Nov 13 - Yan Wang - Université Bordeaux Montaigne

Les représentations de la Chine en France et en Grande-Bretagne au XVIIIème siècle

Doctorant: Yan Wang

Date : 13 novembre 2015
Horaires 14h00
Université Bordeaux Montaigne
salle des thèses
Domaine universitaire 
Esplanade des Antilles 33607 Pessac cedex

Résumé

Le XVIIIe siècle témoigne des premiers contacts importants entre l’Europe et l’empire du milieu par l’intermédiaire des missionnaires et d’autres voyageurs. La Chine et les Chinois deviennent des thèmes récurrents et sujets à controverse parmi les auteurs des Lumières. Le but de ma thèse est d’étudier, à travers divers types de sources de l’époque – les récits de voyages, les essais, les contes, les études orientales et sinologiques, etc. – chez des auteurs français et britanniques d’horizons différents – les missionnaires, les voyageurs laïcs, les philosophes et les premiers orientalistes, … – de quelle manière la Chine, pays situé à l’Extrême-Orient du continent eurasiatique, a participé aux mouvements intellectuels de l’autre hémisphère à l’époque des Lumières.
Le plan général de la thèse est thématique et non chronologique, parce qu’il s’agit d’une réflexion sur l’histoire et non d’une étude historique. Parmi divers aspects de la Chine trouvés dans les représentations, nous choisissons d’étudier les trois grands thèmes suivants : I. La morale et la religion des Chinois, II. La langue chinoise et la perception de l’histoire et III. Le régime politique chinois. Ces thèmes sont choisis au détriment des autres pour les deux raisons suivantes. D’abord, le trait distinctif des représentations de la Chine introduites par les jésuites, en comparaison avec celles au Moyen Age et pendant la Renaissance, est l’accent mis sur la pensée chinoise. Cette image intellectuelle de la Chine a été peu traitée avant les jésuites. Deuxièmement, nous envisageons de concentrer notre étude sur les controverses provoquées par le sujet de la Chine, vu que l’époque des Lumières se caractérise par un dynamisme de l’esprit animé par de multiples débats d’idées. C’est dans ces sphères que nous trouvons les débats les plus intéressants.
Ayant comme sujet les représentations de la Chine, notre étude est axée moins sur celle qui est représentée (la Chine) que sur ceux qui formulent les représentations (la France et la Grande-Bretagne). En effet, le sujet de la Chine n’est qu’un prétexte dans les écrits de l’époque, par lequel les auteurs s’ingénient, soit à satisfaire leur goût de l’exotisme, soit à défendre leurs propres thèses. Ce n’est donc pas notre but d’approuver ou de critiquer les représentations faites par les auteurs français et britanniques. Nous ne cherchons pas non plus à opposer la « véritable » image de la Chine qu’on trouve dans les sources chinoises de l’époque à l’image « fausse » ou « déformée » sous la plume des auteurs européens. Force est de constater qu’il n’est pas de représentation « fidèle de quoi que ce soit », comme Saïd a montré dans son étude de l’Orientalisme. Toutes les représentations sont « d’abord enchâssées dans la langue, puis dans la culture, les institutions, tout le climat politique de celui qui les formule ». Ceci dit, il faut accepter le fait qu’« une représentation est ipso facto impliquée, entrelacée, enchâssée dans beaucoup d’autres choses en dehors de la “vérité”, qui est elle-même une représentation » . De ce fait, les représentations de la Chine se modifient ou se transforment en suivant les mentalités de ceux qui formulent les représentations (les auteurs français et britanniques) plutôt que ceux qui sont représentés (la Chine et les Chinois).
Nous nous garderons ainsi de décréter vraies ou fausses les représentations de la Chine chez différents auteurs, qu’ils effectuent leurs observations sur place, ou qu’ils formulent leurs représentations sur la base des sources fournies par d’autres. Il s’agit au contraire de montrer, à travers la circulation et l’interaction de différents textes ayant la Chine comme matériau de leur interprétation, comment les auteurs français et britanniques se représentent de façon à construire et à reconstruire leur identité, ce qui caractérise la tendance intellectuelle des Lumières. Nous ne prétendons pas à une interprétation exhaustive, nous nous concentrons plutôt sur les images de la France et de la Grande-Bretagne vues sous l’angle de la Chine. Pour ce faire, il convient d’étudier la manière dont les auteurs introduisent le sujet de la Chine dans leurs discours. Cette manière dépend non seulement des circonstances générales de l’époque où vivent ces auteurs, mais aussi des idées principales des époques précédentes qu’ils approuvent, critiquent ou rejettent. L’examen de ces deux aspects, qui concourent à caractériser l’esprit des auteurs, fait voir le rôle de la Chine dans chacune des thèses qu’ils défendent. Leurs représentations de la Chine peuvent ainsi être considérées comme l’une des clefs pour comprendre la pensée des Lumières.
N’ayant pas l’intention de confronter la « Chine représentée » avec la « Chine réelle », nous effectuons tout de même une étude comparatiste entre les représentations différentes de la Chine faites par les auteurs français et britanniques. Nous découvrons, à travers la recherche, que les Français paraissent sinophiles : ils font l’éloge des mérites des Chinois concernant la morale ; certains apprécient aussi leur « religion pure » qui reste incorruptible pendant des milliers d’années ; d’autres parlent favorablement de l’empereur chinois, le qualifiant d’un despote éclairé. Au contraire, les Britanniques se montrent plutôt sinophobes : sous leur plume, les images de la Chine à travers la langue, la société et le régime politique sont péjoratives. Cette distinction s’explique tout d’abord par la différence du contexte religieux et politique des deux pays. Ces contextes ont influencé différemment les mentalités de ces deux peuples, si bien qu’ils ont cherché auprès de la Chine des arguments différents, avec lesquels ils sont parvenus à défendre leurs propres thèses. En outre, les sources primaires sur la Chine, à savoir les récits de voyage des missionnaires et des aventuriers, ont joué un rôle considérable dans les perceptions différentes des auteurs des deux pays. Ces différences mettent en évidence la divergence des parcours effectués dans les deux pays au XVIIIe siècle dans l’esprit des Lumières.
Malgré les divergences et les controverses, il semble que tous les éloges, toutes les critiques et toutes les représentations mélioratives et péjoratives reviennent sur un fait reconnu communément par les différentes parties : par rapport à la plupart des nations contemporaines dans le monde, cet empire prématuré jouit déjà, dans la haute antiquité, d’une civilisation parfaitement élaborée dans plusieurs domaines tels que la morale, la langue, le régime politique, voire les sciences. Ce qui distingue de plus la Chine des autres civilisations antiques aussi brillantes, c’est qu’elle est la seule nation au monde dont la civilisation est restée à l’abri des invasions étrangères tout au long de l’histoire – en effet, les conquérants assimilèrent plutôt la culture de la nation vaincue. L’ancienne culture chinoise reste quasiment intacte. En Europe, on fait l’éloge d’une grande civilisation se développant à l’insu des gens de l’autre côté du continent eurasiatique ; on est étonné par sa vivacité ; le plus extraordinaire est que cette civilisation préserve sa forme originale sur divers plans sans qu’aucun changement ni développement remarquables n’attirent l’attention des Européens. Ainsi les philosophes, accablés par la corruption de la morale par l’Église catholique et les conflits insignifiants des dogmes religieux, chantent les louanges de la pure vertu de Confucius sans altération depuis des milliers d’années. C’est aussi pour la même raison que des auteurs, convaincus de lendemains meilleurs grâce au progrès social et scientifique, se moquent de la stagnation de l’empire chinois. L’Europe des Lumières savoure les découvertes, géographiques comme temporelles, faites au cours des trois siècles précédents. Elle désire se connaître à la fois par la tradition qui lui est propre et par les cultures qui lui sont étrangères. Son identité peu à peu reconstruite, elle perd désormais le goût pour l’ailleurs.

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