Intervenants : Christophe Pébarthe, Guillaume Dubouilh et Jean-Baptiste Defrance
Horaires : 13h30-15h30 Lieu : MLR033
Dans un discours prononcé à Athènes pour célébrer les hommes morts au cours de la guerre commencée en 431 a.C., au moment de décrire le nous sous lequel il est possible de subsumer tous les citoyens athéniens, le stratège et influent Périclès affirme : "Nous aimons sans extravagance la beauté et nous philosophons sans mollesse". Comme Cornelius Castoriadis l'a rappelé à la suite d'Hannah Arendt, le grec ancien interdit de lire dans cette phrase une séparation entre le sujet et l'objet. Il n'y a pas d'un côté le beau et la sagesse et de l'autre des Athéniens qui les aiment ou les recherchent. Périclès définit donc ses concitoyens comme des philosophes. L'Athènes démocratique du Vème siècle, marquant l'émergence de la démocratie comme catégorie, serait donc à associer avec une philosophie. L'affirmation de Périclès a néanmoins de quoi surprendre. La philosophie n'est-elle pas née d'une critique sinon de la démocratie, du moins de son fonctionnement ? N'est-ce pas la justice démocratique athénienne qui a condamné à mort celui qui, avec Platon, est souvent présenté comme le premier philosophe, Socrate ? Cet événement fondateur ne traduit-il pas au contraire un conflit entre la philosophie et la démocratie qui se poursuivrait aujourd'hui encore ?
Dans sa traduction contemporaine, ce questionnement de nature philosophique emprunte régulièrement une double direction, la représentation et la vérité (cf. par exemple Myriam Revault d'Allones, Le miroir et la scène. Ce que peut la représentation politique, Paris 2016 et La faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité à notre monde commun, Paris 2018). La démocratie est fréquemment confondue avec la démocratie représentative, comme si celle-ci traduisait la version ultime, remaniée et enfin aboutie, du principe inventé par les Grecs de l'Antiquité : au peuple, l'élection de représentants ; aux représentants, la responsabilité de dire la vérité sur l'état du monde. Cette division du travail politique implique que seule une minorité est à même de savoir. Cette philosophie du système représentatif, dont il faudra interroger le caractère démocratique, a été parfaitement résumée par l'un des Pères fondateurs des États Unis d'Amérique, James Madison, qui défendait le recours à "un corps choisi de citoyens dont la sagesse est le mieux à même de discerner le véritable intérêt du pays et dont le patriotisme et l'amour de la justice seront les moins susceptibles de sacrifier cet intérêt à des considérations éphémères et partiales". Dès lors, ajoutait-il, "il peut fort bien se produire que la volonté publique formulée par les représentants du peuple s'accorde mieux avec le bien public que si elle était formulée par le peuple lui-même, rassemblé à cet effet". La représentation protégerait donc le collectif politique des excès de citoyens incapables dans leur masse d'accéder à la vérité, en l'occurrence à la définition de l'intérêt général.
Ce rappel témoigne à quel point il est erroné de réduire la réflexion sur la démocratie aux seules institutions démocratiques. Si débat philosophique il y a, s'il y a quelque chose comme une philosophie de la démocratie, c'est que celle-ci est un régime et non un ensemble de procédures, une forme de totalité sociale dans laquelle sont inscrites les conditions de possibilité de dire le vrai. Dès lors, comment critiquer philosophiquement la démocratie sans la condamner ? Ou pour le dire autrement, quelle philosophie est-elle compatible avec une démocratie véritable ?