Sept 19 - Serge Yazigi - Université Bordeaux Montaigne

Régénération urbaine des quartiers péricentraux de Beyrouth. Le cas de Zokak el-Blat (1850- 2013)

Doctorant: Serge Yazigi

 

Date: 19 septembre 2015
horaires: 9h00
Lieu: Université Bordeaux Montaigne- salle des thèses- Bât Accueil 2ème étage
Domaine universitaire- Esplanade des Antilles 33607 Pessac cedex

 

Résumé

Les quartiers de la première couronne urbaine entourant le centre historique connaissent une régénération spontanée – par opposition à celle planifiée du centre-ville. Une fois dépassée la première impression donnée par la vitalité de la ville, une lecture plus approfondie révèle les contrastes suivants : une effervescence et une tolérance de la part des jeunes, particulièrement pour ce qui a trait aux activités de loisirs nocturnes, des espaces publics violemment disputés, des quartiers en pleine frénésie immobilière alors que d’autres, désaffectés, se transforment à certaines heures en dangereux cul-de-sac. On a du mal à passer d’un quartier à l’autre, la cohésion de la ville est mise à rude épreuve et la logique d’appréhension du visiteur est sans cesse interpellée. Ce qui relie les différents quartiers péricentraux est ce constat amer de perte d’identité et de chaos visuel et fonctionnel.

La ville, qui porte encore en elle les stigmates d’une guerre civile pourtant terminée depuis près d’un quart de siècle , connait un net recul des divers services urbains et de la qualité de vie. Cependant, d’innombrables chantiers continuent de prendre place et ce, malgré l’état de crise sécuritaire latent et bien au-delà de la crise économique régionale.
Le projet de reconstruction du centre-ville (plus connu sous l’appellation du projet Solidere, nom de la société immobilière créée en 1991), un des plus grands jamais entrepris dans la région, pouvait laisser croire qu’il porterait en lui une dynamique à même d’entraîner dans son sillage les zones qui lui sont directement adjacentes. La réalité sur le terrain s’avère être bien plus complexe. Dès le début des années 1990, le manque d’interaction de ce projet avec son environnement immédiat avait déjà soulevé bien d’interrogations, notamment au niveau de son système de privatisation de la décision en matière de planification et de gestion urbaine. Ainsi, les quartiers péricentraux, ne bénéficiant toujours pas d’un plan de restructuration, ressentent les conséquences du modèle de reconstruction totalement privatisé du cœur de ville adjacent. Cependant, ces conséquences, loin des dynamiques attendues, peuvent être comparés à l'épicentre d’un tremblement de terre en milieu urbain, tant au niveau des effets directs (hausse vertigineuse et incontrôlée du foncier dans les régions attenantes au centre) qu’au niveau des effets induits (rupture du contexte morphologique). À cela s’ajoute le fait que la capitale libanaise connait d’importantes transformations dues au mode opératoire de gestion urbaine relevant d’un pouvoir public affaibli face à la logique néolibérale prévalant dans le pays.

Beyrouth, ville méditerranéenne, présente par ailleurs des caractéristiques spécifiques similaires à celles de territoires connaissant des conflits latents ou intermittents : fortes inégalités socio-économiques, politiques sectaires territorialisées, fragmentation de l'espace urbain, etc. En conséquence, une dynamique spécifique de reconstruction formelle et informelle a émergé dès la fin des hostilités au début des années 1990.
Les zones péricentrales qui se sont développées à partir de la moitié du XIXème siècle, de par leur vulnérabilité aux dynamiques en cours et citées ci-dessus, sont particulièrement intéressantes à observer. Dans le cadre de cette thèse, nous nous concentrons sur Zokak el-Blat, l'un des quartiers les plus représentatifs, autant pour sa localisation géographique centrale au niveau de la première couronne urbaine qui entoure le centre ancien, son histoire foisonnante et dense en terme de construction d’identité et de culture. Zokak el-Blat est l’un des premiers quartiers à se développer en dehors des anciennes murailles de la ville. Quartier bourgeois par excellence, autant que quartier d’écoles, d’institutions académiques et culturelles ce quartier a joué un rôle primordial dans la renaissance de la culture locale et régionale, dite « Nahda » en arabe. Actuellement, cette zone est , en quelques décades, devenue un quartier populaire, par endroits squatté et abandonné à la spéculation, et son patrimoine en péril n’est que la face cachée d’une recomposition sociale et communautaire qui témoigne d’une fragmentation porteuse des stigmates de la période de la guerre.

L’analyse de l’évolution des quartiers péricentraux, et particulièrement celui de Zokak el-Blat, témoigne d’une série de ruptures et de continuités perceptibles au niveau du rôle du quartier ainsi qu’au niveau de sa structure. En recourant donc à Zokak el-Blat comme exemple « révélateur » de certaines des problématiques auxquelles sont confrontées les zones péricentrales, cette recherche vise à tenter de saisir les logiques qui sous-tendent le développement urbain de la région péricentrale de la capitale, ses mutations, tout autant que les tendances de son développement futur. En inscrivant cette analyse dans l’histoire contemporaine, on cherchera surtout à identifier les modèles de développement qui pourraient caractériser la capitale libanaise.

Les difficultés rencontrées par les autorités publiques à mettre en place une politique de planification cohérente d’une part et le manque d’actions efficaces en matière de gestion urbaine d’autre part laissent la voie libre à la pression immobilière. Cette dernière contribue ainsi à effacer ce qui reste du patrimoine tangible et intangible de la capitale tout en érodant les fondements même d’une éventuelle régénération urbaine durable des quartiers limitrophes au centre. Le quartier de Zokak el-Blat subit ainsi la déstructuration urbaine de la ville. À ceci s’ajoutent les conflits identitaires qui le fragilise et le rende davantage vulnérable à l’émergence de potentiels conflits, particulièrement dans le contexte prévalent de polarisation sectaire et confessionnelle.

À travers les différentes analyses envisagées dans le cadre de cette thèse il ressort que Beyrouth connait une régénération au niveau des quartiers péricentraux qui, en l’absence de toute vision et moyens d’action efficaces de la part du secteur public, se déroule au détriment de la mixité sociale, de la cohésion communautaire et de la conservation de la mémoire urbaine. Même le rayonnement culturel régional de la capitale qui faisait autrefois sa réputation semble en perte de vitesse. Face à ce constat, on ne peut que se demander si les dynamiques observées sont de nature à permettre à la ville de se réinventer et de se transformer comme elle a toujours su le faire au cours de son histoire ou si, pour la première fois, sa capacité de résilience a été atteinte. Si on considère que la régénération urbaine peut être comparée à celle des cellules biologiques, il est permis de se demander si les mécanismes en cours au niveau du développement urbain des quartiers péricentraux de la capitale correspondent à des processus négatifs ou déviants.
Le concept de la déconstruction urbaine envisagé dans le cadre de cette thèse et son émergence dans les quartiers péricentraux de la ville reste sans doute à inscrire dans une perspective plus longue pour pouvoir être analysée. Une approche comparative dans le cadre d’autres villes qui pourraient expérimenter les mêmes phénomènes reste aussi à mener avant de pouvoir suggérer l’existence d’un phénomène urbain comparable et qui puisse bénéficier du même label.
La thèse que nous soutenons peut présenter l’avantage d’être innovante par rapport à d’autres études menées sur Beyrouth, dans le sens ou les dynamiques en cours dans les quartiers péricentraux ont rarement étés abordés sous l’angle de la régénération. Avec une approche multidisciplinaire qui s’appuie essentiellement sur des observations empiriques, ancrées dans la chronologie (essentiellement l’histoire contemporaine), et non sur les approches théoriques et des modèles de références importés.

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