Déc 22- Nino Vadick del Solar Velarde - Université Bordeaux Montaigne

Contribution des sciences archéologiques à la connaissance de choix techniques Mochica et Cajamarca. Etude des matériaux céramiques du site de San José de Moro (VIIIè-Xè s. apr. J.-C., Pérou)

Doctorant : Nino Vadick del Solar Velarde

 

Date : 22 décembre  2015
Horaires: 15h00
Université Bordeaux Montaigne
salle A 203 (Bât A-G 2°étage)
Esplanade des Antilles 33607 Pessac cedex

Résumé:

Les interrogations archéologiques concernant l'organisation sociale, technologique, économique et politique des sociétés Mochicas du Pérou (IIe-IXe s. apr. J.-C.) ont conduit les chercheurs à étudier dans un premier temps et de manière exhaustive, la séquence d'occupation de sites archéologiques majeurs de Huacas del Sol, Sipán ou San José de Moro, et de sites mineurs comme ceux de San Idelfonso ou Cerro Chepén. Dans un second temps ils ont cherché à caractériser, d'un point de vue technique, la culture matérielle de ces entités sociales, en employant surtout de nouvelles approches qui ont été permises grâce à l'archéométrie.

En effet, l’étude technologique et de caractérisation physicochimique des objets archéologiques des sociétés Mochica et contemporaines (Cajamarca et Huari) dans la vallée de Jequetepeque ou la vallée de Moché, a véritablement démarré dans les années 2000 grâce à la mise en place de partenariats scientifiques entre des institutions françaises, américaines, canadiennes et péruviennes. En ce qui concerne le cas français, les recherches se sont développées grâce aux partenariats entre l’IRAMAT-CRP2A de l’Université Bordeaux Montaigne, les projets archéologiques de San José de Moro et Huacas del Sol y de la Luna, portés par la Pontificia Universidad Católica del Perú et l’Universidad Nacional de Trujillo, et l’Institut Français des Etudes Andines, l’IFEA à Lima.

Les échanges entre ces entités ont permis l’organisation d’une vraie plateforme d’échange académique franco-péruvienne. À ce titre, deux thèses de doctorat de troisième cycle peuvent être mentionnées : le travail de thèse de Roque (2001) sur la recherche méthodologique en datation (TL et OSL) de céramiques Mochica du site de Sipán, et le travail de thèse de Fraresso (2007) sur l’analyse d’objets métalliques Mochica à base de cuivre. Il est également possible de citer une troisième thèse qui a été préparée par Wright (2007) sur l’étude des pigments de l’architecture rituelle des Mochica ; travail réalisé au sein de l’Université Paris I, suite à un Master « Matériaux du Patrimoine Culturel » de l’Université Bordeaux Montaigne.

Plus précisément en ce qui concerne la recherche sur les céramiques précolombiennes de la sphère Mochica nord, le travail de Rohfritsch (2006, 2010) a permis d’obtenir les premiers résultats sur l’organisation de la production des céramiques Mochica de deux sites archéologiques : le site de Dos Cabezas et le site de San José de Moro. Les premières réponses à des questions archéologiques sur les techniques de fabrication en employant diverses méthodes comme la microscopie électronique et l’analyse des rayonnements X, la cathodoluminescence, la diffraction des rayons X et la spectrométrie Raman, ont ainsi été apportées.

Des études archéométriques sur d'autres productions locales à San José de Moro ont été également menées avec les mêmes méthodes : Thiriet (2008) a réalisé la première caractérisation archéométrique des objets céramiques Cajamarca costeño et Cajamarca serrano dont l’objectif était l’identification et la comparaison des matériaux constitutifs et des techniques de fabrication employées dans la fabrication des objets. De la même manière, trois ans plus tard, Del Solar (2011) a analysé une troisième série de fragments de céramiques : Huari (provenant de la zone d’Ayacucho), Mochica Polychrome et Cajamarca (tous les deux provenant du site de San José de Moro).

Notre travail de thèse, démarré en 2012, s’inscrit ainsi dans la continuité des recherches menées depuis 2006 entre l’IRAMAT-CRP2A et le projet archéologique San José de Moro. Lorsque notre travail débute, les préoccupations archéologiques portent sur l’évaluation des nouvelles approches et techniques (microscopie optique, pétrographie, spectro-colorimétrie, cathodoluminescence, spectrométrie Raman, fluorescence de rayons X portable, microscopie électronique et spectrométrie de rayons X, diffraction de rayons X) dans la résolution des questions liées à la technicité des céramiques qui n’ont pu être résolues auparavant :

Quels étaient les procédés techniques employés par les artisans Mochica au moment de produire les céramiques dites de Ligne Fine (contexte côtier) ? Sont-ils les mêmes que ceux employés dans la fabrication des céramiques Cajamarca trouvées à San José de Moro ?

La connaissance des contextes archéologiques et de l’iconographie des vases Mochica du sous-style San José de Moro est conséquente. Castillo (2003), Donnan et McClelland (1999), Donnan (2011), et McClelland, et al. (2007) ont élaboré les corpus les plus pertinents d’objets répertoriés lors des fouilles et au sein des collections publiques et privées. La caractérisation iconographique et morphologique des bases, des corps, des anses et des goulots de bouteilles, a permis d’identifier une singularité productive Mochica à San José de Moro. Cette singularité a été utilisée pour distinguer les productions céramiques tardives de l’aire Mochica nord et les productions Mochica V de l’aire Mochica sud. Cependant, au-delà des informations décoratives et morphologiques, la connaissance des technologies de production de ces bouteilles était inexistante par rapport aux recherches menées sur des bouteilles à anse en étrier des vallées du sud (Donnan, 1965, 2011 ; Gamboa, 2013).

En 2006, la recherche de Rohfritsch a donné les premières pistes pour la compréhension des chaines opératoires derrière les bouteilles Mochica du sous-style San José de Moro. L’apport du travail de Rohfritsch est assez conséquent. Cependant, deux problématiques se distinguent dans son travail. D’abord, les céramiques de San José de Moro n’ont pas été attribuées à une ou plusieurs sous-phases de la période Mochica tardive. Cette observation a été également rapportée dans des travaux assez récents (Koons, 2015). Pour le site de San José de Moro, il est très important d’associer les céramiques tardives à l’une des trois sous-phases proposées par Castillo (2000), car il s’agit des phases liées à des phénomènes de non-échange (Mochica tardive phase A) et d’échange culturel (Mochica tardive phase B et C) avec la société Cajamarca et la société Huari. Il est impossible d’établir un style Mochica et local, propre à San José de Moro, si nous ne savons pas si les céramiques étudiées ont été produites au début ou à la fin de la période tardive. Deuxièmement, San José de Moro est particulièrement unique par son caractère de « site d’acculturation ». Pour établir un style Mochica local, il est nécessaire de comparer les productions Mochica avec les autres productions contemporaines qui sont trouvées dans les mêmes contextes archéologiques comme Cajamarca. L’objectif de cette démarche est de reconnaitre et d’identifier les spécificités et singularités productives. Avant cette thèse, il n’existait aucune recherche archéométrique (multi-technique) et comparative de ces deux grandes productions.

 


Quels sont les styles techniques dévoilés à San José de Moro au sein des céramiques rituelles, et y a-t-il existé une vraie spécialisation artisanale dans la partie basse de la vallée du Jequetepeque ?

En sciences humaines et archéologie, le terme « style » est couramment employé pour désigner notamment des traits morphologiques et décoratifs des céramiques anciennes. La notion de « style technique » est presque inexistante dans les rapports des fouilles de sites Mochica, car ce concept est lié aux caractéristiques matérielles et technologiques d’un objet, notamment perçues grâce à la recherche archéométrique et ethnoarchéologique. Ce sont les chercheurs qui emploient des approches ethnographiques et des sciences expérimentales qui commencent à employer cette terminologie plus spécifique (Druc, 2009, 2011 ; Druc, et al., 2013 ; Ramón, 2008, 2013). La « spécialisation artisanale » (cf. Costin, 1992 ; Tschauner, 2009) est un autre concept très discuté pour la société Mochica. L’étude des objets céramiques rituels, en ce qui concerne les techniques et les processus de production, est capitale au moment de proposer de nouvelles pistes dans la caractérisation de la spécialisation des potiers Moché.

Dans quelle mesure est-il possible de caractériser le contrôle des élites Mochica sur la production et la consommation des objets céramiques dits rituels, et l’exploitation des différentes sources de matières premières reconnues à l’échelle locale -voire régionale- pendant les dernières périodes chrono-culturelles Mochica ?

La « spécialisation artisanale », a-t-elle été le résultat du contrôle des élites locales sur les processus d’obtention et d’utilisation des matières premières ? A-t-elle été le résultat d’un contrôle sur la consommation de ces biens ? L’analyse comparative des objets et des matières premières a permis de comprendre les particularités technologiques des styles archéologiques analysés. L’existence d’un réseau d’échanges des matières premières entre une tradition dite côtière (Mochica) et une tradition dite des hautes terres (Cajamarca) lors des périodes étudiées peut désormais compter sur des informations et des arguments plus solides que les informations historiques (XVIe-XVIIIe s. apr. J.-C.) systématiquement extrapolées à toutes les sociétés précolombiennes.

Quel est le rôle des objets céramiques rituels Mochica dans la partie basse de la vallée de Jequetepeque aux échelles locale et régionale ? Sont-ils de vrais marqueurs ethniques et technologiques pendant l’Horizon Moyen ?

Les céramiques rituelles Mochica et Cajamarca, sont-elles juste des objets symboliques, sont-elles des objets utilisés au cours de la vie séculière du site, sont-elles des objets porteurs d’identités particulières ? Les objets Mochica et Cajamarca font parfois partie des mêmes attirails funéraires, cependant ces céramiques ont constitué de vrais marqueurs ethniques et sociaux. Ces céramiques sont-elles également des marqueurs technologiques ? La caractérisation archéométrique des céramiques tardives du site San José de Moro a été le moyen le plus efficace pour comprendre les spécificités (différences et similitudes) technologiques des traditions céramiques qui ont convergé à San José de Moro. Par exemple, les résultats de nos recherches ont permis : (i) d’établir que les céramiques Mochica sont issues de processus productifs homogènes, (ii) d’affirmer que les objets Moché à décoration polychrome ont été produits avec les mêmes matières employées pour la production des objets Mochica à décoration bichrome, (iii) de définir que les potiers Mochica et Cajamarca n'ont pas échangé de matières premières pour la fabrication des pâtes céramiques, et (iv) de déterminer l’existence de parallèles technologiques entre ces deux sociétés en ce qui concerne particulièrement les décors des céramiques (p. ex. l’emploi de minerais de fer et manganèse).

 

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