Sept 22 - Adan Cheng - Université Bordeaux Montaigne

Cheng Xiaoqing (1893-1976) et son rôle dans l'histoire du roman policier en Chine. TELEM

Doctorant: Adan Cheng

 

Date: 22 septembre 2015
Horaires:14h00
Lieu: Université Bordeaux Montaigne-Salle des thèses- Bât Accueil 2ème étage
Domaine universitaire-esplanade des Antilles 33607 Pessac

Résumé

Contrairement à d’autres genres littéraires pour lesquels il est difficile de trouver l’exact point d’origine, nous pouvons situer le moment précis où le roman policier est appa­ru en Chine. C’est très précisément en 1896 que furent traduites et publiées à Shang­­hai quatre nouvelles policières d’Arthur Conan Doyle dans le Shiwu bao [Le Journal du progrès]. L’intérêt suscité auprès du lecteur chinois fut tel qu’entre la fin de la dynastie Qing et les débuts de la République pas moins d’une cinquantaine de roman­ciers se mirent à écrire dans un style qu’on peut identifier au genre policier. Parmi eux, les plus notables furent Cheng Xiaoqing — l’écrivain auquel la pré­sente thèse est consa­crée —, ainsi que Sun Liaohong ou bien encore Lu Tan’an, des auteurs qui s’inscri­vaient dans le courant littéraire dit « Canards Mandarins et Papillons ». L’âge d’or de cette littérature ayant duré moins d’une vingtaine d’années, entre le 4 mai 1919 et le milieu des années 1930.

Or dès la fondation de la République Populaire de Chine, en 1949, jugés à la fois trop subversifs et décadents, les romans policiers ont été purement et simplement inter­dits. La célèbre romancière Ding Ling, par exemple, estimait que la littérature policière n’était pas assez noble pour servir d’outil idéo­logique, et partant qu’elle était sans utilité pour la cause révolutionnaire. Si les choses ont commencé a changé à la fin des années 1970, en même temps que l’ensemble de la société chinoise se trans­formait, il aura fallu attendre le début du XXIe siècle pour assister à un renouveau du genre policier en Chine.

Il est impossible d’évoquer le roman policier chinois sans donc citer immédiate­ment le nom de Cheng Xiaoqing. Pionnier et promoteur des récits d’enquêtes, il fut le fer de lance du genre en Chine. Touche-à-tout de génie, tout à la fois romancier et traduc­teur, mais aussi rédacteur en chef ou éditorialiste de revues spécialisées, Cheng Xiaoqing s’adon­na totalement au roman policer, par ses œuvres de fiction originales ou ses tra­duc­tions, mais également par des essais théoriques sur la question. Surtout, on lui doit la série policière chinoise la plus importante centrée autour d’un personnage, la série des aventures dont le héros est Huo Sang, un détective privé que l’on a pu décou­vrir pour la première fois dans un nouvelle publiée en 1914 et dont on a compris d’em­blée ce qu’il devait à Sherlock Holmes.

En un sens, à première vue du moins, Huo Sang est le fils spirituel de Sherlock Holmes, à qui il emprunte même les initiales de son nom (dans sa transcription en ca­rac­tères latins). C’est que Cheng Xiaoqing s’est abreuvé aux œuvres de son illustre pré­dé­cesseur écossais, Conan Doyle, qu’il a contribué à faire connaître en Chine en le traduisant à plusieurs reprises. Et du reste, le public n’a pas tardé à parler de Huo Sang comme du « Sherlock Holmes de l’Orient ». De Sherlock Holmes, Huo Sang a hérité en effet les prin­cipales qualités et quelques traits de caractère. Pour autant il n’a pas qu’un seul parent, et sa singularité chinoise a eu tôt fait de s’exprimer.

Au-delà de l’intérêt que suscitent les intrigues, et du plaisir qu’on ressent à la lecture des récits qui en sont faits, les aventures de Huo Sang retiennent l’attention du le­cteur pour une autre raison, une raison de nature à la fois socio­logique et historique. En arrière-plan de Huo Sang, c’est toute la société shang­haien­­ne des années 1920 et 1930 qui est dépeinte par Cheng Xiaoqing. Celui-ci brosse en parti­culier un tableau de la vie quoti­dienne des petites gens dans les quartiers chinois, un aspect de la réalité shanghaienne rarement évoqué.

Chantre de la littérature populaire policière, Cheng Xiaoqing nous a non seule­ment laissé ses œuvres de création, mais les essais théoriques qu’il a consacrés au genre. Il a également traduit des essais de vulgarisation scientifique qui ne sont pas sans rap­port avec ses travaux sur le roman policier.

À compter de 1986, les œuvres romanesques de Cheng Xiaoqing ont fait l’objet en Chine, mais également à Taiwan, d’éditions et de rééditions régulières, dont la ver­sion en 10 volumes réalisée par les éditions Jilin wenshi, qui est celle sur laquelle se fon­de notre travail : Huo Sang tan’anji [Les Enquêtes de Huo Sang] (1987-1991). Bien qu’elle contienne 74 récits, elle n’en est pas pour autant intégrale.

Ailleurs qu’en Chine, en revanche, l’intérêt pour Cheng Xiaoqing est encore assez faible.

En français, sauf erreur ou omission, seule une œuvre de Cheng Xiaoqing est disponible : il s’agit d’une nouvelle, « Bieshu zhi guai », traduite sous le titre de « Mys­tère dans une villa shanghaienne » (2010). En anglais, la situation n’est guère plus brillante, mais on dispose néanmoins d’un recueil de huit textes — dont six relatent des aventures de Huo Sang —, traduits et présentés par Timothy C. Wong : Sherlock in Shanghai (2006). En revanche, on dispose de plusieurs travaux dans cette langue : deux études de Tam King-fai sur les récits policiers de Cheng Xiaoqing et sur Huo Sang en particulier (1992 et 2001), et un travail universitaire plus substantiel d’Annabella Weisl sur les mêmes sujets, Cheng Xiaoqing (1893-1976) and His Detective Stories in Modern Shanghai (2010). Sans compter la notice sur Cheng Xiaoqing rédigée par Timothy C. Wong pour le Dictionary of Literary Biography de Gale (2007). Enfin, on mentionnera le livre de Jeffrey Kinkley sur les rapports entre loi et littérature, qui consacre de nom­breuses pages à Cheng Xiaoqing et à ses œuvres, Chinese Justice, the Fiction: Law and Literature in Modern China (2000).

Signalons également, dans l’espoir d’être à peu près complet, qu’il existe deux articles publiés au Japon, l’un par un spécialiste du roman policier chinois de l’Uni­ver­sité Kansai, qui s’interroge sur les changements survenus dans le personnage de Huo Sang entre les années 1920 et les années 1940 (2013), et l’autre qui a paru dans la revue de l’Université de Kobe, où l’auteur s’emploie à comparer les aventures de Huo Sang à certaines œuvres de fiction japonaises (2012).

La présente thèse est un acte de foi : foi dans la qualité des romans policiers chinois, tués dans la fleur de l’âge par l’interdit de 1949. Contrairement aux intellectuels connus de son époque qui soit se sont alignés sur la position de l’occidentalisation totale soit n’ont pas voulu démordre d’une attitude traditionnaliste intraitable, Cheng Xiao­qing, sans jamais renier le passé de son pays — en digne héritier du biji des dynasties des Ming et Qing et du huaben des Song qu’il était —, s’est efforcé d’intégrer dans la littérature narrative traditionnelle des éléments stylistiques empruntés aux romans d’im­port­a­tion et de mettre en scène dans ses œuvres de création des person­na­ges à l’identité chinoise fortement marquée. Bref, durant cette parenthèse littéraire d’un peu moins d’un vingtaine d’années évoquée plus haut, il aura contribué à la réalisation du syncrétisme de l’Orient et de l’Occident en une écriture singulière qui n’avait jamais existé avant lui et n’a plus existé depuis. Le credo de cette thèse est aussi que les œuvres littéraires du courant singulier auquel Cheng Xiaoqing appartient devraient accéder au même rang que des œuvres plus connues et tenues pour plus prestigieuses, car elles ont contribué tout autant que celles-ci à l’évolution narratologique du roman chinois. Situées entre les grands récits classiques et les romans modernes, elles portent elles aussi témoignage des transformations subies par la langue chinoise vers une langue plus moderne, peut-être même plus avancée que celle qu’on utilise aujourd’hui.

Notre mémoire se divise en trois parties : la première partie propose une analyse théo­rique du roman policier chinois ; tandis que la deuxième, qui s’ouvre sur une présentation de la vie de Cheng Xiaoqing et de son œuvre, et plus spécialement de la série des Huo Sang tan’anji, expose les caractéristiques du genre à énigme à l’époque où le roman policier occidental a été importé en Chine. Dans cette deuxième partie, on trouvera en plus une comparaison entre Les Aventures de Sherlock Holmes d’Arthur Conan Doyle et lesHuo Sang tan’anji de Cheng Xiaoqing. On y revient sur l’influence de la série des Sherlock Holmes en Chine : Cheng Xiaoqing a appris les techniques du roman étranger ; il a créé son propre style et donné naissance au roman policier pro­pre­ment chinois. Enfin, dans la troisième et dernière partie, c’est à une analyse comparée du Shi gong’an [Les Jugements du juge Shi], recueil anonyme traditionnel chinois, et des Huo Sang tan’anji que nous nous livrons, afin de mesurer le chemin parcouru.Le Shi gong’an, dont la première édition remonte à 1820, est une com­pi­la­tion de textes qui relatent des enquêtes sous une forme très différente de celle sous laquelle on connaît le roman policier de nos jours, et qui sont représentatif de ce qu’on appelle en l’occurrence le « roman judiciaire » (gong’an xiaoshuo). Sa confrontation avec les Huo Sang tan’anji aide notamment à mettre en évidence les innovations formelles apportées par Cheng Xiaoqing au roman d’investigation.

Le tout est complété par un « Tableau des crimes et des délits » dans Shi gong’an, et un « Tableau des crimes et des délits » dans le Huo Sang tan’anji ; par un essai de biblio­graphique systématique des œuvres de Cheng Xiaoqing, ses œuvres de création aussi bien que ses traductions ; et par un « Tableau chronologique de la vie et des œu­vres de Cheng Xiaoqing ».

 

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