part à l’embauche de professionnels eux aussi « issus de minorités », demeure une étape nécessaire dans la lutte contre les discriminations à la télévision. En effet, seul les chiffres permettent d’évaluer les inégalités, d’en produire les preuves, enfin d’en mesurer les évolutions bonnes ou mauvaises, et d’ainsi adapter les outils et les législations. Mais, dans un second temps, cette étude quantitative doit être doublée d’une étude qualitative des représentations, puis-ce que la quantité n’est jamais en soi garante d’une représentation positive est réaliste.

L’attention portée à la diversité des professionnels derrière la caméra semble, malgré les embuches de l’autocensure, être une autre étape incontournable. Toutefois, pour être réellement efficace, une telle mesure doit nécessairement s’accompagner d’une autonomie artistique et financière, mais aussi de la formation des professionnels aux pièges des stéréotypes. Professionnels et public doivent être entrainés à exercer leur esprit critique pour le repérage et le décryptage des stéréotypes, dans l’objectif de ne plus les produire ni les transmettre.

La meilleure preuve que cette démarche est une voie opérante est la qualité des représentations aujourd’hui offertes par les humoristes, qu’ils soient français ou britanniques. En effet, ceux-ci sont le plus souvent autodidactes, eux-mêmes fréquemment « issus de la diversité », ont pu exercer l’art du franc-parler et du politiquement incorrecte sur les planches, parfois à la télévision ou sur Internet. De plus, ceux-ci s’autoproduisent ou sont épaulés par des producteurs audacieux, capables de prendre des risques et de faire confiance à leur liberté de langage pour charmer le public.

 Il parait ainsi possible de proposer des pistes et ébauches de solutions quant à la sensibilisation aux représentations médiaculturelles de la diversité, ainsi qu’à leur amélioration. La série semble d’ailleurs être le terrain idéal pour une telle action. La télévision n’est pas semble-t-il une source de révolution sociale, ni un simple miroir de la société ou encore une fenêtre sur l’âme des contemporains. La télévision doit plutôt être considérée comme une tribune qui, si est bien employée, à le potentiel nécessaire pour donner la parole à toutes les communautés. Dans tous les cas elle est un « symptôme » permettant de prendre « le pouls » des imaginaires de la diversité d’une société.

Ainsi, cette mise en perspective ouvre ainsi la voie à une réflexion sur la création d’outils concrets et pertinents, avec l’espoir d’un côté les proposer aux professionnels et aux publics, de l’autre d’utiliser la fiction elle-même comme outils de sensibilisation, de formation et d’action en faveur du respect de la diversité.

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