Déc 10 - Armand Lietart - Université Bordeaux Montaigne

Les TICE et l'innovation pédagogique dans l'enseignement supérieur. Comment et pourquoi les modes de l'interaction humaine évoluent-ils dans les systèmes d'information pédagogique?

Doctorant: Armand Lietart

 

Date : 10 décembre  2015
Horaires 14h30
Université Bordeaux Montaigne
Salle des thèses
Bât Accueil 2ème étage
Domaine universitaire 
Esplanade des Antilles 33607 Pessac cedex

Résumé

 Invités à mettre en oeuvre les moyens nécessaires, les enseignants, décideurs et responsables du monde de l’éducation sont à la recherche d’informations et d’expériences qui leur permettent de prendre les meilleures décisions d’équipement, de formation du personnel, et de développement des ressources pédagogiques. Aussi l’intégration des TIC dans le milieu éducatif soulève-t-elle une importante demande d’études d’usages pouvant démontrer l’intérêt et l’impact de ces nouvelles technologies sur les processus éducatifs. On l’aura compris, la question posée est de savoir non pas pourquoi intégrer ces technologies dans l’éducation mais comment les mettre au service d’un véritable projet pédagogique. 

Les discours ne manquent pas, qui attribuent aux TIC des pouvoirs révolutionnaires, marquant l’avènement d’une « nouvelle pédagogie aux méthodes plus actives et plus ouvertes », avec individualisation de l’enseignement, autonomie de l’apprenant, travail collaboratif, créativité, sans parler de la maîtrise opérationnelle de ces nouvelles technologies considérées comme indispensables pour s’intégrer dans le monde du travail et la société contemporaine. Mais force est de constater que l’on observe un décalage entre un discours officiel et une réalité de terrain, des usages concrets nettement plus hétérogènes et plus limités, voire néfastes.
Malgré de lourds investissements, il est encore difficile de montrer des liens de cause à effet entre l’usage de ces technologies et l’amélioration des résultats scolaires. D’où une demande insistante d’études de la part des gestionnaires, décideurs, et responsables pédagogiques qui attendent que leur soit fournie la preuve qu’à défaut d’améliorer les rendements scolaires des apprenants, les TIC favorisent les « bonnes pratiques1 », qu’elles puissent être transférées à d’autres lieux et d’autres contextes tout en permettant une généralisation de l’« excellence pédagogique ».
Comme on peut le constater à partir de ces premières réflexions, le sujet de l’usage des TIC est pour le moins délicat. On s’explique mieux la pression exercée sur les principaux acteurs de l’acte éducatif, les enseignants, pour trouver des solutions face au défi de l’application des TIC dans les apprentissages scolaires. Notre cheminement devrait permettre de dégager des pistes de réflexion à propos de ces nouveaux défis. Précisons d’emblée que nous respectons le principe de liberté pédagogique des enseignants. Nous constaterons d’ailleurs lors de notre enquête de terrain (première strate du travail), qu’un nombre significatif d’enseignants/ chargés de cours est intéressé par l’environnement informatique et l’utilisation des TIC mais considère néanmoins que le chantier reste éprouvant. Posons à présent notre regard sur les bénéficiaires et acteurs de l’apprentissage : les étudiants.
Il convient d’adapter nos manières d’enseigner à l’évolution de notre société. D’après M.Tardif et C. Lessard2, « la fonction enseignante est prise entre modernité et tradition. Le système scolaire n’évolue pas au même rythme que tous ces changements. Erigé à l’époque de la société industrielle moderne, il continue sa course comme si de rien n’était et semble avoir beaucoup de peine à intégrer les changements en cours. De plus, affirment les auteurs, le travail enseignant conserve par bien des côtés une dimension traditionnelle en continuité avec le passé et qui survit tant bien que mal au sein de la grande industrie scolaire de l’école de masse. Le modèle classique d’enseignement est en pleine décomposition et il n’a pas de modèle alternatif pour le remplacer. Plusieurs raisons rendent l’émergence de nouveaux modèles difficile. Pour imaginer l’avenir de l’enseignement, il faut prendre en compte les forces du changement, dont les auteurs repèrent quatre ingrédients importants :
Les orientations politiques éducatives, la transformation du rôle de l’Etat, l’évolution vers une logique de marché et l’introduction des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) ».
Nous choisirons de nous centrer sur l’une de ces forces de changement : l’introduction des TIC3 dans le secteur éducatif que nous compléterons par l’analyse de nouveaux modèles d’apprentissage en relation avec une réflexion épistémologique sur la recherche.
A ce stade de réflexion, la thématique est encore large. Nous opérons un premier tri et ciblons les différents usages pratiqués par les enseignants. Puis nous affinerons la recherche pour nous intéresser plus particulièrement aux enseignants qui induisent de nouvelles manières d’enseigner, qui modifient leurs pratiques pédagogiques par le biais de l’utilisation des TICE.
Ensuite, nous essayerons de comprendre et de décoder le processus qui conduit certains d’entre eux à innover ou non, à créer de nouvelles voies à l’utilisation de ces outils, ceux qui apportent de la valeur ajoutée.
Dans une époque « moderne-fluide » 4, les possessions durables, les produits censés être appropriés une fois pour toutes et jamais remplacés, ont perdu leur attraction passée. Ils étaient vus autrefois comme un capital, ils risquent maintenant d’être vus comme des dettes. Le consumérisme d’aujourd’hui ne consiste pas à une accumulation de choses, mais dans le plaisir éphémère qu’elles procurent. Pourquoi l’ensemble des connaissances obtenues en fréquentant l’école devrait-il faire exception à cette règle universelle ? Dans le tourbillon du changement, la connaissance est adaptée à un usage instantané et est prévue pour une utilisation unique : la connaissance prête à utiliser et prête à jeter, du type de celle promise par les programmes informatiques, paraît bien plus attractive. Ainsi la pensée que l’éducation peut être un « produit » destiné à être acquis et conservé, est en déclin et, sûrement, ne parle plus en faveur de l’éducation institutionnalisée.
Le second défi opposé aux prémisses fondamentales de l’éducation provient de la nature erratique et essentiellement imprévisible des changements contemporains et renforce le premier défi. Le monde tel qu’il est vécu aujourd’hui est ressenti plus comme une machine à oublier que comme une place prévue pour l’apprentissage. Dans un tel monde, l’apprentissage 3
est voué à une course sans fin après un objet qui se dérobe toujours et qui, en outre, commence à fondre au moment même où il est saisi.
Aujourd’hui, une telle mémoire apparaît comme potentiellement incapacitante. Dans notre monde volatile fait de changements instantanés et erratiques, les habitudes enracinées, les cadres cognitifs solides et la présence des valeurs stables, ces objectifs derniers de l’éducation orthodoxe, sont devenus des handicaps.
Le problème est que très peu, sinon rien, ne peut y être remédié par la seule réforme des stratégies de l’éducation, aussi ingénieuse et complète soit-elle. Le changement présent n’est pas comme ceux du passé. A aucun des points tournants de l’histoire humaine, les éducateurs n’ont été confrontés à un défi réellement comparable. L’art de vivre dans un monde sursaturé d’informations doit encore être appris. Et il en est de même du fait de préparer les humains à cette façon de vivre ».
Voici bien un des défis auxquels l’éducateur des temps « post-modernes » doit répondre. Cette contradiction entre l’école de jadis et contemporaine ne doit cependant pas nous rendre nostalgiques. Même si les tensions actuelles sont très fortes, nous tenterons dans notre travail d’expliquer comment certains enseignants parviennent ou non à contourner l’obstacle de cette « Machine à oublier et consommer ».
Afin de nuancer les propos tenus par Z. Brauman sur la connaissance « prête à utiliser et à jeter », nous nous intéresserons aux enseignants qui utilisent les TICE dans leurs apprentissages.
Car en définitive c’est sans doute en investissant les TICE et en les astreignant à de nouvelles fonctions que l’éducateur permettra à de nouveaux apprentissages d’émerger.
C. Beslisle5 interroge sur le fait de savoir si la question de la modernisation de l’école est bien posée. Elle indique qu’il serait plus intéressant de s’attacher à la logique culturelle plutôt que de rester sur l’étude des technologies elles-mêmes. « Entrer dans la culture numérique aujourd’hui, ce n’est pas tant avoir un ordinateur et une connexion Internet6 que de savoir comment se mouvoir dans un univers informationnel pluriculturel. Connaître aujourd’hui, c’est accéder à l’information, non pas par exposition, mais par découverte active, par manipulations de micromondes et de simulations, par exploration, tri autour d’un projet, encadré par une réflexion critique7 ».
Nous serons attentifs à déceler chez l’enseignant ce qui le conduit à « manipuler » l’outil technologique pour que ce dernier soit inséré dans un contexte plus large qui pourra englober la notion de pédagogie par le projet, interactive, afin de lui donner une véritable orientation pédagogique.
Selon J-F Noubel8 (2004), « nous arrivons à un tournant, de plus en plus de technologies émergentes sont relationnelles. Elles nous permettent de diffuser du signe et du sens de plus en plus fidèle à notre singularité, à notre intériorité, tout en nous
inscrivant dans la construction d’un nouvel écosystème relationnel et sociétal ».

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