Intervenant : David Escarpit
Horaires : 10h30-12h30 Lieu : MLR033
Attention - modification de dates !
Cela peut sembler absurde de prétendre « repenser » l’histoire en prétendant replacer l’étude rigoureuse et le croisement des sources et le débat sur celles-ci au coeur de la démarche de l’historien : la source est le coeur même, le fondement matériel tangible de la science historique. On s’y réfère, on la cite, elle est la probité du savoir et de l’intelligence. Aucun texte n’a de valeur sans sources citées. Et pourtant, dans un temps où - comme en d’autres - l’enjeu que représente l’Histoire paraît revêtir une importance de plus en plus capitale, force est de constater que la reproduction de topoï, de présupposés ou de supposés acquis se constate tout autour de nous. Histoire officielle, roman national, tabous, l’Histoire doit savoir regarder en face ses démons et ses erreurs encore de jeunesse, pour cette science plus que millénaire. Alors que cela peut sembler rebattu, le rappel qu’en Histoire tout commence par la source, sa confrontation, sa mise à distance, sa mise en dynamique avec d’autres sources, paraît plus que jamais nécessaire. C’est en particulier le cas pour les histoires qui n’ont pas d’histoire, comme celle des cultures sans état, rejetées aux marges - ou franchement en-dehors - des romans nationaux, jugées bassement régionalistes, localistes, et laissées avec dédain au soin - parfois remarquable, parfois beaucoup moins - des érudits et passionnés locaux. Et pourtant, la grande Histoire et la « petite » ne sont pas séparables, cela devrait sauter aux yeux. Le pamphlet breton d’un boulanger républicain d’un village du Morbihan en 1870 est un marqueur historique, sociologique et sociolinguistique de la progression de l’idée républicaine, de la déliquescence du Second Empire, toutes grandes notions historiques de la « grande » Histoire que la « petite » nous donne à lire. Le cas de l’histoire propre de l’espace occitan, territoire défini par le domaine linguistique de la Langue d’oc, aux confins de trois états d’Europe, sans histoire commune propre (mais une riche histoire polynucléaire capable parfois de jeter des passerelles internes importantes), avec un éternel soupçon soit de centralisme jacobin, soit de militantisme régionaliste dès qu’il s’agit de la problématiser, est emblématique. Là encore, nous avons la naïveté de penser que le retour au travail d’enquête, d’investigation, puis d’interrogation et enfin de confrontation des sources s’avère absolument fondamental pour ces histoires qui n’ont pas été traitées (ou peu, ou mal) par l’Histoire officielle institutionnelle autorisée, tout comme l’Histoire « dissidente » militante, les deux se renvoyant l’image inversée de l’autre. On notera le champ lexical de l’enquête de police : tout historien a ressenti cette excitation de l’enquêteur qui met le doigt sur la source qui confirme entièrement ses soupçons, qui achève son raisonnement, ou au contraire le plonge dans les abysses du doute en balayant dédaigneusement toutes ses certitudes. Nous avons tous hésité à les utiliser dans un article ou une communication, à les offrir à la validation de nos pairs et maîtres, incertains à près de tout de leur valeur démonstrative réelle. Nous nous proposons, à travers quelques exemples choisis de l’histoire de la langue et de la culture occitanes, d’essayer de proposer aux étudiants un retour aux fondamentaux de la méthodologie d’enquête historique, au travail de confrontation des sources (toutes : primaires, secondaires, douteuses), précédant la prise de position dans le débat historico-historiographique (les « écoles ») voire épistémologique (l’histoire de l’Histoire) et enfin la modélisation par l’historien d’un fait historique - en gardant à l’esprit qu’il ne s’agit que d’une représentation du réel, comme l’est une équation ou un schéma - ouvert au débat, à la contradiction et à l’enrichissement critique (par opposition à la critique polémiste qui cherche à détruire). D’un retour à un certain rigorisme méthodologique, nous émettons l’hypothèse d’un retour à un certain quiétisme, dans le sens de retour de la confiance dans l’utilité, la pertinence et la nécessité de l’Histoire dans le monde que nous connaissons, en rejetant à la fois l’historien omniscient fermé au débat, l’historien officiel et la tentation du suicide romantique intellectuel qui veut que « de toute façon on ne pourra jamais savoir alors à quoi bon ». L’Histoire est une science faite de questions, dans laquelle nous nous frayons un chemin entre les obstacles que sont les sources, obstacles qui nous bloquent et sur lesquels nous nous appuyons pour avancer tout à la fois. Tentons de réapprendre à marcher.