Avril 11 - Aurélie Bousquet - Université Bordeaux Montaigne

Cartographie et participation. Vers une pluralisation des sources de connaissances. Application à la Trame Verte et Bleue dans le bocage bressuirais

Doctorante : Aurélie Bousquet

Date : 11 avril 2016

Horaires : 14h00

Maison des Suds - Esplanade des Antilles - 33607 Pessac

Résumé

  • Contexte générale de la recherche

En 2007, lors du Grenelle de l’environnement, la France décide de mettre en place la Trame Verte et Bleue (TVB) : un nouveau type de politique environnementale conçu comme un réseau afin de lutter contre « l’érosion de la biodiversité » (loi n°2009-967 du 3 août 2009). Cette politique rentre dans une nouvelle logique impulsée au niveau mondial, à partir du milieu des années 1980, pour limiter les effets néfastes de la fragmentation des paysages sur les espèces. La mise en réseau de la nature, préconisée par certains mouvements scientifiques, se traduit en France par l’identification des continuités écologiques aux différentes échelles, allant du national au local. Au niveau réglementaire, ces continuités écologiques sont formées de deux éléments : de réservoirs de biodiversité et de corridors écologiques. Ce passage de notions scientifiques à des politiques d’aménagement du territoire présente de nombreuses difficultés tant d’un point de vue conceptuel que d’un point de vue technique et pratique ou même éthique.

Cette mise en réseau de la nature intervient en France dans un contexte où le cadre réglementaire s’appuie sur les documents d’urbanisme pour préserver la biodiversité. Depuis la promulgation de la loi relative à la protection de la nature1 en 1976, les enjeux liés à la préservation de la biodiversité2 sont progressivement traduits sous forme de cartes dans les documents d’urbanisme. La TVB est une des réponses politiques pour lutter contre la perte de biodiversité et se fonde sur la notion de continuité écologique développée par des écologues. Le comité opérationnel TVB a fait le choix « de privilégier les documents d’urbanisme pour identifier cartographiquement la trame verte et bleue » (Allag-Dhuisme et al., 2010, p. 43), bien qu’en 2010 seule la moitié du territoire français soit concernée par de tels documents. Afin d’assurer une cohérence du dispositif, de l’échelle nationale à locale, les régions françaises doivent produire, en application des lois Grenelle 1 et 2, des Schémas Régionaux de Cohérence Écologique (SRCE). Tous les SRCE doivent comprendre un atlas cartographique dont une carte au 1/100 000 des éléments de la TVB régionale. La TVB retenue au niveau régional doit à terme être prise en compte à l’échelle locale lors de l’élaboration des documents de planification.

Ainsi, la réalisation des TVB, au sein des régions et des collectivités, passe essentiellement par une identification des continuités écologiques au moyen de bases de données géographiques. L’intégration de ces données se fait dans des Systèmes d’Information Géographique (SIG) qui permettent entre autres l’empilement de plusieurs couches de données géoréférencées en vue de la production de cartes selon des délais et des coûts acceptables par les institutions engagées. Cette production cartographique se fait dans un contexte technique et organisationnel favorable à leur utilisation. En effet, l’usage des SIG n’est plus cantonné aux grandes villes ou aux organismes importants : leur usage s’est déployé dans les administrations et les entreprises de taille plus restreinte. Cette diffusion de l’outil est accompagnée par une accessibilité accrue à des bases de données géographiques qui désormais peuvent être directement intégrées dans les SIG pour produire de nouvelles cartes. Les outils numériques de cartographie offrent de nombreuses possibilités techniques, au point que leurs utilisateurs semblent peu conscients de leurs limites. Leur emploi ne garantit nullement la rigueur méthodologique.

À partir des années 1960, alors qu’émerge une conscience politique d’une crise environnementale, on assiste aux premières formulations théoriques de la notion de démocratie participative qui sont issues de mouvements de contestation américains radicaux (Blondiaux, 2008). Cette idée de participation est reprise en France, dès 1962, par Pierre Mendès France dans son ouvrage, La République moderne, où il définit la « planification démocratique ». Plusieurs expériences sont conduites durant les deux décennies suivantes jusqu’à sa disparition au cours des années 1980 (ibid.). En France, un renouveau intervient dans les années 1990, période durant laquelle les pouvoirs publics mettent en place des dispositifs3 de participation avec pour objectif l’anticipation des conflits et des mouvements de contestation. La participation est à nouveau mise en avant et mise en œuvre lors du Grenelle de l’environnement. La loi de programmation dite « Grenelle 1 » du 3 août 2009 encourage les nouvelles formes de gouvernance qui favorisent la « mobilisation de la société par la médiation et la concertation ». L’élaboration des documents d’urbanisme et des TVB régionales dans les SRCE n’échappent pas à cet appel à la participation. Dans les guides produits par le comité opérationnel TVB et le décret4 portant adoption des orientations nationales pour la préservation et la remise en bon état des continuités écologiques, les SRCE sont perçus comme de véritables outils pour l’aménagement du territoire, l’association des acteurs locaux à leur construction devant permettre de dépasser une logique de simple porter à connaissance.

Ainsi, l’élaboration de la TVB doit répondre à trois éléments : identifier et retenir des continuités écologiques constituant un réseau qui doit se traduire dans des documents d’urbanisme, c’est-à-dire sous forme de cartes (2), tout en assurant une participation des acteurs. C’est la rencontre de ces trois facteurs qui crée un contexte particulier au cœur duquel se situe notre sujet de recherche.

  • Objectif du projet de recherche et problématique

Malgré un cadre réglementaire peu contraignant, l’élaboration des TVB entraîne un mouvement d’ouverture vers de nouveaux acteurs qui jusqu’à lors étaient peu invités à se prononcer. Les TVB deviennent alors un point de rencontre entre des acteurs très divers : institutions, bureaux d’études, agriculteurs, associations, habitants, élus, etc. La multiplication de ces acteurs se traduit parun foisonnement de représentations et de savoirs dont certains ne sont a priori pas compatibles entre eux. Faute de méthode et de culture de la participation, le cadre réglementaire demeure peu précis sur les modalités de sa mise en oeuvre dans la construction des TVB. Pourtant, les attendus cartographiques sont précisément définis.

Même en présence de dispositifs participatifs, les résultats produits par la sphère technique restent déterminants dans la construction des TVB. Cependant les dispositifs qualifiés de participatifs mis en place se limitent bien souvent à de la consultation ou à du porter à connaissance auprès des publics jugés concernés. Ces faux semblants de participation interviennent tardivement dans l’élaboration des TVB et infléchissent peu, voire pas du tout les résultats obtenus par la modélisation cartographique. Le zonage à dires d’experts est parfois présenté comme une forme de participation alors qu’elle ne concerne qu’un petit nombre d’acteurs invité à se prononcer sur les productions cartographiques. Les débats se cantonnent généralement à l’ajustement des limites identifiées par la modélisation. Pourtant les démarches participatives, qui dépassent le stade de la consultation et le cercle restreint des experts, permettent de faire émerger quantité d’informations, riche d’un point de vue qualitatif sur les territoires. Cependant ce type de démarche est bien souvent conduit en parallèle à la production cartographique, chacune des deux approches produisant des résultats très différents qui rendent une mise en commun difficile, voire impossible. En effet, la réalisation cartographique des TVB est souvent confiée à des bureaux d’études ou à des experts qui se trouvent alors désarmés tant au niveau des moyens qui leurs sont accordés qu’au niveau méthodologique pour intégrer les informations issues de la démarche participative à leur protocole. Nous nous retrouvons alors dans la même situation que celle de M. Luc décrite en préambule. On assiste alors à une forme de standardisation de la production et de la représentation des TVB qui impacte même le processus de collecte des données. Le besoin de normalisation des données est tel qu’on assiste à une forme de recul des connaissances naturalistes produites localement, y compris celles qui sont spatialisées (Alphandéry, Djama, et al., 2012 ; Alphandéry, Fortier, et al., 2012). Ces déficits méthodologiques n’entravent pas le déploiement des TVB puisque les attendus règlementaires exigent la production de cartes des continuités écologiques comprenant des réservoirs de biodiversité et des corridors écologiques que la sphère technique produit facilement. Ces relations inégales entre les différentes sphères entrainent une domination de la sphère technique dans l’élaboration des TVB. Son poids est d’autant plus important que le contexte politique privilégie les documents d’urbanisme, qui contiennent des cartes.
La question qui se pose alors est de savoir comment pluraliser les sources de connaissance et comment les intégrer aux procédures de mises en carte des continuités écologiques.
La mise en place des TVB permet d’interroger le couple participation et cartographie, ces deux termes peuvent a priori sembler inconciliables. Nous proposons dans cette étude un cheminement qui permet de les articuler.

  • Démarche méthodologique et terrains retenus

Notre approche se positionne volontairement dans une démarche inductive, exploratoire et itérative. Pour ce faire nous avons mobilisé la théorie ancrée comme approche générale de cette recherche. La théorie ancrée propose une manière particulière pour définir l’objet de recherche. Problématique et questions de recherche s’affinent à chaque itération. Ce choix nous paraît justifié, les ajustements successifs entre les phases d’observation et d’analyse permettent l’émergence de nouveaux éléments de compréhension conduisant à l’approfondissement des pistes exploratoires.

Pour tenter de répondre à notre questionnement initial, cette recherche s’appuie sur une combinaison de plusieurs outils et méthodes permettant de développer les moyens pour intégrer les savoirs issus de la participation dans les démarches de mise en carte des continuités écologiques. Près d’une trentaine de personnes ont été interrogées dans le cadre d’une enquête exploratoire (entretiens semi-directifs). En parallèle, nous avons observé la mise en place de la composante participative du SRCE Poitou-Charentes ce qui nous a permis d’analyser le lien entre la participation et l’élaboration de la TVB. Cette première campagne de terrain est suivie par la mise en place d’une enquête photographique complétée par des entretiens de cadrage-recadrage qui servent de fondement à une série d’ateliers. Bien que le cadre de cette recherche soit pluridisciplinaire et que nous mobilisions des notions et des outils issus d’autres disciplines (écologie du paysage, psychologie, sociologie), nous inscrivons notre analyse en géographie. Notre recherche s’intéresse aux outils de la géographie et interroge l’emploi de la carte dans la mise en oeuvre des politiques publiques environnementales et des démarches participatives. Nous proposons également une nouvelle démarche méthodologique, afin de tester et d’explorer de nouveaux liens entre les représentations graphiques mobilisées et les représentations des acteurs. Cette démarche reprend et articule deux approches qui utilisent la photographie pour étudier le paysage, l’une se positionnant du côté du qualitatif et l’autre du côté du quantitatif.

Au cours de cette recherche, trois échelles sont mobilisées (Figure 3). Le déploiement des TVB est étudié au niveau national, notamment au travers des textes réglementaires et des guides méthodologiques. Le lancement du SRCE Poitou-Charentes nous a permis d’observer l’élaboration d’une TVB à une échelle régionale et plus particulièrement la prise en compte des milieux bocagers. Afin de proposer et de tester une méthode permettant d’inclure les résultats de la participation au protocole de mise en carte des continuités écologiques, nous avons retenu le périmètre de l’Agglomération du bocage bressuirais comme terrain d’expérimentation.

  • Plan du mémoire

Le plan de ce mémoire reprend la logique à la fois exploratoire et itérative de la théorie ancrée. Cette thèse s’articule en 7 chapitres. Après deux premiers chapitres qui détaillent le contexte (Chapitre 1) et la démarche méthodologique (Chapitre 2), les cinq chapitres suivants reprennent les quatre itérations qui nous ont permis d’affiner notre recherche. Ces itérations s’appuient sur la théorie ancrée avec les allers-retours entre l’analyse des données et les résultats obtenus.

Dans la première itération (Chapitre 3) nous observons les bases de données qui sont couramment mobilisées pour l’élaboration des SRCE ce qui nous permet de dégager les principales difficultés d’identification des TVB en milieux bocagers. En parallèle, une deuxième itération est conduite (Chapitre 4) au cours de laquelle nous étudions la place de la participation dans l’élaboration du SCRE Poitou-Charentes.

Face aux résultats de ces deux premières itérations, nous décidons de proposer une méthode alternative pour l’identification des continuités écologiques lors de l’élaboration des TVB qui permet de rallier « les tiers exclus au projet de gestion de la biodiversité » (Couderchet, 2008, p. 279) en passant non pas par la carte et sa vision zénithale mais par la vue tangentielle (Chapitre 5). Lors d’une troisième itération nous proposons d’externaliser les représentations des acteurs du bocage bressuirais au moyen d’une enquête photographique (Chapitre 6). Les résultats sont alors repris et remobilisés dans une quatrième et dernière itération (Chapitre 7) où est mise en place une série de trois ateliers de conception participative au cours desquels nous engageons la bascule de la vue tangentielle à la vue du dessus en multipliant les supports : photographies prises au sol, cartes décontextualisées et cartes normalisées. L’objectif de ces ateliers est de faire fabriquer une série de cartes selon les représentations multiples des participants qui émergent tout au long du processus de mise en carte des continuités écologiques.

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