Sept 09 - Anne Bero - Université Bordeaux Montaigne

Décomposition verbale : de la structure événementielle aux catégoriques syntaxiques en basque

Doctorant : Ane Berro

Date: 9 septembre 2015
horaires: 10h30
Lieu: Université du Pays basque- Paseo de la Universidad- 7 Vitoria-Gasteiz

Résumé

 

1. Point de départ


Cette thèse se propose d’analyser la décomposition événementielle des prédicats et des configurations dans lesquelles ils sont lexicalisés. Concrètement, il s’agit d’étudier les prédicats verbaux dérivés en Basque. En Basque, comme à beaucoup d’autres langues, un nombre très important de prédicats sont composés sur la base des catégories autres que le verbe. Ces catégories peuvent être des noms (ama-tu « devenir mère, du nom ama « mère » ; kantatu « chanter », du nom kantu « chant »), des adjectifs (lehor-tu « essuyer, sècher » de l’adjectif lehor « sèche », etxe-gabe-tu « expulser à quelqu’un d’une maison » de l’adjectif etxe-gabe « sans maison »), des adverbes sail-ka-tu « classifier » de l’adverb sail-ka « en classes »), des syntagmes adpositionelles (directionnelles, telles que etxe-ra-tu « aller à la maison » de etxe-ra « à la maison » , ou des syntagmes instrumentaux, tels que ur-ez-ta-tu «arroser », composé de ur-ez « avec de l’eau »). Une des objectifs de cette thèse est celui d’explorer les processus de composition syntaxique et de ré-catégorisation de ce type de prédicats.
Par ailleurs, cette thèse inclut aussi une étude des différents types de configurations verbales que l’on peut trouver en Basque. Les prédicats verbaux en basque se présentent sur deux formes générales : comme des prédicats analytiques et comme des prédicats synthétiques. Cette dernière catégorie est réduite à ce jour à une quinzaine de verbes (Euskaltzaindia 1997 [1987]), tandis que la forme analytique reste la seule à être productive. Voici une illustration de ces deux types de prédicat :
a. Amets autobus-ean dator
Amets.ABS bus-INE venir.3sgABS
‘Amets vient dans le bus’
b. Amets autobus-ean etorr-i da
Amets.ABS bus-INE venir-PARTC être.3sgABS
‘Amets est venu dans le bus’

Dans la configuration synthétique (1a), les morphèmes d’accord et autres marques de flexion sont directement attachés à la racine du verbe, avec laquelle ils forment un seule mot. La configuration analytique, en revanche, est formée par deux mots séparés (1b) : an auxiliaire support, et un prédicat fléchi pour l’aspect grammatical. A la forme de parfait ou de perfective, ce prédicat est marqué par une tête –tu. –tu est un suffixe qui est aussi utilisé comme forme de citation des verbes en basque, et en certaines phrases d’infinitif. A la forme imperfective le suffixe est –tzen/-ten, qui peut être décomposé en –tze (un suffix de nominalisation) et –n (le suffixe adpositionnel d’inessif). Dans les formes de futur ou de référence temporelle prospective, le prédicat verbale est marqué par la tête -tu-ko ou -tu-ren selon le dialecte. –ko et –ren ont la même forme que les suffixes de génitif –ko et –ren. L’analyse des prédicats verbaux que je fais dans cette thèse m’amène à m’interroger sur le statut des catégories lexicales en général, et en particulier, sur la catégorie verbale.

 

2.Structure événementielle

Je propose, en suivant le système de Ramchand (2008), que du point de vue événementiel les prédicats peuvent être décomposés en trois composants : Processus, État et Rhème. Les processus et les états sont des entités sous-événementielles, tandis que les Rhèmes, dans ce système, sont des objets qui décrivent ou mesurent le sous-événement dont ils sont le complément syntaxique. Je considère que les sous-événements dénotant un procès introduisent une variable de type e (événement, à la Davidson, 1967), tandis que les états ne le font pas (voir Fábregas et Marín 2012). Les états sont des relations de coïncidence centrale (voir Hale 1986), et ils introduisent un sujet dans leur spécificateur.
a. Etat (e) : (e) est une relation de coïncidence centrale
b. Procès (e) : (e) est une entité spatio-temporelle

J’adopte l’hypothèse que, comme le propose Ramchand (2008), les états obtiennent une signification plus spécifique en vertu de leur positionnement relative au sous-événement procès. Quand le procès fusionne (dans le sens de Chomsky 2000) avec un état, l’état devient un résultat. Inversement, quand un état fusionne avec un procès, l’état est interprété comme un sous-événement d’initiation.

Les Processus, les États et les Rhèmes sont combinés en syntaxe par l’opération de fusion (merge). L’interprétation qui résulte de ces combinaisons est différente en fonction de si deux sous-événements ou un sous-événement et un Rhème soient fusionnés. Quand deux sous-événements sont fusionnés, la relation sémantique établie entre les membres combinés est interprétée comme une relation d’implication causale (Hale et Keyser, 1993 ; Ramchand 2008). En contraste, quand un sous-événement fusionne avec un Rhème, le composant sémantique interprète cette relation comme une relation d’identification. Le terme identification doit être compris comme une relation de projection (mapping), dans laquelle la structure de la mésure associée au Rhème est dans une relation homomorphique avec le sous-événement. Je propose la formalisation suivante pour cette fonction de projection impliquant le Rhème, ou p est la mesure associée au Rhème, p(i) un point de p et e un événement :

RHEME(p,e) =_def ∀e∀e'∀p[R(e,p)∩ e'⊆e→∃i [i⊆p ∩R(e^',i)(mapping to measure)∩ ∀e∀p∀i [R(e,p)∩i⊆p→ ∃e' [e'⊆e ∩R(e',i)]] (mapping to events)

(3) doit être lu comme suit : pour tout événement e, sous-événements e’ et mesures p, ssi p adopte le rôle R vis-à-vis e, et e’ est un sous-événement de e, alors il y a un point i appartenant à p qui est projeté dans le sous-événement e’. Ceci correspond à la notion de projection sur des mesures (mapping to measures). La projection sur des événements (mapping to events) signifie que pout tout événement e, mesure p et points i, ssi p est dans le rôle R vis-à-vis e et i est un point en p, alors il y a un sous-événement e’ tel que e’ est un sous-événement de e et il est dans le rôle R au point i. Cette relation garantit que les propriétés de la mesure associées au Rhème déterminent l’interprétation aspectuelle du prédicat.
Les mesures sont représentées ici comme un ensemble de points correspondant à des valeurs numériques qui sont organisés de manière monotonique en relation à la propriété dénotée par le Rhème (Ramchand 2008). Les aspects de la mesure qui déterminent l’interprétation aspectuelle du prédicat sont les suivantes:
Propriétés de la mesure associée au Rhème
[+/- incremental]
[+/- lower bound]
[+/- upper bound]

Les racines kanta « chant » et handi « grand », ainsi que le sentier approximatif etxerantz « vers la maison » peuvent être considérés comme des exemples de Rhèmes associés à des mesures qui possèdent les propriétes [+incremental], [+lower bound] et [-upper bound]. Si l’on s’appuie sur la représentation de sentiers proposée en Zwart (2005) et Pantcheva (2011), la mesure scalaire de ces objets syntaxiques peut-être illustrée comme suit :

kanta(p), handi(p), etxerantz(p)
― → ∞
1

P(0) et p(1) indiquent respectivement les points initial et le point final de la mesure p. Le minus indique les points qui ne sont pas dans la dénotation de ⟦kanta⟧, ⟦handi⟧ et ⟦etxerantz⟧, et les plus indiquent les points qui sont dans leur dénotation. La transition du point négatif au point positif qui succède p(0) montre que ces deux mesures ont une limite inférieure (lower bound), c’est-à-dire qu’elles ont besoin d’une transition minimale de telle manière qu’elles contiennent au moins un point dans leur dénotation. La grosseur des signes plus signale l’incrémentalité : un point p(in) est plus grand qu’un point p (in-1), c’est-à-dire qu’il correspond à une partie plus large du chant que le point p (iin-1) dans la dénotation du mot kanta, à un degré plus haut dans le domaine de l’amplitude dans handi, et à un point plus proche de la maison dans le cas d’etxerantz. La présence du signe [→ ∞] montre que la mesure n’a pas de limite supérieure.

Comme l’établit la définition de Rhème (3), chaque point de la mesure illustrée en (5) est projeté de façon monotonique sur un sous-événement. De cette manière, une measure [+incremental] et [-upper bound] comme (5) produit un événement atélique de type dynamique : une activité dans le cas de kantatu « chanter » et une réalisation de degré dans le cas de etxerantz joan « aller vers la maison ».


3.Lexicalisation et catégorisation

Comme nous avons pu l’observer des types différents d’objets syntaxiques peuvent constituer des Rhèmes : des syntagmes adpositionnelles, des syntagmes à déterminant ou même des racines. Le processus suivant lequel une racine qui n’a pas de catégorie inhérente dévient une entité avec une catégorie lexicale est abordé de manière spécifique dans cette thèse. Je défends l’idée qu’une racine qui a été envoyée en PF séparément de sa tête sous-événementielle doit paraître sous la forme d’un substantif. Une racine réalisée sous la forme d’uns substantif doit en plus recevoir un cas. Cela donne lieu à la généralisation suivante :

Généralisation sur les racines
Les racines sont réalisées comme des substantifs et doivent recevoir un cas si
elles sont lexicalisées séparément de leur sous-événements respectifs.

La généralisation sur les racines explique pourquoi les prédicats inergatifs complexes ne peuvent pas avoir un objet autre que celui de leur racine. Cette généralisation s’applique aussi aux prédicats qui impliquent des sous-événements statifs.

Cette proposition a des conséquences intéressantes pour la catégorisation des racines. Elle suggère qu’une racine catégorisée comme substantif n’est pas catégorisée comme tel dans la composante syntaxique. Elle n’est pas labéllisée par une tête fonctionnelle de type n (comme il est parfois proposé dans des travaux basés sur la Morphologie Distributionnelle, Marantz 1997 2001 2007), et elle n’a pas d’index reférentiel (à l’encontre de Baker 2003). Au contraire, elle avance l’idée que la catégorie nominale des racines émerge comme une conséquence de la configuration dans laquelle elle est réalisée en PF. Les catégories correspondent donc à l’interface syntaxe-morphologie, qui est une partie du module postsyntaxique. La catégorie lexicale N, ou le marqueur catégoriel n, ne sont pas du tout impliqué dans la catégorisation (voir aussi Dechaine 2005 et Déchaine et Tremblay en préparation).

Dans le cas de la catégorie verbale, je défends l’idée que les catégories v et V ne sont pas présentes en syntaxe. La formation de prédicats locatifs construits sur des syntagmess adpositionnels du type etxe-ra-tu « aller à la maison » montre qu’il n’y a pas de catégorie V implicite à laquelle l’adposition et son complément seraient incorporées (contre Hale et Keyser 1993). L’item lexical –ra- (glossé habituellement comme une adposition allative) est directement insérée dans la tête proc (Procès) précisément parce que la structure topologique et la structure syntaxique de la phrase ProcP (Ramchand 2008) et GoalP (Pantcheva 2011) sont isomorphiques. –ra- peut donc lexicaliser une tête sous-événementielle sans avoir recours à une tête de type V.

4.Aspect externe

En m’appuyant sur les analyses de Laka (1993) et d’Arregi et Nevins (2013) sur la composition des verbes fléchis en basque, je propose que dans la configuration analytique le prédicat est « épelé » (envoyé en PF) dans sa position de complément de la tête aspectuelle qui correspond à l’aspect externe (Smith 1997 [1991]). Par ailleurs, en m’inspirant sur les travaux d’Embick (2000) sur les verbes déponents du Latin, j’avance l’idée que ce fait a comme conséquence que le prédicat adopte une catégorie nominale. Embick défend l’idée que quand une racine monte jusqu’à AspP mais pas au-delà, elle est épelée sous la forme d’un adjectif, tandis que si elle monte (avec Asp) jusqu’à T, elle est épelé sous la forme d’un verbe. Dans le premier cas, il n’y a pas de processus d’adjectivisation proprement dit. En ce qui concerne le basque, je propose que sous la forme analytique, le prédicat, généré comme complément syntaxique de la tête aspectuelle, est catégorisé comme nominale. La tête aspectuelle est réalisée par le morphème inessif –n à l’imperfectif et par un item lexical phonologiquement nul au parfait.

Desitxuratua atera zait zuk jarri. Frantsesezko hitzak : catégorie verbale, catégorie adpositionnelle, adjectivale ou adverbiale, catégorie nominale, domaine de phase première.

Dans le cas des formes synthétiques, AspP n’est pas projeté (Laka 1993). Ce fait a des conséquences pour l’interprétation aspectuelle (voir Demirdache et Uribe-Etxebarria 2014) et pour la lexicalisation/catégorisation des prédicats. Quand Asp n’est pas présent, les prédicats peuvent être lexicalisés avec T et le reste des éléments de la flexion, et être réalisés en tant que verbes.

 

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