Nov 27- Takashi Hasegawa - Université Bordeaux Montaigne

Les commerçant set les transporteurs dans la société des provinces gauloises et germaniques de l'Empire Romain (1er siècle av.n.è. - IIIè siècle de n.-è.)

Doctorant: Takashi Hasegawa

Date : 27 novembre 2015
Horaires 14h00
Université Bordeaux Montaigne
Institut Ausonius
Domaine universitaire- Maison de l'archéologie
Esplanade des Antilles 33607 Pessac cedex

Résumé

Cette thèse a pour but d’étudier la place et l’influence des commerçants et des transporteurs des provinces gauloises et germaniques sous le Haut-Empire romain, cela en examinant les relations internes entre eux et les rapports entre les hommes de métier et d’autres agents sociaux. Dans cette perspective, mes recherches suivent un axe principal : quelles relations les professionnels du commerce et du transport nouaient-ils avec leurs homologues, les élites ou les pouvoirs publics et suivant quelles modalités ?
À ce sujet, des recherches précédentes ont mis en lumière l’importance de réseaux de professionnels, qui était établis à travers des communautés de ressortissants ou des collèges dans plusieurs villes de l’Empire. Cependant, les réseaux de commerçants ou de transporteurs actifs dans les Gaules et les Germanies ne semblent pas encore suffisamment étudiés de manière approfondie.
La méthodologie mise en œuvre dans mon travail consiste à effectuer des examens comparatifs des sources épigraphiques relatives aux commerçants et aux transporteurs dans les provinces concernées.
J’ai particulièrement eu affaire aux documents concernant les collectivités dans lesquelles se regroupaient ces professionnels. J’ai également tenu compte des inscriptions attestant la présence des hommes de métier « indépendants », pour présenter l’image plus complète des commerçants et des transporteurs dans les provinces nord-occidentales de l’Empire. Ensuite, l’ensemble de ces analyses est effectué en se reportant, dans la mesure du possible, à des contextes archéologiques, géographiques et hydrographiques.
L’un de ces examens porte sur les hommes de métier en Narbonnaise, tout particulièrement les armateurs (naviculaires) et les commerçants d’Arles et de Narbonne. Les naviculaires arlésiens, par l’intermédiaire de leur collège, nouaient des relations avec l’autorité impériale et le pouvoir local, en nommant des officiers annonaires ou des notables arlésiens comme patrons collégiaux. Toutefois, à la différence des transporteurs fluviaux installés à Lyon, ils ne choisissaient aucun patronus parmi les professionnels, alors que d’autres hommes de métier désignaient des naviculaires d’Arles comme patrons de collège. Cela m’a conduit à penser que les armateurs dominaient les milieux d’affaires d’Arelate, tout en tissant des liens avec les pouvoirs. Leurs homologues de Narbonne, quant à eux, ne semblent pas avoir formé de collège. L’examen épigraphique m’a permis de constater qu’ils s’intégraient probablement dans la société locale par le sévirat augustal, prêtrise du culte impérial, ou par les liens avec leurs anciens maîtres plutôt que par le collège. Par ailleurs, les commerçants basés à Narbonne au IIe siècle, tels que Sex. Fadius Secundus Musa, eux aussi, établissaient leurs propres réseaux et les étendaient jusqu’à des villes lointaines, comme celles de la Sicile, probablement sans recourir à l’intermédiaire de collèges ou d’associations.
Une autre étude se concentre sur les nautae, transporteurs fluviaux, basés à Lyon. À travers notamment des inscriptions concernant leurs corpora ainsi que des épitaphes des membres collégiaux, j’ai envisagé les rapports entre les nautes eux-mêmes et entre ces derniers et les notables locaux. Cette analyse a éclairé les critères selon lesquels les divers collèges de nautes choisissaient leurs patrons de collège. À la différence d’autres collèges de nautae, l’association des nautes de la Saône avait une forte tendance à nommer comme patrons ses membres ayant des liens étroits avec des collèges de commerçants, comme celui des marchands de vin. Cela nous incite à penser que les nautes de la Saône considéraient les relations étroites avec d’autres hommes de métier comme un avantage plus important que les bienfaits accordés par des patrons faisant partie de la couche dirigeante. De surcroît, il est probable qu’à travers ces relations avec leurs partenaires, les transporteurs fluviaux de la Saône visaient à limiter certaines difficultés, telles que les différends entre eux, pouvant être suscitées dans des transactions commerciales quotidiennes.
En outre, j’ai étudié la position des utriculaires (utric(u)larii) dans la société lyonnaise et les relations entre ces derniers et les nautes. La longue historiographie sur les utric(u)larii traite exclusivement de leurs fonctions professionnelles – à savoir fabricants d’outres, transporteurs fluviaux ou terrestres. Cependant, la question de la place occupée par ces hommes de métier dans des sociétés locales comme celle de Lyon, où pourtant le sujet est très documenté, est très peu abordée. J’ai tenté de mettre en évidence la position sociale des utriculaires dans la hiérarchie des milieux professionnels de Lyon par rapport aux nautes lyonnais. L’analyse épigraphique a indiqué qu’à la différence de leurs homologues dans d’autres villes gauloises, les utricularii lyonnais pouvaient être considérés par les nautae comme des partenaires moins importants ou moins intéressants et auraient de ce fait occupé une place relativement inférieure dans la hiérarchie des hommes de métier. Cela peut s’expliquer en partie par l’éminente position sociale des nautes de la capitale des Gaules par rapport aux autres nautes. Par ailleurs, l’infériorité des utriculaires lyonnais pourrait témoigner du fait qu’ils étaient plutôt les subordonnés que les partenaires des nautes, ce qui permettrait de mieux comprendre les fonctions professionnelles de ces hommes.
Les hommes d’affaires et les transporteurs fluviaux en Germanie Supérieure, quant à eux, ont fait l’objet de recherches organisées en trois divisions géographiques : région de Mayence, centre de la province et Plateau suisse. À Mayence, capitale de la province, et dans ses alentours, sont attestés plusieurs groupements de commerçants et un certain nombre de negotiatores peut-être indépendants, à partir du Ier siècle de notre ère. J’ai vérifié des activités collectives de ces professionnels comme l’élévation d’une schola et remarqué une promotion possible dans la société régionale d’un magistrat de collège à travers son parcours collégial. Cependant, il est à noter que dans cette région, aucune relation entre les associations des commerçants et les communautés locales n’a été reconnue, ce qui contraste avec les cas des collectivités des hommes de métier sur le Plateau suisse. Cela pourrait s’expliquer par le développement limité de l’administration de nouvelles cités créées sur la rive droite du Rhin au milieu du IIe siècle, bien que Mayence, en tant que capitale de la province, ait dû représenter un pouvoir public non négligeable pour les professionnels de la région.
Ensuite, une étude de cas porte sur les commerçants pratiquant les échanges maritimes ou fluviaux en Gaule septentrionale et Germanie romaines ou entre elles et la Bretagne insulaire aux IIe et IIIe siècles de notre ère. Pour cela, j’ai notamment examiné un ensemble d’autels votifs dédiés par ces marchands à la déesse Nehalennia, qui ont été retrouvés sur les sites des sanctuaires submergés près de Colijnsplaat et de Domburg aux Pays-Bas. Cet examen a éclairé le fait que les hommes se livrant au commerce maritime ou fluvial s’intégraient aux sociétés locales en nouant individuellement des relations avec les élites ou les mêmes milieux sociaux qu’eux. Grâce à leurs propres réseaux dans les sociétés locales, établis probablement de part et d’autre de la Manche, les marchands de la façade maritime de la Gaule et de la Germanie romaines pouvaient être relativement autonomes et s’intéressaient peu aux avantages liés à leur appartenance à un collège et, par conséquent, à la mise en valeur de celle-ci.
Pour répondre à la question principale concernant la nature des relations internes des hommes de métier et des rapports entre eux et d’autres acteurs, il faut également tenir compte des liens entre les hommes de métier et les autorités dans les provinces gauloises et germaniques. Dans cette perspective, j’ai analysé les relations entre les collèges professionnels lyonnais et le pouvoir impérial ou local en dépouillant des sources juridiques, les lettres de Pline le Jeune ainsi que des inscriptions concernant des associations autorisées. Cette étude a montré qu’au moins à partir du IIe siècle de notre ère, l’autorité impériale a eu tendance à inciter les groupements d’hommes de métier à former des collèges autorisés en leur octroyant divers privilèges. Une fois les associations autorisées, le gouvernement pouvait, par l’intermédiaire des gouverneurs de provinces, plus facilement les contrôler et, en cas de nécessité, leur faire remplir leurs engagements de service à l’utilité publique en les menaçant de dissolution. À partir de ces faits, on peut déduire qu’il existe un rapport étroit entre les collèges autorisés et les gouverneurs. Toutefois, à Lyon, on ne dispose d’aucune source historique ni archéologique attestant cette relation. Par contraste, les cinq inscriptions relatives aux collèges autorisés de la capitale gauloise semblent témoigner des relations entre ces derniers et l’autorité locale. Interprétant ces informations, j’ai formulé l’hypothèse selon laquelle les relations nouées entre les associations autorisées de Lugudunum et l’autorité locale reflétaient le contrôle des premières par la curie lyonnaise. Ces liens paraissent avoir permis aux collèges de négocier une application plus souple des contrôles auprès des décurions.
En conclusion, à partir d’une synthèse présentant les situations différentes dans lesquelles les hommes de métier de chaque région établissaient des réseaux de sociabilité, j’ai tenté de rapprocher ces contextes variés. Il s’agit spécialement de comparaisons entre les professionnels de la basse vallée du Rhin d’une part et ceux de la Germanie Supérieure ou ceux de la vallée du Rhône d’autre part. Sans pouvoir apporter de réponses définitives, j’ai émis l’hypothèse que le commerce maritime de longue distance ne favorisait pas forcément des activités collectives régulières de milieux d’affaires actifs sur la mer du Nord-Manche-façade atlantique. En outre, Cologne, lieu a priori idéal pour des actions collégiales ou associatives, qui se déroulaient souvent dans un contexte urbain, se trouvait cependant à l’extrémité nord-est de cette zone commerciale. Cette situation géographique aurait empêché le développement du phénomène collégial ou associatif d’hommes de métier dans cette région. Enfin, l’ensemble des réflexions m’a ouvert plusieurs pistes pour mes futures recherches. Il s’agit tout particulièrement de tenir compte de certains groupements de professionnels influents dans des sociétés locales, comme ceux de charpentiers ou de centonaires, avec lesquels les commerçants ou transporteurs tissaient souvent des relations. Cela permettra d’éclairer d’un jour nouveau les réseaux de sociabilité de ces derniers.

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