La recherche pour conserver, développer et valoriser la biodiversité agricole : quels nouveaux enjeux pour les territoires ?

organisé par Morgane Robert et Hervé Goulaze

Les 14 et 15 mai 2019, à la Maison de la recherche (MLR001)

 

Au XXe siècle, l’introduction des processus industriels dans le domaine de l’alimentation a transformé radicalement les filières de production alimentaires : production proprement dite, transformation et distribution en ont été métamorphosées. De même, la production massive de variétés horticoles destinées à la parfumerie, à la cosmétique, à la pharmaceutique ou au marché floral s’est considérablement homogénéisée, favorisant la sélection de variétés performantes et productives, produites par multiplication végétative limitant de fait le brassage génétique. Auparavant les agrosystèmes anciens avaient généré au fil du temps une diversité de races et de variétés populations  qui répondaient aux nécessités de l’adaptation des cultures et de l’élevage à une infinité de situations biogéographiques et agro-économiques locales.

L’avènement d’un nouveau modèle productif industrialisé a conduit à délaisser cette biodiversité, à vocation alimentaire ou non, parce que les exigences intrinsèques de ce modèle ne portent plus sur l’adaptation à des conditions locales mais sur l’intégration organisationnelle, normative et technique toujours plus approfondie/poussée de la production, de la transformation et de la diffusion des aliments à un système globalisé, partout identique, de production, d’échanges et de consommation.

Dans ce théâtre global, la logique de ce système est uniformisatrice et dé-localisée. Elle réduit toujours davantage les propositions alimentaires et horticoles à celles qui répondent le mieux aux impératifs du système globalisé qu’elle gouverne. Elle prend le contrepied d’une démarche de diversification. Elle ne place plus le contexte, le terrain, le terroir, le territoire au cœur d’un processus créatif de diversification du vivant à vocation alimentaire et horticole. Elle les ignore et les sacrifie à la réalisation d’un processus productif unifié qui se construit hors du lieu et de ses particularités : cette approche globale nie et annihile la diversification alimentaire que crée spontanément la démarche locale.

La disgrâce soudaine dans laquelle on a tenu l’immense déclinaison des variétés de plantes cultivées et des races domestiques locales a mené à la réduction catastrophique de leur nombre en quelques décennies. Pourtant une tendance assez ancienne déjà s’oppose à cette uniformisation détachée du local. Ce mouvement en faveur d’une prise en considération de la biodiversité agro-alimentaire, amorcée dès les années soixante-dix, a revivifié un intérêt qui préexistait au sein d’unités de recherche agricoles et agronomiques, auprès de certains éleveurs et cultivateurs avisés mais dont les motivations scientifiques et économiques s’étaient effacées face à l’expansion irrésistible d’orientations productivistes.

Un effort de sauvegarde et de conservation est alors engagé à travers la constitution, l’enrichissement ou la reconstitution de collections de variétés de plantes cultivées. Des opérations de prospection et d’élevages conservatoires de races menacées d’extinction sont initiées. S’ensuit un renouveau modeste mais prometteur d’études des caractéristiques, des qualités du ‘‘matériel’’ recueilli, de ces expressions diverses de la matière vivante aux fondements de l’alimentation. Races et variétés locales intègrent par ces démarches le champ du patrimoine. Un changement de statut s’opère – ce qui était naguère délaissé, méprisé accède au rang de ressource patrimoniale – associé à un changement de représentation qui soutiennent efficacement leur nouvelle légitimation.

A partir des années quatre-vingt-dix, alors que surviennent les premières crises alimentaires d’envergure (crise de la vache folle, grippe aviaire…), la question alimentaire réapparaît dans le débat public, aux yeux du plus grand nombre. Face aux incertitudes qui pèsent sur l’alimentation, la recherche de la qualité et de l’innocuité amène à se tourner de nouveau vers une nourriture localisée, appréciée et reconnue notamment en raison de son rapport à un lieu, à un savoir-faire et à une communauté de producteurs localisés, perçus comme des marqueurs avérés de la valeur nutritionnelle et gustative des productions. La quête de garanties, de gages de qualité toujours plus nombreux à travers labels, indications et appellations en constitue le corollaire : l’évolution concomitante du cadre législatif et réglementaire semble d’ailleurs favoriser leur multiplication (l’ouverture des AOC à ‘‘l’ensemble des produits agricoles ou alimentaires, bruts ou transformés’’ date de 1990). 

Une prise de conscience collective éclot et commence à se structurer autour de l’alimentation, portée par des courants, des mouvements associatifs, des organisations de producteurs qui naissent alors. Ils présentent l’alimentation comme un enjeu de société majeur. Leur action promeut l’émergence d’une nouvelle relation au(x) lieu(x), au(x) territoire(s) par l’entremise des produits et des producteurs. Ces acteurs participent significativement d’un retour en grâce du local, de sa réhabilitation au profit de l’élaboration de réponses locales qu’ils considèrent comme les plus appropriées à la question alimentaire.

Dans cette perspective, le travail de certaines organisations se donne pour priorité de défendre et valoriser la biodiversité agro-alimentaire par des démarches locales de reconnaissance et de promotion de produits, de races et de variétés qui sont à l’origine de ces produits, où l’approche économique devient primordiale. Cette orientation introduit une nouveauté décisive car elle exprime désormais de façon explicite combien la sauvegarde et la diffusion des constituants de cette biodiversité est conditionnée à la recherche de modèles économiques satisfaisants – où les productions sont rentables – adaptés à chaque situation (Cf. l’expérience de l’organisation internationale Slow Food en la matière à travers l’outil de l’Arche du Goût et des programmes de valorisation des produits Sentinelles).

De même, la recherche, dans les sciences agronomiques, en écologie mais aussi dans les sciences sociales, s’empare de plus en plus de ces thématiques afin de questionner les changements socio-spatiaux induits par ces démarches locales et par ce retour à des modes de production qui favorisent une « biodiversité agricole » bien plus localisée. Divers travaux sur la gestion des ressources génétiques animales ou végétales, de races ou variétés dites « de petits effectifs » ou « locales », montrent par ailleurs que les logiques de conservation et de valorisation doivent nécessairement être repensés au travers des systèmes spécifiques, bien ancrés dans leurs territoires (INRA, Passages). 

Le séminaire inter-doctoral propose ainsi de rassembler des doctorants, chercheurs et professionnels autour de ces thématiques. Plus précisément, la journée de rencontre chercherait à poser des pistes permettant d’éclairer, par des exemples concrets et retours d’expérience, en quoi la recherche peut être à la fois support et outil pour des transitions territoriales – sociale, économique, paysagère et/ou géographique - tendant vers la conservation et la valorisation de la biodiversité agricole. Il s’agit également de montrer- en fonction de contextes différents du point de vue socio-politique, économique et géographique - par quelles reconfigurations socio-spatiales s’opèrent ces changements qui, en plus de repenser les systèmes de production et de consommation, incarnent un réel changement culturel. L’ambition serait également de montrer que le paysage, en tant que produit de modes d’exploitation de ressources singuliers, est un support pertinent pour faire émerger le rapport des populations à leurs modes de production agricoles.

Intervenants :

- Dominique Dubuc : créateur et responsable du Conservatoire avicole du Puyobrau à Magescq (Landes). Retour d’expérience après 22 ans consacrés à la sauvegarde des races de volailles anciennes, au moment où il arrêtera son activité.
- Jacques Barthouil. Retour d’expérience d’une vieille entreprise familiale préparant des produits de haute qualité gustative à partir d’espèces et de races locales (saumon de l’Adour, canard mulard…).
- Morgane Robert : travaille dans le cadre de sa thèse et du programme de recherche « Savanes de l’île de La Réunion » (PASSAGES) sur la valorisation et la conservation des races locales réunionnaises Bœuf Moka et Cabri Péi profondément liés aux paysages de savanes.
- Hervé Goulaze : travaille dans le cadre de sa thèse sur les nouveaux enjeux liés aux productions agricoles locales et à leurs modes de consommation, dans les territoires urbains et péri-urbains de villes-métropoles comme Bordeaux : il s’intéresse en particulier aux nouveaux usages qui pourraient  être faits de la notion de terroir dans les paysages de production alimentaire de ces territoires.
- Léa Benoit. Thèse : « Comment se démarquer dans une économie globalisée ? Des circuits courts aux certifications, les roses africaines, françaises et néerlandaises. »
- Damien Costa dos Santos : « Web et reterritorialisation de l’agriculture. Regards croisés sur le foncier agricole et les circuits courts en France »

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