Nov 27 - Elodie Pradier - Université Bordeaux Montaigne

Jean-Baptiste Ourdry et la tapisserie

Doctorant: Elodie Pradier

Date : 27 novembre 2015
Horaires 14h00
Université Bordeaux Montaigne
salle Montaigne- Bât Administration
Domaine universitaire 
Esplanade des Antilles 33607 Pessac cedex

De 1726 à 1755, Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) fut « créateur de tapisserie » pour les manufactures de Beauvais et des Gobelins – certains de ses modèles eurent une seconde vie prospère à Aubusson où ils furent envoyés en 1761 –, il fut également directeur associé voire « marchand » de Beauvais et inspecteur aux Gobelins. D’écrits en décris, l’image du peintre et académicien du roi Louis XV fut l’objet d’une réception « negative »diffusée au cœur des constructions discursives afférentes à une partie de l’histoire de la tapisserie élaborée au cours du XIXe siècle. Plus largement, jusqu’au XXe siècle, la tapisserie imitation de la peinture fut rejetée, jugée incorrecte. Mentionnons Francis Salet qui, en 1946, rendait compte de l’« autorité intransigeante d’Oudry en tant que directeur » imposant aux tapissiers « de copier servilement » le carton peint. Celui-ci ajoute : la tenture des chasses est « un chef-d’œuvre de la tapisserie française […] et le point de départ d’une décadence ». Cette conception a été régulièrement bâtie comme antonyme d’une certaine liberté prêtée au fonctionnement de Charles Le Brun. Les débats furent, en effet, vifs et les historiens non unanimes dans leurs explications de ce pan de l’histoire de la tapisserie. Partons donc de l’idée d’un décalage expectative entre Lurçat et Oudry en matière de tapisserie et plus largement d’art.

 

Ce propos a pour intention de questionner la contribution du peintre Jean-Baptiste Oudry à la direction prise par l’art de la tapisserie durant le deuxième quart du XVIIIe siècle, sous l’angle de sa réception contemporaine. Quelle fut la part du peintre dans le processus de fabrication, le style, la commercialisation, l’usage et la réception des tapisseries ?

 

Pour ce faire, appréhendons les discours du XVIIIe siècle sur le sujet, suivant la méthode empruntée par C. Michel pour son étude Le « célèbre Watteau », publiée en 2008. L’auteur se propose d’y analyser les nombreuses Vies écrites dans les années qui suivirent le décès du peintre afin de comprendre leurs fins et leur sens. À propos d’Oudry, quiconque veut en faire l’étude « fatalement marchera dans l’ombre de » l’abbé Louis Gougenot (1719-1767) et de son discours sur la « Vie de M. Oudry, peintre et professeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture ». Afin d’appréhender l’histoire de la tapisserie dans sa relation à Oudry, son regard d’amateur d’art sera le fil conducteur de notre étude. Et pour cause : ce texte constitue la première biographie du peintre généraliste ayant pleinement intégré l’art textile à l’ensemble de son œuvre. En d’autres termes, l’art de la tapisserie fut assimilé par le biographe à l’ensemble d’une carrière prestigieuse. Or, l’apport de ce dernier, comme son point de vue, n’a jamais fait l’objet d’une analyse à travers le prisme de l’histoire de la tapisserie.

Disons-le dès l’abord : cette Vie ancienne est par principe – par sa visée même – plutôt complaisante. Celle-ci appartient au pendant positif de la réception d’Oudry en tapisserie. Il serait donc réducteur de la considérer seulement au premier degré, d’en recueillir les informations sans, au préalable, saisir comment elle fut construite, par qui, pour quoi, avec quelle intention et dans quel contexte ; en somme, de mettre en évidence le cadre de son élaboration et de montrer la mise en place de l’image du peintre. Ce sont les considérations de notre premier chapitre. Il semble opportun également de confronter ces éléments à leur pendant négatif. Fait intéressant, il s’agit essentiellement d’extraits des archives de la manufacture des Gobelins montrant l’opposition des entrepreneurs de l’établissement à la nomination d’Oudry à un poste important. Leurs plaintes furent largement relayées conduisant, par exemple, à la radicalité d’un propos comme Lurçat. Parallèlement, et malgré la difficulté d’une telle entreprise – et l’impossibilité d’y répondre entièrement –, il convient d’interroger l’implication de Jean-Baptiste Oudry dans les idées véhiculées à son égard. Et pour cause : Oudry donna son opinion au sein de divers Mémoires adressés au contrôleur général et au directeur des Bâtiments du roi sur ses travaux aux Gobelins. Les données de ces manuscrits seront lues en regard des Details historiques de la manufacture de Beauvais écrit en 1751. Le texte est anonyme, mais valorise nettement l’activité d’Oudry et ses préceptes artistiques. Par conséquent, tout porte à croire qu’il fut rédigé par l’artiste lui-même ou à défaut par un proche. Tous ces écrits ont une caractéristique commune : ils étaient destinés à l’administration royale. Si leur finalité est de renseigner sur un ensemble de faits, des mesures prises antérieurement, des demandes ou des opinions, leur conception fait pleinement partie de l’histoire des manufactures et en est le reflet. C’est pourquoi, en plus d’avoir été exploités pour les informations qu’ils renseignent, en tant que fait historique propre, ils ont été pleinement incorporés dans le développement chronologique du deuxième chapitre relatif à la gestion des manufactures de tapisseries par l’administration royale de Louis XV et à la place d’Oudry dans ce système. Il s’agit de l’un des premiers aspects relevés dans le discours de Gougenot. Aux vues des nominations successives du peintre durant vingt-neuf ans, notre postulat est que certaines compétences devaient lui être reconnues par les administrateurs. C’est l’objet traité dans l’ensemble de cette thèse en vue d’appréhender la réception d’Oudry par ses contemporains. Aussi, en amont des expectatives administratives, le premier chapitre interroge le regard porté sur l’art d’Oudry avant sa nomination beauvaisienne en 1726. Les trois derniers chapitres développent sa compétence, tout d’abord, à travers les soins apportés par Oudry aux écoles des manufactures pour parfaire l’instruction des ouvriers. Ses remèdes pour perfectionner les ouvrages en laine et soie ont ensuite été éprouvés à l’aune de ses théories picturales. Enfin, les considérations de Gougenot prenaient place dans un discours à la fois laudatif et pédagogique destiné tant à la postérité qu’aux jeunes académiciens. Aussi, dans un dernier temps, notre intérêt s’est porté sur le fruit personnel recueilli par Oudry pour ses travaux mis en évidence par le biographe : succès, réputation et fortune. Pour cela, les tapisseries faites d’après ses tableaux ont été regardées sous l’angle de leur destination pour en saisir l’usage et le statut.

 

 

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