Nov 23 - Isabelle Clavel - Université Bordeaux Montaigne

La SFIO et le MRP, partis réformistes de la IVème République (1944-1958). Acculturations Républicaines

Doctorant: Isabelle Clavel

Date :  23 novembre 2015
Horaires 14h00
MSHA - salle Jean Borde
Domaine universitaire 
Esplanade des Antilles 33607 Pessac cedex

Résumé

La SFIO et le MRP deviennent deux composantes majeures du paysage politique français à partir de 1944 et sont les pivots de tous les gouvernements de la IVe République jusqu’en 1951. Ils collaborent à la refondation des institutions républicaines et posent le cadre de l’État providence. Les expériences de la guerre et de la Résistance ont initié un cycle réformiste, traduit dans un premier temps par le programme du Conseil national de la Résistance (CNR). Celui-ci constitue une réponse à la carence de démocratie politique créée par le gouvernement de Vichy et l’occupation allemande. Pour l’ensemble des forces politiques recomposées, le moment de la reconstruction ne peut être un simple retour à la situation d’avant-guerre. Les nationalisations, la mise en place d’une sécurité sociale et la liberté syndicale sont les jalons de ce programme réformiste auquel la SFIO et le MRP adhèrent pleinement. Notre recherche s’inscrit dans ce contexte et propose d’interroger les processus de réformes à travers l’expérience commune du pouvoir des socialistes et des démocrates-chrétiens.
Objets privilégiés de l’histoire, les partis politiques offrent le cadre d’une réflexion depuis longtemps renouvelée. Toutefois, la comparaison entre deux structures, issues de familles idéologiques différentes, est loin de constituer une évidence. Le principal obstacle tient à la polarisation gauche/droite de l’échiquier politique français conditionnée par les héritages révolutionnaires. Les historiens peinent ainsi à envisager une autre lecture que celle des affrontements entre les forces partisanes tandis que la ligne de démarcation entre la droite et la gauche semble infranchissable. L’étude conjointe du MRP et de la SFIO entre 1944 et 1958 amène donc à dépasser ces atavismes historiographiques. En outre, elle permet d’explorer la notion de réformisme et de proposer une définition qui ne se cantonne plus seulement à une lecture idéologique imposée par les traditions du socialisme. Si la réforme s’apparente à un « mot-valise » dans les usages les plus contemporains, l’idée de sa pauvreté sémantique doit être repoussée. Appliqué aux objets de notre recherche, son écho est véritablement polysémique. Son sens initial de « retour aux origines » et son évolution vers celui d’amélioration1, doublé de son acception morale, est tout à fait prégnant dans les discours socialistes et démocrates-chrétiens de 1944. Depuis la fin du XIXe siècle, l’objet des réformes est devenu prioritairement social, et constitue pour tous les réformateurs un nouveau sens commun capable de transcender les clivages politiques2. C’est ainsi que la SFIO et le MRP participent sous la IVe République à la captation définitive par l’État des questions économiques
1 INNES JOANNA, « La réforme dans le vie publique anglaise. Les fortunes d’un mot », Histoire, économie et société, 2005-1, p. 63-88, traduit de l’anglais par François-Joseph Ruggiu ; MINARD PHILIPPE, « La réforme en France et en Angleterre au XVIIIe siècle : sens et fortunes d’un mot d’ordre », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 56-4 bis supplément 2009, p. 5-13.
2 TOPALOV CHRISTIAN, Laboratoires du nouveau siècle, la nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France (1880-1914), Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en sciences sociales, 1999.
et sociales. En employant le terme de réformisme plutôt que celui de réforme, nous avons consciemment choisi de renvoyer au diptyque réforme/révolution car, dans l’après-guerre, ni la SFIO ni le MRP ne pensent les réformes en dehors de « leur » champ révolutionnaire. Il existe ainsi une dialectique entre l’horizon d’attente, la révolution, et le champ de l’expérience, la réforme, que traduit au plus près le terme de réformisme. Si les révolutions démocrate-chrétienne et socialiste semblent très éloignées l’une de l’autre, elles partagent pourtant un même but en 1944, celui de la transformation économique et sociale d’une démocratie politique à refonder. Le terme de réformisme permet ainsi d’insister sur les trois dimensions des conceptions démocratiques des deux partis et d’étudier avec précision leur rapport au pouvoir.
Le second conflit mondial a engendré la rencontre entre des hommes que tout séparait avant 1940 et notamment leurs conceptions philosophiques et religieuses. Les frontières habituelles des partis qui cloisonnent les familles politiques dans l’entre-soi idéologique sont devenues plus perméables. C’est ce constat qui fonde la problématique de notre travail de thèse. Le réformisme est-il devenu un consensus fort entre les la SFIO et le MRP ? Quels en sont les termes à partir de 1944 ? Quelles en sont les réalisations et les limites ? Quelles pratiques en découlent jusqu’à la fin de la IVe République ? L’idée de ce consensus réformiste se traduit à travers trois notions connexes selon une gradation descendante : le travaillisme, le centrisme et le compromis modéré. Le premier ne demeure qu’une « tentation ». Invitée régulièrement comme un leitmotiv ou un « épouvantail », la notion permet de mesurer l’intensité de la collaboration entre la SFIO et le MRP tout au long de la IVe République. Quant à celle de centrisme, elle amène à penser la place de chacun des deux partis sur l’axe politique. Dans cette perspective, le MRP constitue une force particulièrement mobile de 1944 à 1958. La nature des deux expériences gouvernementales que sont le tripartisme et la Troisième force renvoie également à une interrogation sur les pratiques du pouvoir. Dans quelle mesure la SFIO parvient-elle ainsi à résister au tropisme centriste ? Enfin, la dernière notion connexe que nous avons souhaité développer est celle de compromis modéré. Si, dans le consensus réformiste, socialistes et démocrates-chrétiens s’accordent sur le but et la méthode, ils le font beaucoup plus rarement sur les moyens. De là découlent la plupart de leurs conflits et de leurs difficultés. Cependant le régime républicain et les majorités parlementaires fragiles les obligent le plus souvent au compromis.
Le cadre chronologique de notre recherche est celui de la IVe République, incluant les deux années qui précèdent l’installation du régime. En débutant notre étude en 1944 et en l’achevant en 1958, nous avons souhaité rompre avec une certaine lecture gaulliste de la IVe République. Mal-aimée, ses liens profonds avec la Résistance lui ont souvent été déniés, tout en apparaissant comme une antichambre de la Ve République. La difficulté qui préexiste à saisir le phénomène réformiste justifie en outre de conjuguer une démarche à la fois chronologique et thématique. La refondation de la République dure un peu plus de deux ans, de l’émergence des nouvelles aspirations politiques en 1944 à l’installation définitive des institutions en 1946. Le consensus entre le MRP et la SFIO s’établit sur la base de leurs horizons révolutionnaires respectifs, celui de la cité chrétienne pour le premier et celui du socialisme pour le second. Les deux formations participent ainsi au processus de refondation en cherchant à imprégner la République de leur culture politique et en s’imprégnant de culture républicaine. L’élaboration en deux temps de la Constitution au sein des commissions parlementaires offre plus spécifiquement à la SFIO et au MRP la possibilité de repenser le cadre institutionnel. Cette mise en oeuvre correspond à deux cultures politiques différentes, parfois convergentes, souvent antagonistes, mais qui définissent également l’idée d’un consensus réformiste. La constitution du 27 octobre 1946 est finalement le résultat d’un compromis entre les deux partis, une
superposition de ce que chacun en attendait. Si elle apparait comme une simple transaction au point que la rupture avec la IIIe République n’est plus aussi nette, la Déclaration des Droits, devenue Préambule, est parvenue à codifier un langage des droits politiques, économiques et sociaux. Les aspirations réformistes de l’après-guerre sont dès lors constitutionnalisées et le cadre de l’État providence fixé. A partir de 1947, force est de constater que les réformes engagées semblent ralentir et que les pratiques gouvernementales s’apparentent à un centrisme aménagé. Pourtant la continuité entre la période de refondation républicaine, le dernier gouvernement tripartite et la Troisième force ne doit pas être minimisée. Les grandes réformes de structure ne sont plus à mettre en place mais elles nécessitent d’être complétées tandis que des réformes plus techniques touchant à l’organisation de l’État et à son administration sont envisagées. Réformisme sans réforme et réformes sans réformisme, telle est la manière dont cette zone grise peut se décliner. A partir de 1951, la deuxième et la troisième législatures du régime sont l’occasion d’un nouveau ralentissement. Les échecs concernant les questions coloniales témoignent pour les deux partis des difficultés à penser la réforme en dehors du cadre national tandis que la pratique modérée du pouvoir est vécue par les militants et les électorats comme une compromission et une trahison des programmes de l’après-guerre. Le dernier gouvernement dirigé par Guy Mollet en 1956 amène toutefois à remettre en perspective ce bilan réellement mitigé. Le socialiste complète ainsi les réalisations du régime par un réformisme pragmatique. Enfin, pour observer plus précisément le processus de réforme, il semblait utile de décentrer le regard sur des structures susceptibles de participer à son élaboration. Le phénomène d’inflations législatives de la IVe République rend en effet difficile une appréciation précise de ses tenants et de ses aboutissants. Après avoir montré comment les commissions permanentes sont devenues des lieux de réformes au cours de l’histoire du Parlement, nous avons donc choisi d’étudier la question de la réforme de l’École au sein de la commission de l’Éducation nationale. Comme pour la Constitution, ce changement d’échelle permet d’interroger le fonctionnement des commissions comme lieux de travail et d’expertise mais aussi de confrontation des intérêts individuels et corporatistes. Au sein de ces huis-clos parlementaires, les jeux de pouvoir se déclinent différemment d’autant que la ligne de fracture entre la SFIO et le MRP s’établit autour de la laïcité et de la question scolaire. Pour la Commission de l’Éducation nationale, la concurrence avec d’autres instances, parfois législatives, parfois administratives, a enrayé sa participation à la grande réforme de l’École. Toutefois, des solutions ont été cherchées lorsqu’il s’agissait de faire de l’École ou de l’instruction un bien commun de l’intérêt général. Paradoxalement, ces conflits ont obligé démocrates-chrétiens et socialistes à trouver un modus vivendi. Les premiers ont finalement accepté que l’École constitue un bien public et les seconds ont été contraints par la pénurie de classes et de moyens de composer avec l’existence d’un enseignement privé. Les commissions permanentes apparaissent aussi bien comme des lieux de transaction partisane que de compromis.
Cette autre lecture de la IVe République a été l’occasion pour nous de sonder les rapports des familles socialiste et démocrate-chrétienne au modèle républicain auquel elles sont imparfaitement acquises. Elles semblent achever leur adhésion au régime entre 1944 et 1958, profitant de l’occasion pour imposer leurs propres horizons d’attente à la démocratie libérale sous la forme d’une régulation des excès du régime capitaliste et en érigeant l’État comme le garant d’un nouveau modèle social. Dans ce processus d’acculturation, les interactions entre cultures républicaine, socialiste et démocrate-chrétienne sont donc réciproques et amènent à définir in fine un nouveau modèle républicain.

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