Linguistique et anthropologie - Université Bordeaux Montaigne

Linguistique et anthropologie : conditions et résultats d’un échange (1916-1979)

Organisé par : Baptiste GUARRY-PETIT, Dimitri ROBIN

Cet atelier vise à mettre en lumière les points de rencontre entre deux sciences : l’anthropologie et la linguistique, qui se sont fécondées l’une l’autre au cours de la seconde moitié du XXème siècle. Marcel Mauss écrivait en 1924 que « [la] sociologie serait, certes, bien plus avancée si elle avait procédé partout à l’imitation des linguistes » (Mauss 1924, 299). Au détour de la Seconde Guerre Mondiale, le structuralisme réalise ce que Mauss appelait de ses vœux : un échange serré entre linguistes et anthropologues, noué lors de l’exil new-yorkais d’intellectuels européens, parmi lesquels se trouvent notamment Roman Jakobson et Claude Lévi-Strauss.

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Le structuralisme constitue le fil rouge de ces échanges, de 1916 à 1979, de l'Europe aux Amériques, de la linguistique à l'anthropologie. Mais quelle est cette linguistique structurale, à laquelle l’anthropologie structurale se réfère ? Si la linguistique structurale trouve dans l’œuvre de Ferdinand de Saussure son coup d’envoi, il nous faudra également situer la médiation de Jakobson, entre transmission et innovation. L'opposition saussurienne entre linguistique statique et linguistique évolutive, et l'éventuel changement de traitement des évolutions historiques de la langue chez Jakobson, constituera ainsi le premier moment théorique de l'atelier.
Cette « médiation » opérée par Jakobson entre linguistique et anthropologie est d'autant plus cruciale qu'elle a sans doute considérablement renforcé les ambitions théoriques de l’anthropologie structurale face aux explications dites historiques. Cette prétention de l'analyse structurale se retrouve chez Lévi-Strauss, après qu'il eut délibérément emprunté cette méthode à Jakobson au cours de leur exil commun à New-York. Nous étudierons donc cet emprunt, et la transposition des méthodes de la linguistique structurale aux objets de l’anthropologie (notamment les structures de la parenté et les mythes). Nous profiterons alors de la publication récente de la correspondance de ces deux savants (Jakobson, Lévi-Strauss, 2018).
En plus de cette rencontre new-yorkaise entre deux disciplines auparavant disjointes, nous étudierons également leur union au sein du culturalisme américain, et notamment l’apport de Franz Boas et de ses élèves Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf : tout à la fois anthropologues et linguistes, ceux-ci doivent leur célébrité à une hypothèse portant sur la relativité linguistique, qui pose des problèmes proprement philosophiques. Ici encore, nous rencontrerons Jakobson, qui propose une lecture fertile de Boas quant à la manière dont chaque langue impose à ses locuteurs une certaine manière de rendre compte du monde. Nous vérifierons à cette occasion si l'on peut ici identifier un « principe Boas-Jakobson » à substituer à l'hypothèse Sapir-Whorf (Deutscher G., 2010).
Cette hypothèse revenant à considérer que les catégories linguistiques déterminent les représentations mentales est restée prégnante ; elle est parfois confondue avec la position lévi-straussienne. Nous chercherons donc à déterminer précisément de quelle manière elles diffèrent : si la culture ne se réduit pas au langage chez Lévi-Strauss, il propose cependant de l'étudier à la manière du langage. Les désaveux de l'anthropologue à l'égard de la métalinguistique de Whorf constitueront donc notre quatrième moment d'étude.
Enfin, l'anthropologie structurale ainsi fondée par Lévi-Strauss fut abondamment critiquée, notamment concernant l’application de la méthode structurale à l’anthropologie. Dans le dernier moment de notre atelier, nous proposons d'étudier certaines critiques qui se sont élevées contre l’application des méthodes de la linguistique à l’anthropologie : nous prenons pour point de départ les critiques que Pierre Bourdieu propose de la philosophie intellectualiste qui gouverne – et qui explique la rencontre entre – la linguistique structurale et l’anthropologie structurale. Nous poursuivons cette critique en nous intéressant à des travaux anthropologiques tels que ceux de Goody (Goody, 1979), posant que le structuralisme saisit son objet par des constructions qui tendent à le détruire, en oubliant notamment que ce que ce qu’une pensée doit à l’écriture doit être pensé avant de chercher à comprendre les sociétés sans écriture.
Portée scientifique et philosophique
Cet atelier propose donc d’étudier deux sciences : la linguistique et l’anthropologie, et les échanges au gré desquels elles se sont fécondées l’une l’autre. Pour autant, les questions soulevées à travers leurs rencontres dépassent le seul cadre de ces sciences, et constituent des problèmes philosophiques de premier plan : les règles de la langue peuvent-elles être celles de la culture, voire celles de la pensée ? Les faits sociaux sont-ils structurés comme le langage ? A quelle conception de la culture et de la pensée l’application des méthodes de la linguistique à l’anthropologie engage-t-elle ? Que reste-t-il de l’anthropologie une fois dissipé « le mirage linguistique » (Pavel Th., 1988) ? Par ailleurs, les modalités même de ces échanges sont un objet d’étude précieux pour la philosophie des sciences, le processus de connaissance s’y constituant au détour de rencontres imprévues, et par l’emprunt de méthodes, théories et paradigmes. Pour leur propos comme pour leurs pratiques, nous interrogerons donc ces sciences dans une perspective philosophique, convaincus que la philosophie a tout à gagner à observer la science telle qu’elle s’est faite et telle qu’elle se fait.

Planning

Salle MLR 033 - 15h30 à 17h30

  • Séance 1 : 17 novembre 2021
  • Séance 2 : 1er décembre 2021
  • Séance 3 : 15 décembre 2021
  • Séance 4 : 19 janvier 2022
  • Séance 5 : 2 février 2022

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